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LOGO FEMMES ENCEINTES La filière se rebiffe

BERTRAND COLLARD ET COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°294 - février 2017 - page 6

La décision d'agrandir le logo femmes enceintes sur les étiquettes des bouteilles, sans concertation avec la profession, n'est pas passée. Face à la fronde, le gouvernement a dû faire marche arrière.
LE LOGO mettant en garde les femmes enceintes contre toute consommation de vin  devra être grossi sur les étiquettes.  © GUTNER ET C.FAIMALI/GFA

LE LOGO mettant en garde les femmes enceintes contre toute consommation de vin devra être grossi sur les étiquettes. © GUTNER ET C.FAIMALI/GFA

Le gouvernement a reculé. Mais il a pris son temps. Le 2 décembre dernier, le comité interministériel du handicap décidait qu'il fallait « améliorer la lisibilité et la visibilité » du logo femmes enceintes, un logo obligatoire sur tous les contenants de boissons alcoolisées depuis 2007. Présidé par le Premier ministre, ce comité estime que le pictogramme est « noyé » dans l'étiquetage.

« Les fabricants favorisent l'harmonie du packaging au détriment de la visibilité et de la lisibilité du message », soutient le comité dans son relevé de décision. Il ajoute que la notoriété du logo est en baisse. Autant de raisons pour augmenter la taille et le contraste du pictogramme dès 2017.

Le comité confie l'exécution de cette décision au ministère de la Santé. À lui de définir la taille du logo et la date de son apparition sur les étiquettes.

Aussitôt, la filière est informée de cette résolution... Qu'elle n'accepte pas. Le 15 décembre, Vin et Société le fait savoir par un communiqué posté discrètement sur son site internet. L'association proteste contre une mesure « imposée de façon unilatérale, sans aucun dialogue ». Mais elle ne tient pas à donner plus de publicité à l'affaire. Elle n'adresse son communiqué à aucun média. S'agissant d'une question de santé publique, elle souhaite faire profil bas.

Pour autant, les choses n'en restent pas là. Vin et Société et les organisations nationales de la production vont appeler à la rescousse les députés et sénateurs des régions viticoles. Le 22 décembre, Philippe Armand Martin et François Patriat, les deux coprésidents de l'Anev (Association nationale des élus de la vigne et du vin), écrivent au Premier ministre. Ils lui demandent « de suspendre le projet de grossissement du pictogramme [...] et d'engager une concertation sur ce sujet afin de trouver une solution plus réaliste et conforme aux objectifs de santé publique ». Ils rappellent que « la filière viticole n'a même pas été consultée alors qu'elle sera la première affectée par ces changements brutaux ».

En cette veille de fêtes, la lettre ne suscite aucune réaction. À la rentrée non plus. Le 11 janvier, les organisations de la production reprennent le dossier en mains. La Cnaoc, la CCVF, les VIF et VinIGP écrivent à une centaine de députés et sénateurs que le grossissement du logo « n'est pas la réponse adéquate » à la prévention du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF). « Support marketing avant tout, l'étiquette n'a pas vocation à apporter des indications médicales détaillées, ajoutent-ils. La prévention des comportements à risque doit s'appuyer sur le personnel médical. » Le courrier des syndicats souligne également l'engagement de la filière dans la prévention des risques. Surtout, il appelle les parlementaires à s'opposer au projet du comité interministériel « inefficace en termes de santé publique ». Étonnamment, le négoce ne prend pas la peine de le diffuser.

Pendant ce temps, la colère gronde. Elle se manifeste sur notre site Vitisphere dès la publication de notre premier article sur le sujet, début janvier. En quelques jours, quantité d'internautes dénoncent le projet de grossissement du logo, le trouvant bien-pensant, inefficace ou coûteux (voir encadré).

À Bordeaux aussi, le ton monte. « Nous avons senti l'exaspération, explique Hervé Grandeau, le président de la Fédération des grands vins de Bordeaux. On nous parlait d'un logo d'un centimètre de diamètre. Et demain, pourquoi pas 2 cm ? Pourquoi pas 3 cm ? Pourquoi pas la bouteille neutre ? Bien sûr que la raison médicale l'emporte sur la raison économique. Il n'est pas question pour nous d'empêcher la prévention. Mais nous pensons sincèrement que le moyen retenu n'est pas approprié. »

Contrairement aux organisations nationales, les Bordelais portent l'affaire sur la place publique. Le 20 janvier, ils organisent une conférence de presse. « On a un coup de gueule à pousser, annonce Hervé Grandeau ce jour-là. La prévention ne passe pas par un logo sur une étiquette. Nous en avons assez de l'invasion des normes. Nos étiquettes n'ont pas vocation à véhiculer des avertissements médicaux. Nous produisons, vendons et exportons. L'inflation normative constitue une charge croissante pour nos exportations. Tout cela finit par peser sur notre compétitivité. »

Bernard Farges est plus polémique. Le président du Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs et de la Cnaoc avance, lors de la même conférence, que la ministre de la Santé défend « une mesure cosmétique, sans doute inspirée par un esprit de revanche à la clarification de la loi Évin adoptée au printemps dernier ».

Avec le recul, Hervé Grandeau ne regrette rien. « Les médias ont repris nos informations au-delà de nos espérances. Et aucun n'a écrit que nous n'avions pas de respect pour les femmes enceintes. »

Du côté des organisations nationales, l'heure est aussi au satisfecit. « Une cinquantaine de parlementaires ont interpellé le gouvernement », affirme Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Cnaoc. Dès le 16 janvier, le Premier ministre a répondu à l'Anev. « Cette question fera l'objet d'une concertation menée sous l'égide des ministères de la Santé et de l'Agriculture à laquelle l'Anev sera pleinement associée », assure Bernard Cazeneuve dans sa lettre. Puis, fin janvier, les syndicats reçoivent aussi l'assurance du cabinet du ministre de l'Agriculture qu'ils seront conviés à la concertation. Pour autant, début février, aucun calendrier ni aucune date de réunion n'étaient encore fixés.

