VINCENT PERRAUD, vigneron de Clisson, accueille avec 80 bénévoles les festivaliers au Kingdom of Muscadet, le bar à vin installé par les vignerons de la commune. BALANCA-ERWAN
BÂTI EN FORME DE TONNEAU , le bar à vin propose du muscadet et du gamay rouge ou rosé sur un espace de 300 m2. BALANCA-ERWAN
PAS D'ÉCHANGE D'ARGENT sur le stand. Les festivaliers règlent avec une carte prépayée. BALANCA-ERWAN
SYLVAIN PAQUEREAU, viticulteur organisateur, renfloue le bar avec les Bib stockés dans une salle attenante. BALANCA-ERWAN
LE SOIR, la fête bat son plein et le bar ne désemplit pas. En 2015, ce sont ainsi 15 000 litres de muscadet qui ont été écoulés. BALANCA-ERWAN
PARI RÉUSSI pour les vignerons : les amateurs de métal dégustent du muscadet dans l'ambiance conviviale du bar à vin. BALANCA-ERWAN
Il est presque onze heures ce vendredi 17 juin. Une horde de mélomanes tatoués, cloutés et habillés de noir sort de la petite gare de Clisson, au coeur du vignoble nantais, en Loire-Atlantique. Direction : le Hellfest, un des plus grands festivals de métal en Europe. « Aujourd'hui, Clisson est synonyme de métal et de muscadet », affirme Frédéric Loiret, du domaine du Grand Air, 24 ha, à Clisson même. Durant trois jours, cette petite ville de 6 000 habitants devient le centre du monde des amateurs de ce style musical. C'est là, au milieu des vignes, que se déroule le festival.
« Cette année, les organisateurs attendent plus de 150 000 personnes en trois jours et 60 nationalités ! Vous connaissez beaucoup de moyens de toucher autant de monde en si peu de temps ? » Les vignerons ne se sont pas posé la question bien longtemps. Depuis la première édition, en 2006, ils tiennent un bar, nommé « Kingdom of Muscadet » (pour royaume du muscadet), pendant toute la durée des concerts.
Lorsque Benjamin Barbaud, le créateur du festival, s'est implanté à Clisson, il n'a pas eu d'autre choix que de faire appel aux vignerons. « Le site se trouve sur des terres qui nous appartiennent, raconte Frédéric Loiret. Il avait donc besoin de nous. En contrepartie, nous avons demandé à installer un bar à vin. » Le pari n'était pas gagné d'avance : « C'est vrai que les amateurs de métal ont la réputation de ne boire que de la bière, mais il était impensable pour nous de passer à côté de cet événement. »
L'aventure du bar à vin a d'abord commencé à petite échelle. « Au départ, on avait un espace de trois mètres sur trois, se souvient Frédéric Loiret, dans un sourire. Et regardez maintenant, nous sommes dans un vrai bar de 300 m2 ! » Idéalement placé au fond d'une petite clairière, face aux grandes scènes, le lieu est imposant, à l'image du festival. Entièrement conçu en bois, il représente une barrique. On y accède par un impressionnant portique, d'inspiration celtique.
Là, tout un petit monde s'affaire dans une joyeuse ambiance rythmée par les concerts alentour. « Nous faisons appel à 80 bénévoles pour servir les festivaliers, indique Frédéric Loiret. Ce sont des amis, de la famille... et parfois même des clients ! » Arnaud et Stéphanie sont de ceux-là. Amoureux des vins, ils ont rencontré Frédéric grâce à des amis communs. Depuis, ils se font ambassadeurs du muscadet dans leur entourage, en Seine-et-Marne.
« Il y a deux ou trois ans, Frédéric nous a proposé de participer bénévolement, raconte Arnaud. Pour ce qui est de la musique, le métal n'est pas notre tasse de thé, mais nous avons accepté pour donner un coup de main ! » Et Stéphanie, sa femme, de préciser : « Nous avons deux ados à la maison, j'aime autant vous dire qu'ils sont jaloux ! » Car le Hellfest est devenu un festival incontournable pour tous les fans de métal. Cette année, 140 groupes ont fait le show sur six scènes, des Allemands Rammstein aux Français Mass Hysteria, en passant par les Californiens The Offspring.
Mais la star du bar, c'est bien le muscadet. Pour des raisons de sécurité, les vignerons et leurs aides de camp le servent dans des gobelets en plastique réutilisables, que bien des festivaliers conservent en souvenir. En coulisse, tout le monde s'active. Frédéric Loiret nous fait la visite guidée. « La commune de Clisson compte six vignerons. Nous sommes cinq à travailler à l'intérieur du festival, le sixième reste en dehors pour proposer la cuvée Hellfest (voir encadré p. 52). Nous vendons nos vins, conditionnés en Bib, aux organisateurs du festival et nous prenons sur notre temps libre pour les servir aux festivaliers. » Le stock se trouve dans la pièce attenante au bar. Les bénévoles s'y relaient pour tirer à la chaîne des pichets de vin bien frais. « On n'arrête pas !, s'amuse l'un d'eux. Un Bib, ça dure vingt secondes à peine ! »
Côté bar, ça ne désemplit pas. Les festivaliers peuvent choisir entre du muscadet et du gamay rouge ou rosé à 2,80 euros le verre de 18 cl, 4,30 les 28 cl et 22 le pichet. « Il n'y a pas d'échange d'argent sur le stand, explique Frédéric Loiret. Les clients règlent avec une carte prépayée qu'ils achètent sur place ou bien par Internet. » Le contact avec le public se fait donc en toute décontraction. « Certains prennent le temps de discuter avec nous », assure le vigneron. Comme Gégé, Gérard de son vrai nom. Festivalier il y a encore quelques années, il a fait la connaissance des vignerons au bar du muscadet. « En 2007, j'ai appris qu'il y avait un bar à vin sur le Hellfest. Ça m'a beaucoup surpris. J'y suis allé. J'ai trouvé l'accueil plus que sympathique. C'était l'occasion idéale de découvrir un produit que je connaissais mal. Aujourd'hui, je bois plus de muscadet que de bière ! » Et Gégé est surtout passé de l'autre côté de la barrière puisqu'il fait partie de l'équipe des serveurs bénévoles.
