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DOSSIER - Marché foncier : le tour des vignobles

Conseils d'experts Pour bien acheter des vignes

FLORENCE JACQUEMOUD - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 20

L'achat de vigne, pour s'agrandir ou pour s'installer, est une opération délicate qui peut remettre en cause l'équilibre ou le démarrage d'une exploitation. Trois spécialistes vous donnent leurs conseils pour en faire une réussite.

1. Hiérarchisez vos critères

« Si l'on privilégie la vente en bouteilles aux particuliers, mieux vaut acheter en appellation communale, explique Emmanuel Bruno. Vous dégagerez une marge plus importante pour le remboursement de votre investissement. Si l'objectif est de vendre au négoce, il peut être plus judicieux de viser des vignes en appellation générique. » Évaluez aussi les besoins de votre exploitation : vous faut-il des parcelles apportant plus de rendement ? Un nouveau cru ou une nouvelle couleur pour compléter votre gamme de vins ? La réponse à ces questions guidera votre recherche.

2. Évaluez la valeur du bien

Estimer le potentiel d'une parcelle n'est pas évident. « Les choix de taille, de traitements et de fertilisation réalisés par l'exploitant sont autant de critères qui déterminent le comportement de la vigne », souligne Emmanuel Bruno. L'acquéreur doit effectuer lui-même un état des lieux sur place pour juger de la tenue d'une vigne et de son potentiel. Il doit se renseigner sur les pratiques du vendeur. « On peut acheter une vigne très âgée pour l'arracher et replanter, mais à un prix raisonnable, poursuit Emmanuel Bruno. Une vigne de 20 ou 30 ans, qui coûte cher mais dont le rendement est optimal, peut être considérée comme un bon produit. À l'inverse, si elle a plus de 50 ans, l'investissement est réalisé davantage pour acquérir une appellation que pour une capacité effective de production. » Pour Me Laveix, « lorsqu'on achète une propriété, il faut tenir compte des terres, des bâtiments, du matériel, du rendement des vignes, de la qualité du vin mais aussi de sa notoriété et de son fichier clients qui peuvent avoir une valeur considérable ». Dans tous les cas, il faut prendre conseil auprès d'experts locaux qui connaissent bien le secteur. Il faut aussi utiliser les références de la Safer ou les bases de données notariales.

3. Calculez votre besoin en financement

« Lorsque vous achetez des vignes pour vous agrandir, il faut anticiper précisement l'impact de cet achat sur vos besoins en main-d'oeuvre et en matériel, et aussi en trésorerie, souligne Charles Trossat. Vous ne serez payé du produit de cette parcelle qu'au bout de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Vous obtiendrez plus rapidement des revenus si vous vendez la récolte en vrac ou en rosé. Dans ce cas, vous pouvez demander à votre banque un prêt à court terme pour financer les avances aux cultures. En revanche, si vous élevez le vin plusieurs mois et si vous le vendez en bouteilles, il faudra avancer plusieurs années de frais de production. Faute de les prévoir assez tôt, votre situation financière peut être mise en péril et vous devrez renoncer à des investissements. » Pour éviter cela, les banques ont des solutions, comme des prêts de fonds de roulement.

4. Prévoyez un impact sur votre rentabilité

Selon Charles Trossat, « lorsqu'on achète une vigne, la marge dégagée à l'hectare ne permet pas, en général, de rembourser l'annuité d'emprunt » car le retour sur investissement est souvent plus long que la durée de l'emprunt. Pour rembourser, il faut compter sur les revenus dégagés par d'autres vignes ou par d'autres activités. Une partie du bénéfice est alors consacrée à cet investissement et la trésorerie de l'exploitation diminue.

« On a tendance à comparer une annuité de prêt au coût d'un fermage. Or, l'achat d'une vigne génère d'autres charges comme la taxe foncière ou les impôts sur le revenu foncier, acquiesce Emmanuel Bruno. Sous-estimer ces frais peut mettre l'équilibre de l'exploitation en danger, surtout si le contexte économique est difficile. »

5. Sachez négocier le meilleur prix

S'il y a peu de vignes à vendre et beaucoup d'acheteurs, vous avez peu de marge de négociation. Le vendeur est en position de force. La Safer peut intervenir pour le faire « redescendre sur terre », mais l'acheteur a intérêt à ne pas trop attendre s'il ne veut pas être doublé. Pour Me Laveix, on peut tout de même négocier « soit sur la globalité de l'exploitation, soit sur les éléments la composant. Mais l'approche pour déterminer le prix du stock ou des avances aux cultures ne sera pas la même que pour négocier la valeur des vignes, du matériel ou des bâtiments, car les conséquences économiques ou fiscales seront différentes. »

