Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Une note salée

FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 38

À Sérignan, dans l'Hérault, le sel intoxique les vignes. Le phénomène est ancien, mais s'aggrave avec le changement climatique et la hausse des prélèvements d'eau.
ARNAUD LUPIA inspecte une parcelle de viognier. F. ERHARD

ARNAUD LUPIA inspecte une parcelle de viognier. F. ERHARD

IL FAUT AMÉLIORER l'évacuation de l'eau salée qui stagne dans les fossés de drainage. F. ERHARD

IL FAUT AMÉLIORER l'évacuation de l'eau salée qui stagne dans les fossés de drainage. F. ERHARD

GRILLURES sur des feuilles de vigne dues à la salinité. F. ERHARD

GRILLURES sur des feuilles de vigne dues à la salinité. F. ERHARD

« Voyez ces grillures sur les feuilles de ce cep : elles sont dues aux remontées de sel qui intoxiquent la vigne », indique Arnaud Lupia, alors qu'il inspecte une parcelle de viognier où il manque déjà plusieurs pieds. « Les ceps voisins ont un feuillage rabougri, montre le vigneron, président de la cave coopérative de Sérignan, dans l'Hérault. Ils vont finir par mourir eux aussi si la salinité ne baisse pas. À cause d'elle, je ne récolte que 6 à 7 t/ha dans cette parcelle, soit 20 % de moins que dans les viogniers où il n'y a aucun signe de salinité. »

Le constat est le même chez Sophie Noguès, qui cultive 5 ha en cave particulière. « J'ai des parcelles où la vigne n'arrive plus jusqu'en haut du dernier fil et où la surface foliaire est réduite. Le rendement en souffre », déplore-t-elle.

Dans ce village, à 5 km à vol d'oiseau de la Méditerranée, la salinité des sols est due principalement aux remontées d'eau de mer dans l'Orb, une eau qui infiltre ensuite la nappe de part et d'autre du fleuve. Ce phénomène est ancien. Depuis plus d'un siècle, les vignerons se sont organisés pour y remédier. Au sein d'une Cuma, ils submergent leurs vignes en hiver avec de l'eau douce afin de lessiver le sel.

Mais le changement climatique et l'augmentation des prélèvements d'eau douce dans l'Orb ont aggravé les remontées salines. Désormais, on trouve de l'eau salée dans le fleuve jusqu'à 10 km de son embouchure. Celle-ci s'infiltre dans les sols alentours, et les dégâts s'étendent.

Chez Paul Thomas, viticulteur installé sur 14 ha des deux côtés de l'Orb, le sel a provoqué de la mortalité dans la moitié de ses surfaces. « Rive droite, je les submerge avec le réseau de la Cuma, et rive gauche avec celui du Bas Rhône Languedoc (BRL). De ce côté-là, j'avais levé le pied durant la crise car l'eau était trop chère. En 2012, la coopérative a négocié un prix plus accessible avec BRL et j'ai pu reprendre la submersion », explique-t-il. En quatre ans, la mortalité s'est stabilisée. Mais pas question de remplacer les manquants tant qu'il ne sera pas sûr que les excès de sel sont éliminés.

Pour réduire cette salinité, des solutions existent. Une étude portée par la chambre d'agriculture de l'Hérault et réalisée par le cabinet Envilys, en partenariat avec Montpellier SupAgro, devrait proposer des scénarios fin 2016.

La submersion coûte cher alors qu'elle n'est pas totalement efficace. « Avec BRL, le forfait pour 3 000 m3/ha est de 369 €/ha. C'est l'équivalent de notre budget phytos », note Arnaud Lupia. Avec la Cuma qu'il préside, le coût n'est que de 150 €/ha. Mais l'eau est pompée dans l'Orb. Elle est disponible en moindre quantité et il faut surveiller de près sa salinité, la mer remontant dans le fleuve.

Sur les 1 000 ha de la coopérative, la moyenne de rendement n'est que de 70 hl/ha, alors que les vignes sont sur de bonnes terres. « Les remontées salines nous font perdre au moins 10 hl/ha, ce qui représente 10 000 hl. Et 15 ha ont déjà dû être complètement abandonnés. Ce sont des pertes de fond. Nous devons trouver des solutions pour préserver nos sols. Sinon, la viticulture reculera. Ce serait une lourde perte pour le paysage, l'oenotourisme et l'économie », avertit Arnaud Lupia.

Quatre actions à mener de front

« Nous avons clairement établi la corrélation entre dépérissement et salinité, note Stéphane Follain, enseignant à Montpellier SupAgro. Quand la concentration en sel de l'eau du sol est excessive, la vigne ne peut plus absorber l'eau. Cela provoque un stress hydrique qui se traduit par des grillures sur le feuillage. » Par ailleurs, le chlore du sel de mer est toxique pour la vigne, et le sodium, lui, favorise le tassement du sol. Pour réduire cette salinité, des solutions existent. « Il faut couper l'arrivée de sel au pied des vignes, en intensifiant la submersion, en décompactant le sol et en améliorant le réseau de drainage », indique Stéphane Follain. Il faudrait aussi freiner la remontée de l'eau de mer dans l'Orb. C'est possible si l'on installe un seuil au fond du fleuve à proximité de son embouchure. L'eau salée, plus lourde que l'eau douce, ne pourrait ainsi plus remonter au-delà du seuil. Cette solution séduit les vignerons, car elle traite le problème à sa source. Mais il faudra convaincre les écologistes !

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :