ANNE NÉEL, DAMIEN ET MARIA CHOMBART (à droite) dans la salle de dégustation et de vente du château Lamothe de Haux, dont 85 % du chiffre d'affaires se fait à l'export. P. ROY
DEPUIS SON ARRIVÉ, Damien Chombart a entamé une restructuration du domaine en replantant peu à peu les parcelles de rouge à 4 500 pieds pour un gain de qualité et en investissant dans le matériel viticole. P. ROY
Le 2 juillet, une douzaine de riverains du château Lamothe de Haux, à Haux, en Gironde, étaient conviés à signer la charte « Bien vivre ensemble », un document qui grave dans le marbre la démarche de Damien et Maria Chombart.
À la tête de ce château de 80 ha en AOC Cadillac Côtes de Bordeaux, le couple s'est ainsi engagé à respecter la réglementation sur les horaires et la vitesse du vent autorisés pour les traitements. Il a certifié qu'il avertirait le voisinage par SMS ou mail au plus tard la veille d'un traitement phyto ou d'un passage de la machine à vendanger. Et il a promis qu'il ne salirait pas la route avec de la boue. De leur côté, les habitants alentours ont promis de l'informer de tout changement de coordonnées et de participer aux réunions d'informations qu'il organiserait à l'avenir. La signature de cette charte, c'est la réponse de Damien et Maria Chombart au reproche fait à la viticulture girondine d'utiliser trop de pesticides.
Pour réunir ses voisins, Damien n'a pas hésité à faire du porte à porte. Le 2 juillet, il a rappelé qu'entretenir de bonnes relations avec les riverains faisait partie intégrante de sa politique de préservation de l'environnement et d'agriculture durable. « On peut concilier une production économiquement viable avec le respect de l'environnement », a-t-il assuré.
Dès 2001, il met en place une station d'épuration des effluents de chai. « J'ai toujours eu le goût du respect de l'environnement. Je suis fils d'agriculteur et j'ai toujours aimé être au milieu de la nature », explique-t-il. En 2011, il intègre le réseau de fermes de référence de Bayer. L'année suivante, il s'équipe d'une station météo reliée à Bay + Movida, un outil d'aide à la décision (OAD) qui prévoit les risques de mildiou et d'oïdium. Relié à une base de données de produits phyto, cet OAD définit une date optimale pour les traitements.
La même année, le domaine réaménage son local de phytos. Il dote son pulvérisateur de rampes face par face de nouvelle génération pour réduire la dérive, préservant mieux l'applicateur et le voisinage. Il s'équipe d'un Phytobac, un lit biologique composé de terre et de paille pour épurer les effluents des produits.
Homme de conviction, Damien Chombart aime rappeler qu'il est directeur et viticulteur. Issu d'une famille d'agriculteurs du Nord de la France, il décroche en 1997 son diplôme d'ingénieur agricole à l'Institut supérieur d'agriculture de Lille. Au cours de ses études, il rencontre Maria qu'il épouse en 1996. À sa sortie de l'école, sa femme décide de travailler avec ses parents : Anne et Fabrice Néel, propriétaires et exploitants du Château Lamothe de Haux. Début 1997, Maria intègre donc cette propriété qui se transmet de mère en fille depuis 1956. Elle s'occupe alors de l'administratif, des commandes, de la comptabilité et du suivi douanier.
À l'époque, la production est écoulée à 80 % à l'export, en Europe principalement. Comme le travail ne manque pas, en septembre de la même année, Anne et Fabrice proposent à leur gendre de les rejoindre. « Je ne connaissais rien à la vigne et rien à la vinification », admet-il. La greffe allait-elle prendre ?
Prudent et conscient qu'il a tout à apprendre, Damien opte pour le statut d'aide familial qui convient bien à sa situation de novice. Sous la férule de son beau-père, homme à forte personnalité, il découvre les tâches multiples à la vigne et au chai. D'emblée, il est dans son élément. « J'aime que les vignes soient bien entretenues et être sur un tracteur, c'est un vrai bonheur », avoue-t-il.
De son côté, Maria ne reste pas les bras croisés. Dès son arrivée à la propriété, elle achète en son nom propre 8 ha de vignes qui jouxtent le château. Sur ces 8 ha, elle en arrache trois et en replante un en blanc. Elle réutilisera en 2004 les droits issus des 3 ha arrachés pour replanter une autre parcelle.
Au printemps 1998, Fabrice Néel annonce qu'il entend faire une pause de deux mois sur son bateau. Damien et Maria se retrouvent seuls à gérer le domaine, avec huit salariés en CDI. Avril et mai marquent le temps du palissage et des traitements. « Notre préoccupation première, c'était la vigne. J'ai travaillé comme un dingue. » À son retour, Fabrice Neel constate que tout s'est bien déroulé : l'examen de passage de son gendre est réussi.
Dès lors, Damien s'investit de plus en plus au vignoble et dirige l'équipe de cinq salariés affectés aux travaux de la vigne. Et son beau-père se met à l'écouter. Damien veut replanter les rouges à 4 500 pieds/ha contre 3 000 pieds/ha comme c'était l'usage au château. Le but : améliorer la qualité. Au départ, son beau-père ne veut rien entendre, mais Damien ne lâche pas le morceau et obtient gain de cause. Dès 1998, il restructure 6 ha en passant à une densité de 4 500 pieds. Puis il participe aux choix des investissements, comme l'acquisition en 1999 de vingt-cinq cuves en Inox pour 1 million de francs (150 000 euros environ). Deux ans après son arrivée, il est propulsé cogérant, avec son épouse.
