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AU COEUR DU MÉTIER

Dans la côte des Bar, chez Christophe Dechannes : B>« Nous devons rajeunir notre clientèle »

FLORENCE BAL - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 46

DANS LA CÔTE DES BAR, Christophe Dechannes a su mettre à profit le réseau de distribution créé par son père pour développer ses ventes. Dans la perspective de la transmission de son exploitation à ses enfants, le vigneron doit continuer à élargir sa clientèle alors que la commercialisation n'a jamais été son fort.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LA FAMILLE DECHANNES, avec Christophe (à droite), son père Roland (à gauche), sa femme Christine et son fils Romain, présente sa gamme de vins dans le caveau d'accueil. FLORENCE BAL

LA FAMILLE DECHANNES, avec Christophe (à droite), son père Roland (à gauche), sa femme Christine et son fils Romain, présente sa gamme de vins dans le caveau d'accueil. FLORENCE BAL

CHRISTOPHE DECHANNES et son fils Romain visitent en septembre une parcelle dans leur vignoble des Riceys. FLORENCE BAL

CHRISTOPHE DECHANNES et son fils Romain visitent en septembre une parcelle dans leur vignoble des Riceys. FLORENCE BAL

CHRISTOPHE ET ROMAIN DECHANNES contrôlent la qualité du remuage d'un lot de bouteilles. Ils réalisent des dégorgements une fois par mois avec un prestataire de services, sauf en août et décembre. FLORENCE BAL

CHRISTOPHE ET ROMAIN DECHANNES contrôlent la qualité du remuage d'un lot de bouteilles. Ils réalisent des dégorgements une fois par mois avec un prestataire de services, sauf en août et décembre. FLORENCE BAL

LES VENDANGES se font avec des caisses percées afin de faciliter l'écoulement des jus.  FLORENCE BAL

LES VENDANGES se font avec des caisses percées afin de faciliter l'écoulement des jus. FLORENCE BAL

« Je ne suis pas un bâtisseur. Je n'ai rien révolutionné. J'ai perpétué une organisation qui existait et qui fonctionnait bien », confie Christophe Dechannes, vigneron dans la côte des Bar, dans l'Aube. À 50 ans, avec son épouse Christine et leur fils Romain qui les a rejoints en 2008, il exploite 8,6 ha de vigne aux Riceys.

Vigneron depuis 1984, Christophe Dechannes s'est installé à son nom en 1986 sur 0,95 ha. Mais il a attendu la cessation complète d'activité de son père, en 2011, pour reprendre sa clientèle particulière et développer la vente de ses propres champagnes. Depuis, il a triplé son chiffre d'affaires. Il conditionne 55 % de sa production en bouteilles qu'il commercialise à une clientèle à 100 % particulière et française. Il vend le solde en raisins et en vins clairs au négoce.

De 1984 à 2000, Christophe travaille avec son père Roland (Champagne Dechannes père et fils) qui vend toute sa récolte aux particuliers. En 2000, ils se séparent. « Le choc des générations, explique Christophe. Je voulais travailler seul, même si j'ai continué à vinifier dans la cuverie de mon père. » Il agrandit sa surface à 4,5 ha de vignes grâce à son grand-père et à sa tante qui lui donnent des fermages. Il tire ainsi ses 4 000 premières bouteilles.

À partir de 2002, il vend, « assez facilement via les connaissances et les amis », 4 000 bouteilles par an sous sa propre marque Champagne Christophe Dechannes. En 2007, son père prend sa retraite. Dès lors, ses vignes sont partagées entre Christophe et sa soeur Élise qui exploite son propre domaine. Le vigneron se retrouve alors à la tête de 8,64 ha. Il achète un pressoir pneumatique Diemme d'une capacité de 6 000 kg pour effectuer des pressurages plus doux, à l'abri de l'air. Un pressoir « qui respecte mieux les moûts » que le Vaslin de 4 000 kg de son père.

Dans le même temps, il se prépare à reprendre la clientèle de son père une fois que ce dernier aura fini d'écouler tout son stock de bouteilles, en 2012. En prévision de cette échéance, Christophe tire davantage de bouteilles. Au départ, il en produit plus qu'il ne peut en vendre en direct. Il se met donc à en écouler sur lattes « pour faire de la trésorerie ».

