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VIGNE

Accidents Année noire en Champagne

BERTRAND COLLARD - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 34

Plusieurs accidents d'enjambeurs se sont produits cette année en Champagne, dont trois mortels. De veilles machines peu sûres sont presque toujours en cause.
LE 5 JUILLET, à Loches-sur-Ource, dans l'Aube, les pompiers sortent un enjambeur d'un fossé. © J. HARVIER

LE 5 JUILLET, à Loches-sur-Ource, dans l'Aube, les pompiers sortent un enjambeur d'un fossé. © J. HARVIER

« C'est une année que je préfère oublier », prévient Marc (le prénom a été changé pour préserver son anonymat), viticulteur de la Marne. Elle a bien failli s'arrêter pour lui le 28 juin. Ce jour-là, son tracteur a versé dans une tournière alors qu'il était en train d'appliquer un antibotrytis dans ses vignes. Heureusement, il s'en est sorti indemne. « J'avais une cuve pleine et l'autre vide. J'allais un peu vite car j'avais beaucoup de travail. D'un côté du tracteur, il y avait une bosse, de l'autre, un creux. Le tracteur s'est retourné sur un côté », relate-t-il.

Pour satisfaire aux normes actuelles, Marc avait fait poser une cuve d'eau claire sur son ancien enjambeur, un Bobard CC-7253 monorang. Il pouvait ainsi rincer ses deux cuves de bouillie et son circuit de pulvérisation à la fin de chaque traitement. Mais les deux cuves devant se vider l'une après l'autre, cela déséquilibrait l'engin en cours de traitement. Bien sûr, depuis l'accident, Marc a cessé d'utiliser sa cuve d'eau claire.

André Foutrier a eu moins de chance. Le 5 juillet, il est resté pendant plus de deux heures le bras coincé sous son enjambeur. Ce viticulteur à la retraite terminait de rogner une parcelle exploitée par son fils à Loches-sur-Ource (Aube). « Il me restait deux pointes de 50 m de long à faire, même pas cinq minutes de travail, se souvient-il. J'ai fait une marche arrière pour pouvoir prendre les rangs. J'ai reculé un peu trop loin. J'ai voulu freiner mais l'enjambeur ne s'est pas arrêté et est tombé en arrière dans le fossé. »

Éjecté de son tracteur - un vieux Loiseau -, André Foutrier s'est retrouvé coincé dans les broussailles, au fond du fossé. Il n'a pas eu le temps de se libérer avant que l'enjambeur ne s'affaisse sur son bras gauche. Il est ainsi resté prisonnier jusqu'à ce que les pompiers le libèrent après de périlleuses manoeuvres.

Des ouvriers qui travaillaient dans les vignes voisines ont immédiatement prévenu les secours. « L'accidenté a eu une chance inouïe de s'en sortir, estime le lieutenant des pompiers Jacky Harvier, aujourd'hui retraité. Nous avons dû tripler les points d'ancrage du tracteur pour le stabiliser. Pendant tout ce temps, nous avons interdit à quiconque d'accéder au conducteur pour qu'il n'y ait pas d'autre victime. »

Sorti de l'hôpital fin septembre, le viticulteur reconnaissait une certaine imprudence : « J'avais remarqué un bruit inhabituel. Puis je n'y ai plus pensé. Les boulons de frein devaient être desserrés. On devrait être plus sérieux ».

D'autres accidents d'enjambeurs se sont produits cette saison dont trois malheureusement mortels à Montier-en-l'Isle (Aube) le 16 juillet, à Montgueux (Aube) le 3 août et à Ludes (Marne) le 23 août. Une année noire pour la région où on ne se souvient pas d'avoir eu à déplorer un tel bilan.

Pourquoi autant d'accidents ? Certains estiment que c'est la loi des séries. « Je ne vois pas d'autre explication », avance un concessionnaire Tecnoma, qui souligne que les accidents étaient jusque-là en régression grâce aux progrès réalisés en matière de sécurité.