Autour du bar, l'ambiance est à la fête. L'air résonne de riffs de guitare endiablés, au point qu'il est parfois difficile d'entendre son voisin. Pichets de bière et verres de muscadet se côtoient sur les tonneaux installés en guise de table. « Moi, je n'aime pas la bière, alors heureusement qu'il y a du vin ! », s'exclame Marie-Edith, venue des Yvelines. Son fils, Hugo, lui fait découvrir le Hellfest et le bar à vin dont il ne profite pas d'habitude : « Le muscadet est un peu plus cher que la bière. C'est difficile d'y emmener les copains... », explique-t-il. Un peu plus loin, un groupe d'amis trinque : « C'est vraiment super que les organisateurs aient impliqué les vignerons. C'est une excellente idée ! »
Karl et Yoann sont Nantais. Les vins de la région, ils les connaissent. « J'ai toujours détesté qu'on dise que le muscadet, c'est de la piquette ! », s'insurge Karl. Amateurs de bière comme de vins, les deux amis viennent au bar comme on soutient une cause. « J'aime bien l'idée que les vignerons soient là pour défendre leur travail et nous faire découvrir leur quotidien. Ils sont disponibles pour discuter, alors pourquoi se priver ? »
« C'est vrai que le muscadet doit faire face à un déficit d'image », regrette Vincent Perraud, vigneron sur la commune avec son frère Stéphane. À eux deux, ils gèrent 27 ha en bio au domaine des Cognettes. « Pourtant, nous vendons très bien au Japon et aux États-Unis. C'est à se demander où est le problème. »
Lorsque le festival s'est installé, Vincent a eu des réticences. Puis il s'est adapté, comme tout le monde. « Au début, ça fait un peu peur quand on voit débarquer les loulous. Ils ont un sacré look quand même. Mais, finalement, la musique et le vin, c'est le même métier : on rapproche les gens. » Vincent a même été surpris de voir autant de festivaliers intéressés par le vin. Aujourd'hui, il ne rechigne pas à prendre la pose devant les photographes et ne jure que par les groupes de rock celtiques dont il attend la prestation.
De l'autre côté du bar, les « métalleux » sont tout aussi surpris de trouver des vignerons. « Un bar à vin dans un festival, je crois que ça ne se fait nulle part ailleurs, avance Frédéric Loiret. Je me souviens même que le premier réflexe était de nous demander de la bière ! » Depuis, la greffe a pris. Le royaume du muscadet est plus qu'un simple stand : « C'est devenu un lieu de rendez-vous. »
Damien, cheveux longs et T-shirt rock, est un habitué du festival. Il a entraîné un de ses collègues. Avec leurs compagnes respectives, ils font une pause, un verre de muscadet à la main. Damien connaissait le bar. Il a voulu le faire découvrir à ses compagnons. « C'est super un bar à vin ici !, se réjouit Fabienne. Un bon petit verre, c'est agréable, et ça change de la bière ! » Tous disent aimer « ce qui est bon ». Le muscadet en fait partie. « Boire du muscadet, c'est rendre hommage à la région ! », assure Damien.
Le festival, un moment idéal pour redorer l'image du vignoble selon François Guérin, viticulteur sur 18 ha. « Les gens commencent souvent par nous demander si le métal est notre musique préférée ! Mais ils sont surtout demandeurs d'informations sur notre métier. Nous avons réussi à les séduire parce que nos vins ont gagné en qualité, mais aussi parce que nous sommes là, derrière le bar, à en faire la promotion. »
Et les ventes en profitent bien. « Chaque année, on vend plus que la précédente, se réjouit Frédéric Loiret. L'année dernière, pour les dix ans du festival, nous avons vendu 15 000 litres de muscadet en trois jours ! » Il faut dire que le Hellfest grossit d'année en année, mais toujours dans le respect des vignes alentour.
« Les parcelles sont toutes proches, mais nous n'avons jamais eu à déplorer de graves dégradations », assurent en choeur les vignerons. Tous avouent s'être attachés à ce public hétéroclite et décalé. « Moi, j'écoute cette musique depuis que je suis adolescent, confie François Guérin. Je ne suis donc pas surpris que vin et métal s'entendent à merveille. »
LA CUVÉE DU MÉTALLEUX
« Au bar, les gens sont parfois déçus de ne pas voir les bouteilles », raconte Gérard, le festivalier devenu bénévole. Pour des raisons de sécurité, le verre est interdit sur le festival. Impossible donc d'y vendre autre chose que du vin au pichet. C'est à l'extérieur du festival que les vignerons de Clisson proposent la cuvée du Hellfest. Elle est exclusivement vendue à la sortie du site au prix de 7 euros. « Nous en vendons 4 000 cols, dénombre Frédéric Loiret. Chaque année, nous créons une étiquette. Et sur la contre-étiquette, nous indiquons le nom des groupes qui ont joué. » La bouteille est aussi offerte aux artistes qui viennent se produire. « Les métalleux ont tendance à être collectionneurs, sourit Frédéric Loiret. Ils disent les garder pour le souvenir. » Les plus fidèles doivent avoir une jolie série de onze bouteilles devenues cultes !