« Ces sites sont le bouche-à-oreille version XXIe siècle » Benjamin Albarède, cofondateur de Wine Republik.
« Il suffit d'un clic sur Vivino ou sur une application participative pour saccager la réputation de quelqu'un. » Hélène Huttard, responsable marketing de la maison Jean Huttard. © DR
Le phénomène TripAdvisor gagne la planète vin ! Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, cette application mobile permet à ses utilisateurs de noter et de commenter les hôtels, restaurants, chambre d'hôtes et autres établissements touristiques qu'ils fréquentent. Tout un chacun peut dès lors s'appuyer sur l'avis du public pour choisir le lieu de ses vacances, le restaurant où dîner... À l'heure du Web, la critique et le pouvoir d'influence n'appartiennent plus aux seuls guides et experts.
Les avis sont parfois cinglants. Au grand dam de certains restaurateurs qui ont accusé leurs concurrents d'être les auteurs de commentaires négatifs. Depuis, TripAdvisor a fait le ménage pour maintenir sa crédibilité.
Vivino, chef de file sur la Toile
Sur le modèle de TripAdvisor, des applications pour smartphones et des sites communautaires fleurissent dans le secteur du vin. Le leader se nomme Vivino. Il n'est pas français mais... danois ! Amateur de vin, mais peu connaisseur, Heini Zachariassen l'a lancé en 2010. « Je ne savais rien du vin. J'étais perdu dans les supermarchés. Je voulais changer cela », a-t-il confié à un site néerlandais. Le succès est au rendez-vous. Vivino compte déjà plus de 11 millions d'utilisateurs à travers le monde. « De plus en plus de personnes s'en servent au restaurant et dans les rayons des grandes surfaces pour avoir des informations instantanées sur un vin », assure François Mauss, président du Grand jury européen et observateur averti de ces nouveaux médias.
Vivino « vous dit tout d'un vin », affirme l'entreprise. L'appli permet de photographier une étiquette avec son smartphone. Si elle la reconnaît, elle affiche les notes et les appréciations données par les membres de la communauté Vivino. La note va de 1 à 5. Quant aux commentaires, ils sont libres. L'appli fournit également des données sur le domaine, le vin scanné, les accords mets et vins... Autant d'informations qui éclairent les utilisateurs dans leur choix.
À condition bien sûr que le vin photographié ait déjà été dégusté et noté par les adeptes de Vivino. S'il ne figure pas dans la base de données de l'appli, ses équipes se chargent de le trouver et de renseigner la personne qui a « tagué » (scanné) le vin.
Pour accéder aux commentaires, on peut aussi taper le nom d'un domaine, d'un vin ou d'une appellation dans la fonction recherche de l'application. S'affiche alors une liste de vins correspondant à la recherche.
Des sites français se lancent
Dans le sillage de ce pionnier, plusieurs start-up françaises prennent le train en marche. WineAdvisor, Twil - pour The Wine I Love (le vin que j'aime) -, Les Grappes ou Wine Republik, spécialisé dans les vins bio, ont récemment vu le jour. À l'instar de Vivino, les deux premières ont développé une appli pour smartphone et un site internet. Elles aussi permettent de scanner l'étiquette d'un vin pour accéder aux commentaires et notes du public. En revanche, les deux autres existent uniquement sous forme de sites internet classiques.
Moins célèbres que Vivino, les applis et sites français drainent des communautés d'utilisateurs bien plus petites. « La communauté, c'est la partie la plus difficile à constituer, souligne Benjamin Albarède, cofondateur de Wine Republik. Nous avons organisé 70 événements dans des restaurants branchés de la capitale où nous avons fait déguster au public les vins des vignerons que nous avons référencés. Notre communauté a démarré de cette manière et continue de se consolider aujourd'hui. »
Sur les applis et sites français, les commentaires sont donc moins nombreux que sur Vivino. Pour amorcer la pompe, WineAdvisor, lui, a fait appel à des professionnels parmi lesquels Dominique Laporte, meilleur sommelier de France. Ce site demande ainsi à ses partenaires de commenter les vins quand le grand public se contente, bien souvent, de les noter de 1 à 10, « d'aimer » ou d'attribuer des coups de coeur.
Des utilisateurs qui ne mâchent pas leurs mots
Qui sont les autres commentateurs ? « Des gens de tous âges, des hommes comme des femmes, répond Sarah Duplaa, chargée des partenariats et des relations presse du site Les Grappes. Certains aiment le vin, mais ne savent pas choisir. D'autres sont plus "pro". Des associations oenologiques commentent et notent beaucoup sur notre site. » Ailleurs aussi, ce sont des amateurs en herbe ou éclairés, des cavistes, des sommeliers... qui donnent leurs impressions sur les vins qu'ils ont dégustés. Ce sont les nouveaux critiques du vin et ils comptent bien faire entendre leur voix.
