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VENDRE

Opération Séduction auprès des journalistes

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 55

LES SYNDICATS DES GRAVES ET DE PESSAC-LÉOGNAN organisent tous les ans un voyage de presse en pleines vendanges. Les vignerons se mettent en quatre pour recevoir les journalistes durant cette période intense, mais les retombées sont là.
EN HAUT DE L'ESCALIER, Tristan Kressmann (à gauche), propriétaire avec son frère du château Latour-Martillac, et Wilfrid Groizard, directeur commercial, accueillent des journalistes étrangers à un déjeuner familial. © P.ROY

EN HAUT DE L'ESCALIER, Tristan Kressmann (à gauche), propriétaire avec son frère du château Latour-Martillac, et Wilfrid Groizard, directeur commercial, accueillent des journalistes étrangers à un déjeuner familial. © P.ROY

SÉANCE DE DÉGUSTATION des vins de Graves par les journalistes dans une salle du château Ferrande, à Castres (Gironde). PHILIPPE ROY

SÉANCE DE DÉGUSTATION des vins de Graves par les journalistes dans une salle du château Ferrande, à Castres (Gironde). PHILIPPE ROY

MARIE-HÉLÈNE LÉVÊQUE présente ses vins dans la boutique de son château Chantegrive, à Podensac. PHILIPPE ROY

MARIE-HÉLÈNE LÉVÊQUE présente ses vins dans la boutique de son château Chantegrive, à Podensac. PHILIPPE ROY

LAURENT CISNEROS , du château Rouillac, loge des journalistes à qui il fait découvrir sa passion du vin.  PHILIPPE ROY

LAURENT CISNEROS , du château Rouillac, loge des journalistes à qui il fait découvrir sa passion du vin. PHILIPPE ROY

VISITE DU CUVIER pendant la vinification des vins rouges au château Lusseau, avec la propriétaire Bérengère Quellien (à droite). PHILIPPE ROY

VISITE DU CUVIER pendant la vinification des vins rouges au château Lusseau, avec la propriétaire Bérengère Quellien (à droite). PHILIPPE ROY

PETRONELLA SALVI, journaliste anglaise, déguste des pessac-léognan au château Le Sartre.  PHILIPPE ROY

PETRONELLA SALVI, journaliste anglaise, déguste des pessac-léognan au château Le Sartre. PHILIPPE ROY

DÉJEUNER CHAMPÊTRE et en famille au château Lusseau.  PHILIPPE ROY

DÉJEUNER CHAMPÊTRE et en famille au château Lusseau. PHILIPPE ROY

DES JOURNALISTES SPÉCIALISÉS, concentrés et carnet de notes en main, dégustent des pessac-léognan au château Le Sartre, à Canéjan. PHILIPPE ROY

DES JOURNALISTES SPÉCIALISÉS, concentrés et carnet de notes en main, dégustent des pessac-léognan au château Le Sartre, à Canéjan. PHILIPPE ROY

Ce 27 septembre, rien ne va plus au château de Chantegrive, à Podensac (Gironde). Le pressoir est en panne. Une tuile. On est en pleine vendange et dans quelques instants des journalistes vont arriver. Pas de quoi affoler Hélène Lévêque, à la tête de cette propriété de 96 ha en AOC Graves.

Ce matin, elle accueille deux journalistes, Lu Yao, un Chinois du Global Gourmet, et René Van Hoof, un Belge d'Horeca Revue, dans le cadre du voyage de presse organisé par les syndicats des Graves et de Pessac-Léognan. Il n'y a pas de temps à perdre. La vigneronne n'a qu'une heure pour parler de ses vins. Mais son discours est bien rodé : en 1966, son père achète 2 ha en vendant sa collection de timbres. Cinquante ans plus tard, Chantegrive écoule 450 000 bouteilles dont 20 % à l'export. La Belgique y tient la première place.

Ces explications données, direction le chai à barriques destiné à la cuvée Caroline, un graves blanc (80 000 cols). Lu Yao mitraille de photos. René Van Hoof se fait pointilleux : « Vous utilisez du chêne d'Europe de l'Est ? » Réponse nette d'Hélène Lévêque : « Non, c'est très cher et les résultats ne sont pas probants. Et si je vous faisais goûter le jus ? C'est un sauvignon ramassé le 5 septembre », lance-t-elle avec gourmandise. Avec sa pipette à vin, elle prélève un peu de moût en fermentation dans une barrique. Lu Yao le goûte avec plaisir.