L'affaire restera sans doute au point mort jusqu'au Salon de l'agriculture de Paris, fin février, au moins. Peut-être même sera-t-elle confiée au prochain gouvernement.

LES RÉACTIONS SUR NOTRE SITE VITISPHERE.COM Ils sont contre le grossissement du logo

PIERRE FORGERON, GÉRANT DE LA SCEA FORGERON, 24 HA À SEGONZAC (CHARENTE)

PIERRE FORGERON, GÉRANT DE LA SCEA FORGERON, 24 HA À SEGONZAC (CHARENTE)

PASCALINE LEFERRER, DOMAINE DU GRAND CRÈS, À FABREZAN (AUDE)

PASCALINE LEFERRER, DOMAINE DU GRAND CRÈS, À FABREZAN (AUDE)

ÉRIC WEIRICH, GÉRANT DE LA CAVE LA MÉDOCAINE, (GIRONDE).

ÉRIC WEIRICH, GÉRANT DE LA CAVE LA MÉDOCAINE, (GIRONDE).

PIERRE FORGERON, GÉRANT DE LA SCEA FORGERON, 24 HA À SEGONZAC (CHARENTE)

La filière viticole a-t-elle perdu le pouvoir de dire non ? Visiblement. Nous allons gentiment, tel les moutons de Panurge, rentrer dans le rang, et apposer le beau nouveau logo plus gros. Mais, bon sang, si personne ne le fait, je vois mal l'État amender tous les viticulteurs de France. Même si Vin et Société existe pour contrecarrer certaines décisions, je pense que c'est à nous, vignerons, viticulteurs, de nous emparer de ces sujets... et de dire non.

PASCALINE LEFERRER, DOMAINE DU GRAND CRÈS, À FABREZAN (AUDE)

Je suis mère de trois enfants, grand-mère de sept petits-enfants et vigneronne. Ce logo m'a fait bondir à l'époque. Horrible, dégradant !

On aurait dû se mobiliser. Je regrette que ce n'ait pas été le cas. C'est peut-être anecdotique, mais quel sera le coût de ce changement de logo ? 60 € HT par type d'étiquette. Si seulement cette « taxe » servait à une bonne oeuvre !

ÉRIC WEIRICH, GÉRANT DE LA CAVE LA MÉDOCAINE, (GIRONDE).

Les hôpitaux des autres pays responsables, qui consomment aussi de l'alcool mais qui n'affichent pas de femmes enceintes sur leurs étiquettes de vin, sont-ils encombrés d'enfants d'alcooliques ? La France veut toujours faire mieux dans l'inutile.

Laissez donc les gens vivre, faites de l'éducation à l'école, pas sur les étiquettes.

NATHALIE RENAULT, FILLE D'AGRICULTEURS ET AMATRICE DE VIN (SARTHE)

Demain, de quoi nos pauvres enfants auront-ils la liberté ? Lors de mes grossesses, si j'avais l'occasion de goûter un bon vin à un repas, je ne me suis jamais privée de le faire. En me caressant le ventre, j'ai même dit un jour à mon fils : tu vas goûter avec moi un verre de château Yquem. Le plaisir procuré par cette dégustation est à mon sens moins néfaste que la frustration de ne pas l'avoir fait !

LES RÉACTIONS SUR NOTRE SITE VITISPHERE.COM Ils y sont favorables

DR ALAIN FOURMAINTRAUX, ANCIEN PÉDIATRE GÉNÉTICIEN DU CHU-SUD RÉUNION (ÎLE DE LA RÉUNION)

DR ALAIN FOURMAINTRAUX, ANCIEN PÉDIATRE GÉNÉTICIEN DU CHU-SUD RÉUNION (ÎLE DE LA RÉUNION)

VÉRONIQUE FAUDOU-SOURISSE, VICE-PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION « VIVRE AVEC LE SAF »

VÉRONIQUE FAUDOU-SOURISSE, VICE-PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION « VIVRE AVEC LE SAF »

DR ALAIN FOURMAINTRAUX, ANCIEN PÉDIATRE GÉNÉTICIEN DU CHU-SUD RÉUNION (ÎLE DE LA RÉUNION)

Chers amis viticulteurs, je lutte depuis plus de quarante ans contre l'alcoolisation foetale. C'est pourquoi je vous dis que vous avez tort de vous opposer à un pictogramme lisible pour l'information objective des femmes enceintes. Votre opposition affiche clairement vos liens d'intérêt. La population des femmes enceintes est trop petite pour nuire à votre économie. Et si vous pensez que ce pictogramme est inefficace, ne laissez pas comprendre le contraire en vous y opposant ! Je vous propose, dans l'intérêt de tous, le vôtre inclus, un grand pictogramme, coloré, visible du premier coup d'oeil, avec cette phrase : « Madame, attendez la fin de votre grossesse pour déguster cet excellent vin ! ».

VÉRONIQUE FAUDOU-SOURISSE, VICE-PRÉSIDENTE DE L'ASSOCIATION « VIVRE AVEC LE SAF »

Bien sûr que le logo est inefficace tel qu'il est ! Personne ne le voit tant il est petit. Il est honteux de refuser de le grossir. Chaque heure, il naît en France un enfant dont le cerveau est lésé par l'alcool, ce qui représente 500 000 personnes touchées par ce handicap. Vivre avec les conséquences de cette consommation est un enfer. Il est irresponsable de l'ignorer.

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