Comme sur TripAdvisor, il leur arrive d'être très durs. À propos d'un médoc 2013, un contributeur de Vivino écrit : « Cru bourgeois ne méritant même pas une appellation Médoc tant ce vin est détestable : acidité à tous les étages, déséquilibre total, limite buvable. Dégusté à H+1 et H+8 après l'ouverture : même combat. J'aurais dû me méfier de cette étoile montante de la vinification bordelaise qui passe certainement plus de temps à soigner son image qu'à faire de beaux vins de plaisir. »
À ce « post » gratiné, un autre membre a répondu : « Merci pour l'info ! On évitera d'en acheter. » Bien entendu, tout n'est pas dans cette veine. Il y a aussi beaucoup d'avis positifs : « Très beau vin d'Ardèche, parfum de vanille très présent, belle découverte », indique un membre de Vivino au sujet de la cuvée Le Liby 2012, une IGP Ardèche du château Les Amoureuses. Un autre commente : « Merci pour cette découverte, les vins d'Ardèche ne sont pas connus et c'est dommage. »
Pour les concepteurs de l'application, chacun est libre de ses commentaires. « Vivino est une plateforme "crowd-sourced", expliquent-ils. C'est-à-dire alimentée par ses utilisateurs. Leurs opinions leur appartiennent. Toutefois, nous supprimons les commentaires qui ne respectent pas nos conditions générales : fausse déclaration, utilisation de l'identité d'une autre personne, diffamation, âge légal... » L'entreprise a ainsi mis en place une équipe afin d'identifier les fausses identités ou déclarations.
L'arrivée de ces sites, « c'est le bouche-à-oreille version XXIe siècle, résume Benjamin Albarède. Avec les nouvelles technologies, on peut très vite toucher des centaines de personnes. » Et les influencer tout aussi rapidement.
Des vignerons exposés...
« Après les réseaux sociaux, les blogs et les forums sur le vin, ces applications mobiles et sites communautaires changent définitivement la donne pour les vignerons, analyse Louise Massaux, responsable de l'agence Vinorealys, à Avignon (Vaucluse). Désormais, la plupart d'entre eux existent sur Internet, même en dehors de leur volonté. Ils ne sont plus à l'abri d'un commentaire négatif susceptible de porter atteinte à leur image. Plus que la communication, ce qui importe, c'est la gestion de l'image. »
Les Grappes en tient compte. Ce site permet aux vignerons de dialoguer avec les internautes. « Beaucoup de plaisir, une très belle surprise, écrit un utilisateur du site à propos du champagne Marteaux. À ce prix-là (17 €) n'achetez plus jamais en supermarché. Je le trouve fruité, particulièrement aromatique, avec de belles bulles également. Après une première commande de six bouteilles, j'en ai recommandé douze tout de suite. » Lætitia Marteau, propriétaire avec son mari Olivier, lui a répondu : « Ravie de vous avoir fait plaisir avec ce champagne et merci pour votre beau commentaire ! »
« Dès que l'une de nos cuvées est commentée par un membre des Grappes, nous recevons une notification par mail. Nous pouvons ainsi suivre les avis et y répondre. Nous le faisons presque à chaque fois. C'est important », remarque Nelly Laurent, assistante commerciale export de Champagne Philippe Gamet, à Mardeuil (Marne), un producteur inscrit depuis peu sur le site. Nelly Laurent apprécie aussi de pouvoir mettre en ligne son actualité, comme d'indiquer les salons où elle sera présente. « Cela entretient les liens avec la communauté. »
... qui parfois l'ignorent
Mais, le plus souvent, les discussions et échanges ont lieu à l'insu des vignerons et domaines concernés. Ainsi, Alain Maufras, propriétaire du château Pontac Monplaisir, à Villenave-d'Ornon (Gironde), ignorait totalement l'existence de Vivino avant que La Vigne le contacte. Plusieurs de ses cuvées y sont pourtant commentées en bons termes. « Je ne suis pas du tout branché smartphone ou Internet, indique-t-il. J'ai confiance dans la qualité de mes vins. A priori, je n'ai pas à m'inquiéter de ce que l'on peut dire d'eux sur la Toile. »
Guillaume Conti, du château Tour des Gendres, à Ribagnac (Dordogne), est moins rassuré. Il a appris de la bouche d'un client que sa cuvée La Gloire de Mon Père était notée 8,1/10 sur WineAdvisor. « Le texte qui la présente a été repris sur notre site internet sans que nous en soyons informés, raconte-t-il, un brin agacé. Qui plus est, la photo de la bouteille n'est pas la nôtre ! » Il ne savait pas non plus que son vin se trouvait à la vente sur l'application. « Heureusement, il est à un prix proche de celui pratiqué par nos cavistes, 14,50 € », fait-il valoir. Pour le proposer à ses membres, WineAdvisor nous a confié se l'être procuré auprès d'un revendeur du domaine.