En 2012, les bâtiments sont partagés à leur tour. Christophe réaménage les 500 m2 qui lui échoient, les isole, les climatise, refait la cuverie en Inox en la complétant de 180 hl. Il installe la thermorégulation qui sera opérationnelle en 2015.

« En 2011, nous avons vendu 30 000 bouteilles dont 10 000 aux particuliers et le reste sur lattes, explique-t-il. L'année suivante, nous avons commercialisé nous-mêmes 37 000 bouteilles auprès des particuliers. La transition s'est bien passée. Nous sommes parvenus à conserver la clientèle de mon père », y compris les dépôts qui assurent la moitié des ventes (voir encadré page suivante). « Ces dépôts approvisionnent une clientèle ancienne, très fidèle mais plutôt âgée, constate Christophe, réaliste. Malheureusement, elle ne se renouvelle pas facilement et achète de moins en moins. » Pour l'instant, l'arrivée de nouveaux clients par le bouche à oreille compense cette érosion. Mais les ventes stagnent, voire s'érodent légèrement.

En 2014, les Dechannes font évoluer leur site internet lancé en 2011 afin de dynamiser les ventes. Ils y introduisent l'achat en ligne, avec paiement sécurisé. Alors qu'ils s'attendaient à voir progresser leur chiffre d'affaires, c'est l'échec. Le constat est rude : à peine quelques centaines de flacons écoulées via la Toile.

« Quelque chose ne colle pas sur notre site », analyse Christophe. En cause, à ses yeux ? « Nous ne pouvons entrer qu'un seul coût de transport, le même pour tout le monde, quels que soit le nombre de bouteilles expédiées et la distance. Du coup, le concepteur du site nous a conseillé d'augmenter nos tarifs de 2 € par col. Non seulement cela ne marche pas mieux, mais ce n'est pas correct vis-à-vis de nos clients. » Il faut aussi dire que, sur leur site, l'on s'y perd un peu pour passer une commande et que la promesse d'un support téléphonique 24 heures sur 24 n'est pas tenue. C'est pourquoi ils vont tout repenser en profondeur.

« La commercialisation n'a jamais été notre fort, admet volontiers Christophe. Nous avons vécu sur nos acquis. Je ne suis jamais allé chez un caviste ni dans un restaurant pour présenter mes champagnes. Ce n'est pas dans ma nature. J'ai eu la chance de ne pas avoir à le faire. Mais, aujourd'hui, nous devons rajeunir notre clientèle et vendre sur Internet et à l'export si nous voulons laisser une exploitation viable à nos enfants. » Laura, leur seconde fille de 23 ans, étudiante en commerce international des vins et spiritueux, devrait s'en charger à son retour sur le domaine d'ici deux à trois ans.

D'ici là, leur gamme de sept champagnes ne devrait guère évoluer. Leur brut tradition - un blanc de pinot noir dans la coutume de la côte des Bar - est leur cuvée phare. Ils en produisent 28 000 cols par an (14 €). Par ailleurs, ils élaborent 5 000 bouteilles de cuvée spéciale - un assemblage de pinot noir et de chardonnay - et 4 000 cols d'un champagne rosé issu d'une macération de 48 à 72 heures du pinot noir.

En 2012, Christophe a complété son offre avec des cuvées plus confidentielles : un demi-sec, un brut 100 % chardonnay et un extrabrut dosé à 4 g/l. Il élabore enfin 1 500 bouteilles de rosé des Riceys tous les quatre ou cinq ans seulement. « C'est anecdotique, mais il faut en avoir. Nous sommes tout de même dans le village des Riceys », commente-t-il.

À la vigne, avec son fils, ils ont « suivi l'évolution du métier sans changer fondamentalement les méthodes de travail ». Depuis une dizaine d'années, ils ont installé un palissage à quatre fils releveurs contre deux auparavant. « Ainsi, nous pouvons relever les premiers rameaux plus tôt. La vigne est mieux tenue. Le travail est plus efficace et plus rapide, assure Christophe. Nous rognons aussi à 1,2 m au lieu de 1 m. »

Le changement le plus important concerne les traitements phyto. « Depuis quelques années, nous avons arrêté l'emploi d'insecticides et d'acaricides dangereux », poursuit-il. Grâce aux avertissements agricoles et au réseau de pluviomètres des Riceys, ils réduisent le nombre de traitements autant que possible. En 2015, six passages d'antimildiou ont suffi. En 2016 - une année difficile -, il en a fallu 11, contre 15 systématiquement auparavant.