Pour d'autres, le climat difficile de l'année est en cause. Les précipitations records enregistrées en mai et juin ont rendu les sols glissants et ont réduit les périodes propices aux traitements alors qu'il était vital de bien protéger les vignes. Les vignerons, contraints de faire au plus vite, auraient été moins vigilants que d'habitude. Mais les trois accidents mortels se sont produits entre la mi-juillet et la fin août alors que les conditions étaient plus clémentes.

Philippe Ravillon, à la tête de la principale concession de machines viticoles en Champagne, avance une autre explication. « Les accidents surviennent surtout avec de vieux enjambeurs monorang que les viticulteurs remettent en service pour travailler le sol, observe-t-il. Ces engins sont instables et dépourvus d'arceaux de sécurité. » Mais aucun des accidents que nous avons recensés n'implique un vigneron travaillant le sol.

À la MSA Sud Champagne (Aube et Haute-Marne), Jean-François Rosselle, conseiller en prévention, a répertorié quatre accidents dont deux mortels dans son secteur. « Dans trois cas, de vieux enjambeurs sans structure de protection sont impliqués, explique-t-il. Ces accidents se sont produits dans des parcelles se terminant par un talus ou un fossé. Les gens ne font pas assez attention aux bordures. Il faudrait les sécuriser soit en matérialisant le danger, soit en élargissant les abords des parcelles. » Alain Foutrier, le frère d'André, projette d'installer des parapets en bois au bord d'une de ses vignes qui se termine par un fossé. « Lorsqu'il y a de l'herbe, je ne vois pas bien la limite. Le parapet, je le sentirais aussitôt touché. Je saurais alors que je ne dois pas aller plus loin. »

Incendies en série dans la Marne

Les enjambeurs sont aussi sujets aux incendies. Rien que cette année, le Sdis (Service départemental d'incendie et de secours) de la Marne en a recensé quatre. Le 13 mai, « il est 7 h 30 du matin quand un départ de feu se produit sur un enjambeur circulant sur la RD9 », relate le blog du Sdis-51. Le 26 mai, « vers 11 h 45, un enjambeur circulant à Reuil sur la RD501 a pris feu. Son conducteur a pu sauter à temps de l'engin ». Le 6 juin, un nouvel enjambeur s'enflamme. Cette fois, c'est à deux pas de la caserne des pompiers, à Épernay. Dernier incident relaté : un départ de feu à Hautvillers, le 8 juillet. Au centre d'Épernay, l'officier Benoît Marsovique n'est pas surpris par ce nombre élevé d'interventions. « On est dans les sollicitations annuelles », assure-t-il. Et d'ajouter : « Tous les ans, nous avons au moins un incendie dû au soufre. » Pour les autres causes, aucune recherche n'a été menée, mais cette série d'accidents survenus cet été dans la Marne laisse penser que le risque d'incendie est une autre fragilité des enjambeurs.

Sol très sec ou trop mouillé : danger !

« Tous les ans, il y a des accidents. Parfois bénins, parfois très graves », alerte Jacky Harvier. Ce jeune retraité a effectué toute sa carrière de pompier dans l'Aube, à Bar-sur-Seine, puis aux Riceys où il était lieutenant jusqu'au mois d'août dernier. Ce secteur comprend beaucoup de vignes en forte pente. Jacky Harvier a lui-même conduit des enjambeurs pendant dix ans. Il sait donc de quoi il parle. « Il y a deux situations dangereuses : quand le sol est très sec ou très mouillé, souligne-t-il. On risque alors de perdre de l'adhérence. Lorsque le sol est très sec, il arrive que les enjambeurs glissent sur la poussière. » Il rappelle qu'avec les enjambeurs mécaniques, « il faut penser à bloquer le différentiel lorsqu'on travaille ». Parmi les causes humaines d'accident, il recense la fatigue, la méconnaissance ou la surestimation des capacités des machines, le manque d'habitude, la distraction ou encore la panique. Il observe que nombre de tracteurs souffrent d'un manque d'entretien, sont trop lourdement ou mal équipés. Enfin, il souligne que des tournières sont mal entretenues ou trop étroites pour y manoeuvrer en toute sécurité.

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