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DOSSIER - Au coeur d'une petite vendange

Achat de vendange Un dispositif inadapté

INGRID PROUST, CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 36

Alors qu'il a de nouveau été autorisé cette année, l'achat entre récoltants a été très peu utilisé, du moins en Indre-et-Loire et en Bourgogne. Les règles sont trop restrictives.

INDRE-ET-LOIRE

Le salut loin de chez soi

Le système d'achat de vendanges entre récoltants a, semble-t-il, été peu utilisé dans l'Indre-et-Loire. Difficile en effet de trouver des vignerons qui s'en sont servis. Pourtant, les syndicats l'ont réclamé. « Ce dispositif est contraignant et limité. J'ai préféré acheter des raisins avec ma carte de négoce », explique un producteur qui n'a fait qu'une maigre récolte.

À Vouvray, le président de l'ODG, Jean-Michel Pieaux, avait appelé très tôt les viticulteurs épargnés par le gel à être solidaires de leurs collègues moins chanceux en leur fournissant des volumes. Il y voyait un excellent moyen « de se soutenir les uns les autres au sein de l'AOC » et de maintenir la production de l'appellation. Mais les choses se sont passées différemment. Des viticulteurs épargnés par le gel ont vendu une part de leur récolte à des collègues d'autres appellations. « Ces raisins seront vinifiés en vins de France », déplore le président.

Les acheteurs étaient déjà rodés car ils possédaient une activité de négoce. Nombre de vignerons ont créé de telles structures ces dernières années dans le Val de Loire. C'est le cas pour l'AOC Montlouis où des exploitants très touchés par le gel ont acheté dans ce cadre de la récolte qu'ils vinifient en vins sans IG.

Plusieurs d'entre eux sont même allés s'approvisionner bien au-delà du Val de Loire. « Face au gel, on ne s'est pas laissés abattre. Il faut avoir l'esprit d'entreprise », souligne Damien Delecheneau. Basé à Amboise, au domaine de la Grange Tiphaine, ce vigneron possède une carte de négoce. Pour pérenniser son entreprise et fournir ses marchés, il a acheté du sauvignon à Bergerac et du chenin vers Limoux qu'il a vinifiés en vins de France.

Jusqu'à l'Aude

La cave des producteurs de Montlouis a fait de même. Cette coopérative qui représente la moitié de l'appellation est allée acheter 2 500 hl de chenin à Limoux et dans le Val de Loire, soit 30 % de sa production habituelle.

Même le président de l'AOC, François Chidaine, s'est rendu dans l'Aude. « Je suis allé prospecter puis j'ai choisi et réservé des parcelles chez des producteurs. Je leur ai indiqué mes souhaits en matière de maturité. J'ai acheté ces volumes jusqu'à 1,30 €/l. J'ai accepté de payer des prix nettement supérieurs aux cours moyens des vins sans IG dans cette région, qui sont vraiment bas. On ne peut pas se lamenter sans rien faire. Il faut positiver. » INGRID PROUST

BOURGOGNE

Beaucoup de regrets

Après une saison difficile, Xavier de Boissieu a fini par avoir un peu chance. Situé à Leynes, en Saône-et-Loire, à cheval sur la Bourgogne et le Beaujolais, il a trouvé « par le bouche-à-oreille » l'équivalent de 40 hl de beaujolais. Seule condition pour que l'affaire soit conclue : il devait faire ramasser lui-même les raisins puisque le vendeur était en cessation d'activité. Xavier de Boissieu a tout négocié à 310 €/hl. C'était de la vendange certifiée bio, comme son domaine.

Sur 11 ha, le Château de Lavernette a finalement vinifié « une demi-récolte », alors qu'il a subi 70 % de pertes du fait de la grêle qui a ravagé le Sud de la Bourgogne et le Nord du Beaujolais au printemps. Désormais, pour le vigneron, le plus dur est fait car il ne craint pas les démarches administratives liées à cet achat exceptionnel de vendange. « Il y a une ligne spéciale sur la déclaration de récolte. Ça a l'air assez simple », observe-t-il. Et pour l'avenir, il réfléchit à créer un négoce.