Des commentaires de clients dont il faut savoir tirer profit
De son côté, Nicolas Ravel, conseiller viticole à la Cave de Tain-l'Hermitage et en charge de la communication digitale, a pris les choses en main. Il a téléchargé Vivino sur son mobile et y a créé un compte au nom de sa coopérative. « Je peux suivre les avis postés sur nos vins, explique-t-il. Je les transmets à nos oenologues et commerciaux, afin qu'ils sachent ce que les consommateurs pensent de nos produits. »
Pierre-Olivier Blondel, directeur commercial du groupe Marrenon à La Tour-d'Aigues, en charge du développement digital, possède lui aussi l'appli sur son smartphone et en fait le même usage. « C'est un formidable outil pour recueillir les retours des clients, relate-t-il. Par exemple, notre rosé Pétula a été noté et commenté par 87 membres de Vivino à ce jour. Les remarques étant positives, on se dit qu'on travaille dans la bonne direction. »
Ni lui, ni Nicolas Ravel n'ont répondu aux commentaires des utilisateurs de Vivino. « Je veille sur les informations qui circulent à notre sujet, justifie Nicolas Ravel. Je n'ai pas répondu aux critiques sur Vivino, mais il m'est déjà arrivé de répondre à des avis négatifs postés sur Twitter ou sur le forum La Passion du Vin que nous suivons depuis plus longtemps. »
Hélène Huttard, responsable marketing de la maison Jean Huttard, à Zellenberg (Haut-Rhin), n'a encore jamais essuyé d'avis négatif sur le Net, mais elle a conscience des dangers. « Il suffit d'un clic sur Vivino ou sur une application participative pour saccager la réputation de quelqu'un, affirme-t-elle. Nous gardons au moins une bouteille de chacune de nos cuvées par millésime. Si l'une d'elle est mal jugée, nous pouvons vérifier sur pièce et répondre à l'auteur du commentaire. Soit en nous excusant, si le défaut est avéré. Soit en montrant notre désaccord de manière polie. »
Reste à savoir si les avis élogieux ont un effet sur les ventes. Mona Roson, en charge de la communication digitale et de l'accueil au château de Reignac, à Saint-Loubès (Gironde), en est convaincue. Elle a référencé toute sa gamme sur Vivino où ses vins suscitent de nombreux commentaires positifs. « Vivino a un impact sur nos ventes, même si nous n'avons aucun moyen de le mesurer. Je me dis qu'à force de voir nos vins bien notés sur cette application, les gens doivent vouloir les goûter. »
4 CONSEILS DE « LA VIGNE » POUR FAIRE BON USAGE DE CES NOUVEAUX MÉDIAS
- Créez des alertes
Pour surveiller ce qui se dit sur vous et vos vins, rendez-vous sur Google Alertes. Une fois sur le site tapez les mots pour lesquels vous souhaitez créer une alerte : le nom de votre domaine, de vos cuvées, de votre appellation, votre nom... Dès qu'ils seront cités sur Internet, Google vous adressera un mail. Le site Mention procure le même service de manière plus précise. Mais, contrairement à Google Alertes, il est payant (à partir de 29 €/mois).
- Téléchargez les applis
Ces alertes n'étant pas exhaustives, téléchargez les applications qui notent les vins : Vivino, WineAdvisor, Twil... Vous verrez ainsi si votre domaine est commenté par des membres. Le plus simple pour le savoir est de scanner vos étiquettes à l'aide de ces applications.
- Soyez présent sur la Toile
Sachez que vous pouvez créer un compte au nom de votre domaine sur plusieurs applis. Vous pourrez alors entrer des descriptions de vins et de votre domaine et ajouter des photos pour les mettre en valeur.
Sur Vivino, consulter le lien : www.vivino.com/claim-your-winery. Sur WineAdvisor, rendez-vous dans la rubrique Pro du site.
- Restez en veille
Consultez régulièrement les applications. Si vos vins sont commentés, faites part de ces avis à vos équipes : chef de cave ou de culture, agents, commerciaux... Si les applis le permettent, répondez aux commentaires.
Le Point de vue de
Dominique Hutin, oenologue et journaliste du vin
« L'influence de ces médias va aller s'amplifiant »
« Ces applications et sites participatifs racontent les expériences des consommateurs et répondent au besoin du public de parler du vin d'une nouvelle façon. Ce que ne font pas les revues spécialisées dont le discours est à sens unique et relativement standardisé.