6. N'hésitez pas à passerpar la Safer

Le rôle et le poids des Safer varient d'un département à l'autre. L'important est de se renseigner auprès de conseils (expert-comptable, notaire) pour savoir comment les choses se passent. « Il n'est jamais certain que celui qui a signé une promesse d'achat soit le rétrocessionnaire définitif d'une parcelle ou d'une exploitation, note Me Laveix. S'il y a plusieurs candidats, c'est le comité technique de la Safer qui décide. »

7. Financez en partie votre achat

« Si l'on achète une exploitation, il faut disposer d'un apport personnel d'au moins 25 % du coût, voire 50 %, sinon les banques ne suivent pas, constate Me Laveix. Mais il peut arriver qu'un gros projet bien construitsoit accepté. S'il s'agit d'acheter pour s'agrandir, les banques peuvent financer à 100 %. » « Je conseille toujours d'emprunter, même si on a de quoi s'autofinancer, et de choisir la durée la plus longue, surtout si les taux sont bas, complète Charles Trossat. On peut aussi demander un prêt avec remboursement différé du capital en un à trois ans. L'objectif est de garder un maximum de trésorerie. » « Reprendre une propriété appartenant à un GFA (groupement foncier agricole) peut être une bonne opération car les droits de mutation sont de 125 €, quel que soit le coût des parts, alors que lorsqu'on achète du foncier, ils représentent 6 % environ du coût total », ajoute Me Laveix. En revanche, attention au passif social ou fiscal, inconnu au moment de la cession. Des clauses de garantie doivent protéger l'acheteur.

MAYA SALLÉE ET NICOLAS FERNANDEZ, DOMAINE LA CALMETTE, 7 HA, À TRESPOUX-RASSIELS (LOT) « On a fait une offre de prix »

« Diplômés d'oenologie et d'agronomie, nous étions tous deux salariés, lorsque nous avons décidé de nous installer à Cahors. Beaucoup de vignerons de l'appellation n'ont pas de repreneurs. Dans la commune de Trespoux-Rassiels où nous avons cherché des vignes, c'est le cas de la moitié d'entre eux. Nous avons frappé aux portes pour connaître les domaines à reprendre. En 2016, nous avons acheté 6,5 ha à un vigneron et pris en fermage 0,5 ha qu'il voulait garder en propriété, car la parcelle est proche de sa ferme.

Pour fixer le prix, il nous a demandé de regarder ceux de la Safer et de lui faire une proposition. Nous nous sommes mis d'accord sur le tarif de l'année précédente. Les vignes ont entre 20 et 45 ans. Elles sont magnifiques, c'est aussi pour cela que nous les avons choisies. Elles sont productives, le sol est travaillé, les manquants régulièrement remplacés et le palissage en très bon état. Nous nous sommes installés en indivision familiale. Nous avons investi nos économies et nos familles ont apporté le reste. Nous avons aussi emprunté à la banque pour acheter le matériel et construire un hangar, et nous louons un chai. Autour de nous, beaucoup de gens nous conseillent, nous prêtent des machines et nous préviennent dès qu'un matériel d'occasion est à vendre. C'est une chance car il n'est pas évident de partir de zéro.

Pour partager notre expérience, nous avons créé un blog : http://www.domainelacalmette.fr »

NOS PROS VOUS RÉPONDENT

ME PHILIPPE LAVEIX, notaire en Gironde, président-fondateur de Jurisvin, groupement de notaires spécialisés dans le droit de la vigne et du vin.

ME PHILIPPE LAVEIX, notaire en Gironde, président-fondateur de Jurisvin, groupement de notaires spécialisés dans le droit de la vigne et du vin.

EMMANUEL BRUNO, expert-comptable, AS71 (Accompagnement-Stratégie, Saône-et-Loire)

EMMANUEL BRUNO, expert-comptable, AS71 (Accompagnement-Stratégie, Saône-et-Loire)

CHARLES TROSSAT, conseiller d'entreprise, Cerfrance Drôme-Vaucluse

CHARLES TROSSAT, conseiller d'entreprise, Cerfrance Drôme-Vaucluse

ME PHILIPPE LAVEIX, notaire en Gironde, président-fondateur de Jurisvin, groupement de notaires spécialisés dans le droit de la vigne et du vin.

EMMANUEL BRUNO, expert-comptable, AS71 (Accompagnement-Stratégie, Saône-et-Loire)

CHARLES TROSSAT, conseiller d'entreprise, Cerfrance Drôme-Vaucluse

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