Xavier de Boissieu fait exception. Bien rares en effet sont les Bourguignons qui ont acheté de la vendange avec le statut de récoltant, alors qu'ils y étaient autorisés. Deux freins sont apparus. Comme les aléas climatiques ont touché de larges zones, l'offre a fait défaut. « Nous avons tous subi des pertes », expliquent les producteurs. Face à cette situation, la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne (CAVB) avait demandé que les producteurs soient autorisés à acheter de la vendange dans d'autres appellations que les leurs. Une demande qui a été refusée par l'Inao.

Le problème de la référence

En appellation Mâcon, moins touchée que la Côte-d'Or, c'est la moyenne de référence qui pose un problème. À cause des petites récoltes successives, elle a fini par baisser, limitant les possibilités d'achat. Anonymement, un vigneron explique les difficultés qu'il a rencontrées : « Pour acheter, il faut s'organiser à l'avance. Mais comment prévoir exactement ce qu'on va vendanger ? Plus ou moins de 30 % de pertes ? C'est le seuil à partir duquel on peut acheter et qui est calculé par rapport à une récolte moyenne. Mon cas est compliqué car j'ai repris des vignes. Je suis passé de 7 à 12 ha. La production de mon exploitation a donc augmenté. Malgré 30 % de perte, ma récolte 2016 est supérieure à 80 % d'une récolte moyenne qui, elle, est calculée sur 7 ha et non sur 12. Les Douanes m'ont menacé de poursuites si j'achetais de la vendange comme récoltant. Je n'allais quand même pas prendre un avocat pour obtenir gain de cause ! »

Finalement, seuls les vignerons possédant déjà une carte de négoce ont réalisé des microtransactions pour compléter leur gamme ou répondre à leurs marchés. Mais comme les cours se sont envolés, ils ne sont pas assurés de réaliser une plus-value sur ces opérations. CÉDRIC MICHELIN

Garder la capsule de récoltant

La dérogation pour achat de vendange permet de conserver la capsule de récoltant sur les vins de la vendange achetée, sachant que ces vins ne peuvent pas afficher le nom de l'exploitation sur leurs étiquettes. Elle a de nouveau été accordée cette année, malgré les incertitudes autour de sa légalité, aux conditions suivantes :

- avoir une récolte de plus de 30 % inférieure à la moyenne des récoltes déclarées au cours des cinq dernières campagnes, en excluant la plus forte et la plus faible de ces cinq récoltes ;

- la récolte finale ne peut pas dépasser 80 % d'une récolte moyenne ;

- les vendanges achetées doivent provenir des mêmes cépages et appellations que ceux récoltés par l'acheteur.

Ceux à qui ces conditions ne conviennent pas peuvent toujours acheter en tant que négociant. Rien ne s'y oppose.

Le Point de vue de

MARIELLE HENRION, DU CHÂTEAU DE L'AULÉE, 35 HA, À AZAY-LE-RIDEAU

« Un moment d'entraide entre vignerons »

MARIELLE HENRION vinifie à part la vendange qu'elle a achetée : du cabernet rosé du viticulteur F. Rolland. © C. WATIER

MARIELLE HENRION vinifie à part la vendange qu'elle a achetée : du cabernet rosé du viticulteur F. Rolland. © C. WATIER

À Azay-le-Rideau, le château de l'Aulée a été durement frappé par les gels d'avril dernier. Marielle et Arnaud Henrion ont perdu 80 % de leur récolte. Ces vignerons produisent des touraines méthode traditionnelle, touraine-azay-le-rideau, crémant de loire et chinon. Ils ont eu recours au dispositif d'achats de vendanges et de moûts entre récoltants sans carte de négoce. « J'ai acheté du cabernet franc et du chenin à des vignerons en AOC Touraine, en Loir-et-Cher et dans le vignoble d'Azay-le-Rideau, explique Marielle. Ces volumes représentent plus de 4 hectares. Les formalités ne m'ont pas paru compliquées : les services de l'État demandent un document douanier pour le transport des raisins et des moûts et on doit notifier les volumes achetés et le CVI du vendeur dans notre déclaration de récolte, c'est tout. Côté prix, nous nous sommes mis d'accord avec les vendeurs sur un prix intermédiaire entre le cours du moût de cabernet pour le touraine rouge (180-190 €/hl) et celui des moûts destinés à du touraine méthode traditionnelle (120 €/hl). Mes vendeurs n'ont pas profité de la situation. Ces achats ont été comme un geste d'entraide entre vignerons. »

L'essentiel de l'offre

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