Avec ces nouveaux outils, les contributeurs débattent, échangent et partagent leurs avis. Il y a donc fort à parier que leur influence va s'amplifier au détriment des médias traditionnels. D'autant que la plupart de ces médias n'ont pas pris le virage du numérique et qu'on leur reproche parfois les liens trop étroits qu'ils entretiennent avec les vignerons qui font de la publicité dans leurs colonnes. Avant l'apparition de ces applications communautaires, les réseaux sociaux avaient déjà bouleversé la diffusion de l'information. L'exemple des vins naturels est flagrant. Grâce à la présence active de leurs producteurs et de leurs amateurs sur Facebook, Twitter, etc., ils se sont fait connaître très rapidement. À titre de comparaison, il a fallu vingt-cinq ans aux vins bio pour sortir de l'ombre.
Les médias classiques auraient intérêt à avoir une approche plus "grand public". En radio, on appelle cela le "bénéfice auditeur", c'est-à-dire jouer la proximité avec ceux qui nous écoutent. À France Inter, où j'ai animé une chronique sur le vin au cours de l'émission dominicale "On va déguster", j'ai quitté mon statut d'expert. Je présentais deux vins par semaine, parfois en poussant la chansonnette ou en lisant des poèmes. La liste des vins dont je ne parlais pas, faute de temps, se trouvait sur le site de l'antenne. La première fois que nous l'avons fait, quelque 3 000 auditeurs l'ont téléchargée. À condition de s'en donner les moyens, les médias du vin ont encore de beaux jours devant eux. »
Le Point de vue de
Martin Le Touzé, avocat à Paris, membre de Vivino
« Une liberté de parole qu'on ne voit pas ailleurs »
« Je suis passionné de vin. Je me suis inscrit sur Vivino en mai 2015. Très vite, je me suis pris au jeu. Aujourd'hui, je consulte le site tous les jours et j'en suis devenu un membre actif. Mon profil compte 337 "followers".
La fonction que j'utilise le plus ? Le commentaire de vin. Je note toutes les bouteilles que je déguste, de 1 à 5, suivant l'échelle de Vivino. Je n'hésite pas à mettre une mauvaise note si le vin n'est pas à la hauteur. Puis, je fais mon commentaire en décrivant la robe, le nez, la bouche. J'essaie d'être appliqué, constructif et vivant : j'évoque toujours le contexte dans lequel j'ai dégusté le vin, chez un ami, sur les conseils de mon caviste, etc. Je lis également les commentaires des autres membres et je dialogue avec eux. À mon sens, c'est le principal intérêt de Vivino, l'échange entre passionnés sans le filtre des critiques de vin et avec une liberté de parole que l'on ne voit pas ailleurs. Les revues, les critiques et les guides spécialisés ont souvent un ton professoral, convenu, un tantinet barbant. D'une année sur l'autre, on sait de qui et de quoi ils vont parler. Ici, ce n'est pas le cas.
Grâce aux membres de la communauté Vivino, j'ai également fait des découvertes, comme le Château des Tours, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), ou le domaine Jean Foillard, à Villié-Morgon (Rhône). Je me les suis procurés chez mon caviste. Vivino a donc influencé mes achats de vins. J'y vois un autre avantage pour les vignerons : les vins ne sont pas notés en fonction de leur appellation, de leur statut ou de leur rang, comme le font les guides. Ici, même un vin à moins de 10 € peut décrocher une note de 5/5. »
Le Point de vue de
À la demande de TripAdvisor, vous avez évalué son influence sur l'industrie du tourisme en France. Qu'avez-vous constaté ?
Marion Amiot : L'influence de TripAdvisor est conséquente. Ce site détient 30 % du trafic en ligne lié au tourisme. Il devance Voyage SNCF ou encore Booking.com. D'après notre étude, il a inspiré 20,3 millions de voyages en France, en 2014, effectués à 70 % par des visiteurs étrangers. Nous évaluons à plus d'un million le nombre de séjours qui n'auraient pas eu lieu sans TripAdvisor, en France, en 2014. De même, près de 10 millions de nuits n'auraient pas été réservées. Pour finir, le site a engendré 15,3 milliards d'euros de dépenses liés au tourisme, dont 800 millions n'auraient pas été injectés dans l'économie nationale sans son existence.
À partir de quand ces sites arrivent-ils à influencer les consommateurs ?
M. A. : Lorsque leur communauté devient suffisamment importante. TripAdvisor comptabilise ainsi 340 millions de visiteurs uniques par mois et enregistre plus de 230 contributions par minute ! On comprend que cela puisse compter.
L'arrivée de TripAdvisor a-t-elle eu des conséquences sur l'offre touristique ?
M. A. : Oui. Les avis publiés sur le site ont poussé les établissements à améliorer leurs services. Autre impact et non des moindres : TripAdvisor a généré 12 000 emplois directs et indirects dans l'industrie du tourisme en France.