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DES PENTES À 70 %. En Italie, on l'appelle la viticulture héroïque. Quand, en plaine, la vigne requiert 150 heures de travail pour un employé, c'est entre 650 et 1 000 heures sur ces pentes. Un dossier a été déposé à l'Unesco pour une reconnaissance de ce paysage viticole au Patrimoine mondial. M. HULOT
UMBERTO MARCHIORI exploite en famille 12 ha pentus. Il fait un blanc tranquille 100 % cépage perera en IPG Vin de Vénétie. Fruité, ce vin est vendu 20,50 € contre 5,40 € et 7,40 € pour ses prosecco superiore. M. HULOT
M. HULOT
DANS LEUR DOMAINE DE CA' DEI ZAGO, Christian Zanatta et sa soeur Marika font surtout du Col Fondo, dont la 2e fermentation a lieu en bouteille. M. HULOT
PAOLO BISOL, PDG de Ruggeri, produit du cartizze. M. HULOT
GINO CINI DANS LE CHAI DE VALDO. Cet oenologue hors pair vinifie avec son équipe 15 millions de bouteilles par an. Ici sont faites la seconde fermentation en cuve close et la mise en bouteille. L'entreprise possède par ailleurs deux entrepôts, à Milan et à Vicence. M. HULOT
M. HULOT
Au seul mot de prosecco, on pense rendements généreux, bulles bon marché, cocktails et succès commercial retentissant. Une image qui correspond au Prosecco DOC (dénomination d'origine contrôlée), un effervescent dont l'aire d'appellation s'étend sur 20 000 hectares et que ses responsables souhaitent encore agrandir pour répondre à la demande mondiale.
Mais il y a aussi l'autre prosecco, moins tapageur, accroché aux pentes abruptes des Dolomites : c'est le Prosecco Superiore, DOCG celui-là (dénomination d'origine contrôlée et garantie). Son aire couvre 6 586 hectares sur les terres originelles du prosecco. Ici, les pentes sont impressionnantes. Le paysage ne ressemble en rien aux grandes plaines qui font couler le prosecco DOC.
« Deux communes délimitent le territoire : Valdobbiadenne, à l'ouest, et Conegliano, à l'est », note Giancarlo Vettorello, le président du consortium de tutelle, l'interprofession de la DOCG. Valdobbiadene, à une centaine de kilomètres au nord de Venise, s'accroche à la montagne. En allant vers Conegliano, on découvre un défilé de caves posées en fond de vallée ou accrochées dans les hauteurs, au bout de routes en lacets. Les chais poussent ici et là ou s'agrandissent en grattant sur le moindre mètre carré constructible. Ils sont le signe de la vitalité de cette « industrie » dans une région qui a connu des hauts et des bas.
Au début du siècle dernier, ces monts produisaient une piquette. Faute de travail, les habitants fuyaient vers d'autres cieux. Aujourd'hui, un habitant sur quatre vit de la viticulture.
Son succès tient à une recette simple et efficace qui s'est perfectionnée au cours du XXe siècle : un cépage productif, le glera, et une méthode de vinification rapide et pas chère - pressurage direct, seconde fermentation en cuve close, quelques mois d'élevage et mise en bouteilles à la demande des marchés. Pas de stock. Même si la DOCG impose quelques règles plus sévères que la DOC, la prise de mousse en cuve close reste autorisée. L'appellation compte quatre coopératives, 3 214 viticulteurs, 454 producteurs de vin de base et 183 embouteilleurs.
Valdo (ci-contre à droite), créée en 1926, est l'une des plus grosses sociétés privées, avec 15 millions de bouteilles produites par an - contre 8 millions en 2010 ! - moitié DOC, moitié DOCG. Elle réalise un chiffre d'affaires de 50 M€ et exporte 55 % de sa production. Elle achète des raisins et du moût à une soixantaine de producteurs historiques qui possèdent entre un demi et quinze hectares de vigne.