Déjà, il est temps de passer à la boutique. Là, sur 100 m2, huit millésimes sont à la vente. Le chantegrive rouge 2010 - médaille d'or au concours mondial de Bruxelles 2012 - retient l'attention. « C'est un très bon vin, mais il est encore un peu jeune », lâche René. Il est 10 h 15, les journalistes doivent quitter la propriété ; leur voyage continue ailleurs. Mission réussie pour Hélène : « Recevoir pendant les vendanges, c'est compliqué, il faut une sacrée organisation. Mais ça vaut le coup de faire partager ses passions et la réalité du terrain, même lorsque le pressoir tombe en panne », confie-t-elle.

Direction Castres-Gironde, au château Ferrande (groupe Castel), pour une dégustation des vins de quarante propriétaires des Graves. Les vingt-huit journalistes et blogueurs conviés s'y retrouvent alors qu'ils ont passé le début de la matinée dans divers domaines en petits groupes.

Sylvain Patard, rédacteur en chef du guide Gilbert & Gaillard, hébergé au château Camus, apprécie l'accueil personnalisé dont il a bénéficié. S'il ne fera pas d'article dans son trimestriel en anglais qu'il vient de boucler, il compte bien poster trois vidéos de la dégustation sur le site web de son journal. Et son coup de coeur ira au château Magence 2012 qu'il juge « excellent ».

Amélie Nollet, blogueuse (sh@re Bordeaux), a annoncé tôt ce matin sur Twitter, Instagram et Facebook qu'elle allait visiter les vins de Graves. « Je suis passionnée par le vin et les histoires de viticulteurs. C'est cela que je veux faire partager. »

Jonathan Choukroun Chicheportiche, du magazine Vert de vin qu'il a lancé, a déjà dégusté une dizaine de blancs. Parmi ses préférés, Clos Floridène, « très bon rapport qualité-prix » ou encore château-de-castres.

13 heures, chacun doit filer dans la propriété qui le reçoit à déjeuner, avec un ou deux autres journalistes. Nous prenons la route d'Ayguemorte-les-Graves pour nous rendre au château Lusseau (7 ha en bio, 30 000 cols, 40 % à l'export). Sous les arbres, devant la bâtisse cernée de vignes, la table est dressée dans un décor champêtre à l'ambiance bucolique. Autour de la table, toute la famille est présente : Bérengère Quellien, qui dirige la propriété, ses parents et son frère. Bérengère est comme un poisson dans l'eau : « Je suis très heureuse de participer à ce type d'opération. Cela permet d'avoir un regard critique extérieur sur ce que nous faisons. »

Depuis 2010, la vigneronne reçoit des journalistes à chaque voyage de presse. « Il faut être disponible, mais on est payé en retour : les retombées sont excellentes en termes de papiers. Ainsi, les clients nous appellent parce qu'ils ont lu un bon article sur notre vin. » Des retombées dans la presse, mais pas seulement. Un journaliste belge qu'elle a accueilli en 2012 l'a mise en contact avec un importateur. Aujourd'hui, le domaine réalise 20 % de son chiffre d'affaires avec la Belgique.

Tout en savourant le gigot d'agneau servi avec un château-lusseau 2003, le père de Bérengère rappelle que cette année-là fut terrible : le chai a brûlé et le vignoble a été grêlé. Une petite pause avant le fromage : on file dans le chai. Les blancs sont en fermentation. Une ouvrière remonte une cuve de merlot. Retour à table. Entre le fromage et la tarte aux pommes, la conversation prend un autre tour. Au diable les questions techniques : on parle de chasse, du renard qui a tué quatre poules, de la présence envahissante des sangliers en hiver. Un vrai repas de famille. Fabrice Dolegeal, de l'International New York Times, savoure le moment. Son article va porter sur l'accueil dans les propriétés familiales de l'appellation.

Mercredi 28 septembre, c'est le jour des pessac-léognan. Nous avons rendez-vous à 9 heures avec Laurent Cisneros, propriétaire du château Rouillac, à Canéjan (24 ha, 150 000 cols, 15 % à l'export). Les deux journalistes chinois qu'il loge sont déjà partis visiter un autre domaine. Ne reste qu'Ana, jeune Italienne qui fait son Master of Wine à Londres. Laurent Cisneros, la silhouette musclée, lui raconte ses « chemins de vie ». Jeune, il est footballeur semi-pro. En 1999, il devient patron de la petite entreprise familiale de chauffage qu'il développe et revend en 2009. L'année suivante, il tombe amoureux du château Rouillac, de sa chartreuse construite par le baron Hausmann, de ses écuries et l'achète.

