Il y a des bouteilles plein les paillasses du laboratoire de la cave coopérative Arnaud de Villeneuve, à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), ce 23 novembre. Les assemblages ont démarré plus tôt qu'à l'accoutumée. « Nous avons un tiers de récolte en moins. Il nous manque environ 30 000 hl. Les acheteurs ont réservé du vin plus tôt et demandent à le récupérer. En ce moment, nous dégustons presque tous les jours », explique Anne Tixier, directrice de la production.
Pour l'épauler, Anne Tixier peut compter sur deux consultants de l'Institut coopératif du vin (ICV) : Laurent Duret, qui intervient au vignoble et l'aide à vinifier les vins doux naturels, et Hélène Teixidor, qui l'appuie sur les vins secs. Au total, ils sortent une cinquantaine de références. 40 % de la production est conditionnée, moitié bouteilles moitié Bib.
« Nous pensont aux assemblages dès le printemps, chez les 350 adhérents de la coopérative », expose Laurent Duret. Les viticulteurs doivent en effet respecter un cahier des charges, qui détermine la qualité et le prix des raisins. « Par exemple, pour le côtes-du-roussillon rouge qui représente chaque année près de 25 000 hl, nous avons défini trois qualités de raisins. Dans la plus haute, nous ne tolérons pas plus de 5 % de grappes et de feuilles altérées. »
Durant plusieurs mois, cinq techniciens viticoles de la coopérative parcourent chaque semaine les quelque 2 500 hectares de la cave. « En cas de dégradation de l'état sanitaire ou de blocage de la maturité, comme cette année, ils peuvent rétrograder une parcelle, poursuit la directrice de production. Cela arrive aussi lorsque la demande du marché évolue. Nous classons toujours plus de raisins que nécessaire dans la catégorie ADV, qui correspond à nos bouteilles, pour parer à un éventuel accident climatique », ajoute-t-elle.
À l'approche des vendanges, les passages dans les vignes se font plus fréquents. En complément des analyses classiques, Laurent Duret goûte les baies destinées à la cuvée ADV chaque lundi et jeudi. « Je vérifie leur maturité phénolique et confirme leur catégorie », rapporte l'oenologue. Puis, il remet un compte rendu au responsable viticole de la cave qui établit le planning des vendanges.
Les lots sont vinifiés parcelle par parcelle. Cette année, la cave a produit 60 000 hl. « L'équivalent de 400 cuves en fermentation, que nous dégustons toutes au moins une fois par semaine, à deux et par type de vin : blanc, rouge traditionnel, rouge thermovinifié, rosé, muscat sec ou muscat doux et rivesaltes. Nous nous assurons que les profils des moûts correspondent à nos objectifs, nous orientons les vinifications [lire encadré] et réfléchissons déjà aux associations futures », explique Anne Tixier.
Mais le vrai travail d'assemblage démarre avec les vins sulfités. Les oenologues montent au laboratoire tous les échantillons d'une même couleur, qu'importe leur catégorie. « Le but est de décider quels vins nous gardons pour les bouteilles, lesquels nous mettons en Bib et ceux que nous destinons au vrac, détaille Hélène Teixidor.
Quelques jours après ce premier tri, quand Anne Tixier a refait un point avec l'équipe commerciale, une deuxième dégustation est organisée. Les oenologues travaillent alors par catégorie : bouteilles, Bib ou vrac.
La cave ne révolutionne pas la composition de ses cuvées d'une année sur l'autre. « Nous avons refondu notre gamme en 2012 et nos clients attendent de la régularité. Par exemple, nous avons deux côtes-du-roussillon rouges : un vin très fruité, composé à 60 % de syrah et 40 % de grenache, et une cuvée vieilles vignes, plus structurée, à 60 % de syrah, 20 % de grenache et 20 % de mourvèdre. »
Éprouvette graduée en main, Anne Tixier fait plusieurs essais : 1 %, 2 %, 5 % en plus de tel cépage apportent-ils quelque chose ? « Sur les vins doux naturels, les muscats et les blancs, l'ajout de 1% peut vraiment modifier l'harmonie organoleptique », détaille Anne Tixier. Telle cuve se marie-t-elle avec telle autre ou la rend-elle trop austère ? « On peut avoir deux super-cuves qui s'accordent très mal. Avec l'habitude, on sait ce qui va bien s'accorder mais il faut toujours vérifier », commente Hélène Teixidor. Pour réaliser leurs calculs, le binôme s'aide simplement d'un tableur Excel.
La directrice de production fait souvent monter les cavistes au laboratoire. « Je les implique pour qu'ils restent vigilants au chai. En dégustant, ils sentent tout de suite l'impact d'une erreur de quelques litres sur le profil d'une cuvée. »
Une fois les assemblages définis, elle en tire quelques bouteilles. « Nous les redégustons une dernière fois le lendemain », poursuit-elle. C'est l'heure des réajustements finaux. « Si nous ajoutons quelques hectolitres de syrah à la cuvée haut de gamme, nous les enlevons au reste des cuvées, en cascade, des lots les plus chers vers les moins chers. »
Il ne reste plus qu'à bâtir un plan de relogement des vins, pour éviter les cuves en vidange, et à remettre aux cavistes un grand tableau qui détaille les cuves de départ et les cuves d'arrivée. Ils ont à leur disposition des pompes de tous types et de tous débits, de 40 à 400 hl/h, équipées de volucompteurs.
En fin de chantier, chaque cuve est analysée. « Nous vérifions que les consignes ont bien été respectées », conclut Anne Tixier. Il ne reste plus qu'à élever et stabiliser les vins.
Plusieurs recettes de vins
Très bien équipée, la cave Arnaud de Villeneuve peut vinifier différents profils de vin. Pour les entrées de gamme rouges, Anne Tixier a recours à la thermovinification. Les raisins sont égrappés et foulés. Une partie du lot est chauffée pendant 12 heures puis envoyée au pressoir. « Et nous envoyons le jus avec le reste du lot, encuvé de manière classique », explique la directrice technique. Cette année, cet itinéraire a bien fait ressortir le fruité du raisin, souvent victime de blocages de maturité. Après une macération courte, la cuve passe dans un décanteur centrifuge, puis le vin est mis au propre par centrifugation. Les cuvées ADV, vendues en bouteilles par la cave, sont, quant à elle, vinifiées de manière traditionnelle. Après l'égrappage-foulage, les raisins fermentent dans des cuves en Inox thermorégulées et macèrent 6 à 8 semaines avant le décuvage.
Deux logiciels pour y voir plus clair
Pas besoin d'être un pro d'Excel pour gérer les volumes d'assemblage. Des logiciels dédiés à cette opération et simples d'utilisation existent. C'est le cas d'notools Blends, disponible sur iPad. Au menu, une aide à la gestion des assemblages en éprouvettes, le calcul du volume d'assemblage créé et celui du vin qui reste disponible. d'notools Blends est également capable de prévoir les futurs paramètres analytiques du vin d'assemblage.
Si seul ce dernier point vous intéresse, vous pouvez aller faire un tour sur le site de l'IFV Sud-Ouest qui propose, gratuitement, un petit calculateur.