Outre Valdo, Ruggeri, Foss Marai, Bisol, Bartolomiol et Adami produisent eux aussi des millions de cols. Tous sont au sommet de leur art. Ils sont équipés d'installations techniques dernier cri dirigées par des oenologues de pointe. Ils offrent de larges gammes et n'hésitent pas à faire des essais, en méthode traditionnelle également.
Tous ont un défi à relever : bien valoriser leur Prosecco Superiore. L'affaire n'est pas simple. « Il est difficile d'expliquer la différence entre les deux prosecco aux consommateurs », explique Massimo Poloni, directeur général de Valdo.
Silvia Franco représente la quatrième génération chez Nino Franco Spumanti, qui produit un million de bouteilles et qui fut le premier producteur à envoyer un conteneur aux États-Unis, en 1972 : « À chaque fois, c'est pareil. Je montre toute la gamme à des importateurs. Ils apprécient les vins. Puis, quand vient le moment de passer commande, ils nous demandent du simple prosecco. » Et vont même jusqu'à vouloir la bouteille de DOCG au prix de la DOC !
Or, les coûts de production ne sont pas du tout comparables : 600 à 1 000 heures de travail par ha et par an en montagne contre 150 heures en plaine, un rendement maximum de 13 t/ha contre 18 t en DOC, un séjour plus long en cuve close, etc. « Nous sommes fiers de nos DOCG. Mais ce sont nos DOC qui se vendent », regrettent-ils en choeur.
À Farra di Soligo, à mi-chemin de Valdobbiadene et de Conegliano, Umberto Marchiori exploite 12 hectares, dont 70 % appartiennent à sa famille, le reste est en fermage. Face aux difficultés du Prosecco Superiore, il tente des expériences. Il vend un blanc tranquille 100 % cépage perera, en IPG Vin de Vénétie. L'étiquette indique qu'il s'agit d'un « projet de valorisation d'une variété antique de notre cru ». Gourmand et fruité, le vin est vendu 20,50 € contre 5,40 et 7,40 € pour les prosecco superiore.
À Valdobbiadene, Christian Zanatta et sa soeur Marika misent presque tout sur le Col Fondo. Sur les six hectares de leur domaine de Ca' dei Zago, ils élaborent ce vin originel et un peu de prosecco. Le Col Fondo, encore appelé vin des grands-pères (nonni), n'est autre qu'un effervescent de méthode ancestrale. Le vin est embouteillé en fin de fermentation alcoolique, laquelle se termine en bouteille. On le sert ni dégorgé, ni dosé. C'est la version brute, frizzante du prosecco, à la bulle très légère.
Le Col Fondo est un complément de gamme dans toute l'appellation. Seuls quelques-uns comme la société Bisol préfèrent l'ignorer, le qualifiant d'instable, de « véritable boomerang oenologique ». C'est pourtant cette niche qui fait la joie des journalistes et des sommeliers à la recherche de vins originaux... Peut-être le véritable prosecco superiore ?
Le cru Cartizze et autres Rive
Le Prosecco Superiore DOCG n'est pas le top des vins de la région de Conegliano et Valdobbiadene. Tout au sommet de la hiérarchie culmine le cru Cartizze, une création à la valeur démesurée. Son aire couvre 107 ha, entièrement situés à Valdobbiadene. Cent-cinquante propriétaires se le partagent. En posséder quelques arpents est un must. Une bouteille se vend entre 15 et 20 €.
En dessous du Cartizze, 43 « Rive » ou crus sont reconnus. Mais les producteurs ne les revendiquent que rarement. Beaucoup préfèrent mentionner d'autres lieux-dits sur leurs étiquettes, ce qui perturbe la compréhension du consommateur. Pire encore : 95 % de ces vins se ressemblent. Cela tient au fait que le glera, le cépage principal du prosecco, est productif et neutre. Il n'exprime pas les terroirs comme le riesling ou le chardonnay. La méthode Charmat (cuve close) limite, elle aussi, la différence d'expression des terroirs. Et pour couronner le tout, tous les vins du cru Cartizze sont des « dry » contenant 17 à 32 g/l de sucre résiduel, qui gomment encore un peu plus les différences. Mais c'est ainsi que les Italiens apprécient les cartizze...