Tout en donnant ces explications, il entraîne Ana vers le cuvier, puis dans la salle de dégustation où il lui fait goûter « Dada », un blanc de 2015, élevé sur lies pendant dix mois. Dada ? Un clin d'oeil à la passion que Laurent Cisneros, cavalier émérite, nourrit pour l'équitation, comme ses trois filles. Ana note les investissements réalisés, la suppression des pesticides, l'utilisation des chevaux de trait. Une petite visite dans les écuries s'impose. Un percheron, un des chevaux de trait qui participent aux labours sur quelques hectares, mâchouille tranquillement son foin. Ana est sous le charme.

Laurent Cisneros, responsable de la promotion de l'AOC Pessac-Léognan est à son aise : « Les journalistes sont pris en mains par les propriétaires de façon individuelle. Nous faisons du sur-mesure. » Est-ce contraignant ? Nullement. « Notre intérêt est d'expliquer et de faire connaître nos vins et nos pratiques. »

10 h 30 : tous les journalistes et blogueurs se retrouvent au château Le Sartre, à Léognan, pour une dégustation de rouges et blancs. Chacun est assis à une table, doté d'un livret qui rassemble toutes les fiches techniques des vins dégustés (17 rouges, 14 blancs). François Pierssens, d'Evolution Media Group, un groupe de presse belge spécialisé dans la restauration, apprécie de découvrir des propriétés familiales : « J'informe les acheteurs belges des opportunités en termes de qualité et de prix. » Geneviève Guihard, de la web radio « radiodugout.fr » et du site web « infosvin », a un faible pour le château Haut-Bergey. Membre du jury du concours de vins bio organisé par Pierre Guigui, elle compte axer son papier sur les propriétés en bio.

13 heures, un petit noyau est invité au château Latour-Martillac (50 ha, grand cru classé de Graves). Tristan Kressmann, le propriétaire, accueille ses convives sur le perron. En apéritif : un blanc 2006. Annie Cai, une Chinoise trentenaire collaborant à Times Média, mitraille la bouteille avec son appareil photo, puis s'attarde devant le tableau des ancêtres, dans l'un des salons. Tristan Kressmann prend plaisir à évoquer l'histoire de sa famille. Aux murs, les portraits d'Édouard, le précurseur, et de Jean, le père de Tristan.

C'est l'heure du déjeuner dans la salle à manger familiale. En anglais, Tristan évoque la plus ancienne parcelle de la propriété (65 ares) plantée de sémillon, de sauvignons gris et blanc et de muscadelle. Autour de la table, on n'entend que le cliquetis des couverts. Visiblement, l'assistance est intimidée. Avec le rouge 1975, les langues se délient. La question des traitements phyto et du bio vient sur le tapis. Tristan parle d'agriculture raisonnée, de plantations de haies, de confusion sexuelle. À regret les invités quittent la table. D'autres propriétés les attendent.

Un accueil personnalisé des invités

 PHILIPPE ROY

PHILIPPE ROY

Depuis cinq ans, les syndicats des Graves et de Pessac-Léognan mutualisent leurs efforts pour faire venir la presse sur leurs terres. Ils allouent ainsi un budget de 20 000 € pour prendre en charge les frais de voyage d'une trentaine de journalistes et blogueurs (28 cette année), mais non l'hébergement qui est assuré par des viticulteurs. « Nous avons un déficit d'image par rapport aux saint-émilion ou aux médocs. Cette opération nous permet de montrer les familles de vignerons dans leur quotidien et leur savoir-faire », indique Tristan Kressmann (photo), président du Conseil des vins de Graves. Le voyage de presse dure deux jours. Les journalistes sont logés par petits groupes dans un château. En une journée, ils visitent deux propriétés et participent à une dégustation et à un dîner collectifs. Une quinzaine de domaines assurent l'hébergement et plus d'une vingtaine accueillent les visiteurs pour les déjeuners et dîners. Les journalistes apprécient cet accueil personnalisé.

PETIT GUIDE À L'USAGE DES VIGNERONS RECEVANT LA PRESSE

- Soyez souples et patients. Les médias donnent au dernier moment leur disponibilité. Quant aux journalistes stars, ils viennent quand ça leur chante.

- Sachez vous libérer durant les vendanges. C'est contraignant, mais c'est la période la plus pertinente pour montrer tout votre savoir-faire.

- Repérez les profiteurs. Certains journalistes viennent pour se mettre les pieds sous la table.

- Évitez de présenter trop de vins à la dégustation. Les journalistes se lassent.

- Faites les comptes. Même si l'accueil de journalistes engendre des frais, c'est peu par rapport aux prix d'une page de publicité dans un magazine. Si un article paraît, il ne vous aura pas coûté bien cher.

- Suivez les retombées au travers d'un « press book ».

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