Chaque année, les replantations s'enchaînent. Dans certaines parcelles, il poussera même la densité jusqu'à 6 000 pieds/ha. Aujourd'hui, seuls 15 ha de rouges restent à 3 300 pieds.
Dès 2000, la gamme des vins s'agrandit avec l'élaboration de Valentine, un côtes-de-bordeaux rouge, en hommage à la fille des Chombart, née la même année. La sélection sévère à la vendange et l'élevage dans des barriques neuves pendant un an donnent un vin fin et charnu. Valentine se décline aussi en blanc.
Les investissements se poursuivent avec, en 2001, la mise en place d'une régulation thermique au chai. La même année, Damien construit une station d'épuration des effluents vinicoles : un bassin aéré de 850 m3. Un dossier qu'il a mené de bout en bout, « en autonomie », sans son beau-père. L'année suivante, le château s'agrandit de 12 ha.
La période est bénie : les vins de Lamothe de Haux s'écoulent facilement. Mais, en 2003, les choses se gâtent. La propriété perd un gros marché anglais qui représentait 40 % de son chiffre d'affaires à l'export. En octobre 2005, Fabrice Néel décède. Effondrée, Anne, son épouse, veut vendre la propriété. Damien et Maria vont l'en dissuader. Tous deux sont désormais seuls à la manoeuvre. Damien est sur tous les fronts : à la vigne, au commercial. Ce n'est pas tenable. Il doit embaucher. Un commercial ou un chef de culture ? Il choisit la deuxième option. Fin 2006, il recrute un chef de culture et nomme maître de chai son assistant à la cave.
La maladie de son beau-père et la période d'incertitude qui s'en est suivi ont laissé des traces. Il faut relancer les exportations. Pour cela, Damien concentre ses efforts aux États-Unis, un marché prospecté dès 1997. « On avait une bonne base, avec trois importateurs. À partir de là, j'ai voulu créer une vraie toile d'araignée », explique-t-il. Il se rend sur place au moins deux fois par an pendant quinze jours. Il y enchaîne les rendez-vous et les dégustations dans les restaurants, chez les cavistes et dans les supermarchés.
Ses vins qui étaient écoulés dans dix États le sont aujourd'hui dans vingt-six, notamment autour de New York, à Chicago et en Californie. Et le nombre d'importateurs est passé de trois à sept. Les États-Unis sont devenus son premier marché. En 2015, il y a vendu 118 000 cols sur un total de 310 000, tous marchés confondus. Mais Damien s'est fixé pour objectif d'arriver à 220 000 cols en 2020. Pour bâtir un réseau plus actif, il a embauché en 2014 une commerciale export qui sillonne autant l'Europe que les États-Unis.
Aujourd'hui, un autre projet de taille est dans les tuyaux : la refonte totale de la réception de la vendange, du pressurage et du contrôle des températures, l'ensemble représentant un investissement de 700 000 euros. Les devis sont sur la table. Les Chombart ne sont pas prêts de ralentir le rythme.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
« Nous parvenons à concilier agriculture durable, gestion responsable de l'environnement et rentabilité économique. »
« Je suis consensuel. J'ai ainsi pu entretenir au long des années de bonnes relations avec ma belle-famille. »
« J'ai sécurisé et développé nos marchés au grand export. »
« Mon épouse est toujours là pour m'appuyer. C'est le socle de notre famille. »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUE DAMIEN NE REFERA PLUS
« Je suis très impatient et je veux aller vite. J'ai ainsi restructuré le vignoble trop rapidement. Cela n'a pas été toujours facile d'un point de vue financier. D'autant que nous avons essuyé deux pertes de récolte à cause de la grêle : 85 % en 2009 et 65 % en 2013. »
« Je ne sais pas dire non. Je multiplie les activités. Je suis partout, sur le tracteur et en voyage pour le commercial. Du coup, je ne suis pas suffisamment présent pour ma famille. »
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Un travail de fourmi aux États-Unis qui a porté ses fruits
- Faire le déplacement. « Je me rends régulièrement aux États-Unis qui représentent 45 % des 85 % du chiffre d'affaires à l'export. C'est un marché que j'apprécie. Les Américains ne sont pas compliqués et connaissent leur métier, mais ils sont très sollicités. Je fais un travail de fourmi et ne laisse rien au hasard. »
- Rencontrer les professionnels. « Du matin au soir, j'enchaîne les rendez-vous avec l'importateur dans les restaurants, chez les cavistes et aussi dans les supermarchés. »
- Communiquer sur le domaine. « Je me présente avec des bouteilles et des fiches produit. Je fais déguster. Mes interlocuteurs sont contents d'avoir face à eux le viticulteur. Je dis quelques mots sur l'histoire du château, les cépages, les millésimes, nos efforts pour améliorer la qualité de nos vins, notre engagement pour le respect de l'environnement, nos récompenses... Quand on fait de bons produits, les Américains se décident rapidement en affaire. »