Les Dechannes désherbent en prélevée sous le rang avant le débourrement avec du Katana puis réalisent un deuxième passage en postlevée. « Dans l'interrang - sachant que le désherbage total sera bientôt interdit -, nous traitons par taches avec une pompe à dos en attendant l'arrivée de nouveaux herbicides non dangereux, poursuit Christophe. Après les vendanges, nous décompactons les sols avec un vibroculteur. Les pesticides sont un sujet très sensible. C'est une très bonne chose de les réduire, mais il faut y aller avec parcimonie et intelligemment. Nous sommes très conscients que certains produits sans être dangereux ne sont pas spécialement bons pour la santé. »

Il compte désormais renouveler le vignoble, si possible au rythme de 30 ares par an, en replantant les vignes à 1,1 m au lieu de 1 ou 1,05 m. Acheté en 2012, l'enjambeur Bobard 1096 TI à voie variable est parfaitement adapté pour travailler dans ces vignes aux différentes largeurs.

Au printemps dernier, le domaine a gelé. Il n'a été récolté que 8 400 kg/ha sur les 10 800 kg autorisés, réserve comprise. Christophe compensera cette perte en débloquant sa réserve de 2 400 kg/ha au 1er janvier. « Dans notre métier, rien n'est jamais acquis, souligne le vigneron. Nous restons soumis aux aléas climatiques et devons nous adapter. »

Lorsqu'il se penche sur sa carrière, il a le sentiment qu'elle s'est déroulée de manière « tranquille et prévisible », observe-t-il. Et il est fier, tout comme son épouse, d'avoir su attirer sur leur domaine deux de leurs trois enfants pour travailler avec eux.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Il a réussi à reprendre et à conserver toute la clientèle de son père.

Deux des trois enfants de Christophe et Christine Dechannes travaillent avec eux : Romain depuis 2008 et Laura à partir de 2018. Pour les parents, c'est une fierté.

Ils sont contents d'avoir suivi l'évolution de leur métier et d'avoir aménagé des bâtiments fonctionnels, climatisés, avec des cuves thermorégulées.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

« En Champagne, les transmissions de patrimoine sont très coûteuses, souligne Christophe. Avec mon père, nous avons beaucoup trop tardé à nous pencher sur ce problème. Nous n'avons constitué une EARL qu'en 2009. Nous ne voulons pas renouveler cette erreur. Nous anticipons déjà, avec nos enfants, la succession qui ne sera effective que dans une quinzaine d'années. »

Ils ont participé à deux salons non spécialisés en vins : Destination Habitat, à Bellegarde-sur-Valserine, et Vivre le jardin, à Lyon. Ce fut un échec. Ils n'y sont pas retournés.

La mise en place en 2014 du site internet marchand s'est soldée par un échec.

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE La moitié des ventes en bouteilles passent par des dépôts

- Le domaine vend 100 % de ses champagnes à une clientèle particulière française. « Nous faisons encore du commerce à l'ancienne », souligne Christophe Dechannes. Les « dépôts » en écoulent la moitié.

- Les Dechannes laissent des bouteilles « en dépôt » chez de bons clients. Ceux-ci les distribuent ensuite à leurs amis et connaissances, selon leurs besoins. Mais c'est le domaine qui adresse la facture aux acheteurs. Les dépositaires, eux, n'encaissent rien. Ils ne sont pas rémunérés pour le service rendu, mais dédommagés en bouteilles.

- Le domaine travaille avec une quinzaine de « dépôts » : dans le Nord, l'Ouest, les Alpes, la vallée du Rhône, Rodez, Marseille, etc. Le plus important se trouve dans l'Ain et écoule 8 000 bouteilles par an. Christophe livre une à deux fois par an ses dépositaires, ce qui lui permet de les rencontrer, de les aider à stocker et ranger les bouteilles.

- 20 % du chiffre d'affaires en bouteilles se fait par ailleurs au caveau et sur deux salons. Les expéditions, elles, représentent 30 %.

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : le couple et son fils, 1 salarié à temps plein, 1 à temps partiel, des saisonniers.

- Surface : 8,6 hectares.

- Récolte : 461 hl en 2016, 591 hl en 2015.

- Appellations : champagne, rosé des Riceys.

- Cépages : pinot noir (95 %) et chardonnay.

- Plantation : 9 500-10 000 pieds/ha.

- Taille : guyot simple, guyot asymétrique.

L'essentiel de l'offre

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