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CO2 L'ennemi invisible

MARION BAZIREAU - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 70

Mesurer le CO2 dans l'air d'un chai, c'est simple et rapide. Il suffit d'en faire le tour avec un petit détecteur. Épaulé par la MSA, Frédéric Hanse s'est ainsi aperçu que le gaz carbonique présent rajoutait à sa fatigue pendant les vinifications.
CHRISTELLE GUILLET, conseillère en prévention, mesure le taux de CO2 présent dans l'air du chai de Frédéric Hanse, à l'aide d'un petit détecteur portable. © M. BAZIREAU

CHRISTELLE GUILLET, conseillère en prévention, mesure le taux de CO2 présent dans l'air du chai de Frédéric Hanse, à l'aide d'un petit détecteur portable. © M. BAZIREAU

Il y a trois ans, Frédéric Hanse a repris un domaine de 19 hectares, à Rochefort-sur-Loire, dans le Maine-et-Loire. Lorsque nous le rencontrons, le 14 octobre, il est en pleines vinifications. Depuis quelques jours, il se sent fatigué. « Je ne sais pas si c'est dû aux vendanges ou si mon chai renferme trop de gaz carbonique. Ce qui est sûr, c'est que je ressens le besoin de sortir prendre l'air presque toutes les heures. » Il a d'autant plus de raisons d'être prudent que l'ancien propriétaire des lieux avait fait un malaise dans l'une de ses cuves. Heureusement, son ouvrier l'avait découvert à temps.

Des tests gratuits

Pour avoir une idée du risque qu'il court, Frédéric Hanse a fait appel à la MSA du Maine-et-Loire qui réalise gratuitement des diagnostics de CO2. Dans le département, c'est Christelle Guillet, conseillère en prévention, qui officie. Lorsqu'elle pénètre dans le chai, Frédéric Hanse referme la porte derrière elle. « Comme les températures ont chuté depuis quelques jours, je ferme la porte pour conserver la chaleur et ne pas compromettre les fermentations », explique le vigneron. Mais ce bâtiment de plain-pied est dépourvu de ventilation. Résultat : il n'est plus du tout aéré.

« J'ai peur que votre chai renferme beaucoup de CO2 », prévient la conseillère, qui ressort à l'air libre pour étalonner son détecteur. L'écran affiche 0,04 % de CO2 : tout est normal, c'est la teneur en gaz carbonique de l'air ambiant.

Cette vérification faite, Christelle Guillet rentre dans le chai, tenant le détecteur à hauteur de taille. Là, l'appareil s'emballe. Il monte très vite à 0,84 %. C'est trop. En effet, des maux de tête peuvent apparaître dès 0,5 %. En outre, pour combler le manque d'oxygène, on respire plus vite, en inspirant plus d'air « et on hyperventile encore plus si on fait de l'exercice physique, ce qui est le cas dans un chai. C'est un cercle vicieux ».

Au passage, Christelle Guillet rappelle la loi : « Un salarié ne doit pas être exposé à plus de 0,5 % de CO2 sur une moyenne de 8 heures. » Frédéric Hanse n'est pas concerné pour le moment car il travaille seul au chai.

L'audit se poursuit. « Vous allez voir : plus nous nous éloignerons de la porte d'entrée, plus nous trouverons de CO2 car vous avez plus de cuves en fermentation au fond du chai. » En effet, le détecteur grimpe à mesure que nous avançons dans la cuverie, jusqu'à atteindre 1,5 %. Frédéric Hanse sait maintenant à quoi est due sa fatigue. Et encore, seules sept de ses cuves sont en fermentation, pour un total de 300 hectolitres. La récolte est maigre cette année. « D'habitude, je rentre autour de 800 hl », informe le vigneron.

Très vite, des maux de tête

Victime de maux de tête après quelques minutes dans le chai, Christelle Guillet suggère de continuer l'entretien à l'extérieur. « Le CO2 est un gaz inodore et incolore. Un litre de moût en dégage entre 50 et 60 litres en fonction de sa teneur en glucose, avec un pic au quatrième jour de fermentation. Actuellement, j'estime que votre chai renferme 1 800 m3 de CO2. »

Ce gaz lourd se loge dans tous les points bas. L'opération la plus dangereuse est le décuvage d'une cuve enterrée. Frédéric Hanse n'en possède pas. Malgré cela, il ne peut pas garder la tête trop longtemps dans ses cuves en Inox lorsqu'il en retire le marc car il respire mal. Christelle Guillet lui conseille de placer un ventilateur quelques minutes en haut de la cuve, le temps de chasser le CO2 par la porte du bas.

« Lorsqu'une cuve n'est pas aérée, il est fréquent que l'on détecte plus de 6 % de CO2 durant le décuvage. Or, la loi fixe la valeur maximale d'exposition à 3 % pendant 15 minutes. Au-delà, on court des risques importants : la perte de connaissance autour de 10 %, le coma et la mort à 25 %. »

Frédéric Hanse aura la preuve du danger auquel il s'expose dès le lendemain. Après avoir retiré un tiers du marc d'une cuve de cabernet, il mesurera 7,51 % de CO2 à l'aide du détecteur prêté par Christelle Guillet. Aux deux tiers de l'opération, la teneur aura rechuté à 1,51 %. « J'ai également placé le détecteur dans la cheminée d'une cuve pendant un remontage et j'ai trouvé plus de 9,5 % de CO2 », témoigne-t-il.

Une alarme progressive

Pour avertir du danger, les détecteurs de CO2 émettent un premier signal lorsque l'air contient plus de 1,5 % de CO2 et une alarme plus bruyante à 3 %. « Dans le Maine-et-Loire, moins de 200 vignerons en sont équipés, sur les 800 que compte le département », regrette la conseillère.

Pour les inciter, la Fédération viticole réalise une commande groupée tous les ans auprès de l'entreprise ADS qui distribue ce matériel. Les viticulteurs peuvent acquérir un appareil pour 400 € au lieu de 500 €.

Frédéric Hanse est décidé : il va en acheter un qu'il portera à la ceinture. Il prévoit également de faire installer une ventilation avec minuteur. « Pas l'année prochaine, compte tenu de la petite récolte et des plantations que j'ai prévu de faire, mais dans deux ou trois ans. La ventilation me permettra d'extraire le CO2 et, en été, de faire entrer de l'air frais pour refroidir la cave pendant la nuit. »

Encore trop d'idées reçues

À son grand désarroi, Christelle Guillet n'a été sollicitée que par un vigneron cette année. « Soit les viticulteurs prennent le risque CO2 à la légère, soit ils pensent maîtriser le danger. » Malheureusement, ce n'est pas souvent le cas. « Les tests à la flamme sont encore utilisés alors qu'ils indiquent seulement s'il reste de l'oxygène dans l'air. Un briquet peut rester allumé tant que l'air contient au moins 16 % d'O2. Dans le même temps, la teneur en CO2 peut dépasser 3 %, un seuil dangereux », rappelle la conseillère en prévention. « J'ai également vu des vignerons placer un extracteur d'air dans une cuve enterrée et le rejeter dans le chai, ce qui ne sert à rien puisque le CO2 retombe inévitablement dans la cuve. » Dans le Maine-et-Loire, la dernière intoxication mortelle remonte à 2007. Une prise de conscience épargnerait la profession d'un futur accident.

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