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VIN

Bretts Pas de place pour le hasard

MARION BAZIREAU - La vigne - n°294 - février 2017 - page 42

Il y a dix ans, deux domaines sont partis en guerre contre les Brettanomyces. Épaulés par Christophe Gerland, microbiologiste, ils ont changé nombre de leurs habitudes.
ÉRIC FARGEOT RÉALISE UN SNIFF'BRETT au-dessus d'un bec benzène  pour éviter la propagation des Bretts. © M.  BAZIREAU

ÉRIC FARGEOT RÉALISE UN SNIFF'BRETT au-dessus d'un bec benzène pour éviter la propagation des Bretts. © M. BAZIREAU

Éric Fargeot n'est pas tendre avec les Brettanomyces. Responsable technique des vignobles Bardet, à Vignonet, en Gironde, il prend ces levures très au sérieux depuis 2007, date à laquelle elles ont pollué des barriques d'un vin en fin d'élevage. « Par chance, cet accident est arrivé au moment où Quali Bordeaux et le syndicat des vins de Saint-Émilion mettaient en place des sessions de formations aux défauts des vins », raconte-t-il. Éric Fargeot et les deux maîtres de chai, Jean-Paul Lafourcade et Denis Barbet, assistent à une dizaine de séances de 2 heures durant lesquelles ils s'entraînent à percevoir divers défauts. Jean-Paul Lafourcade y décroche le surnom de « chien d'alerte » en étant capable de sentir les 4-éthylphénols dès 350 µg/l, alors que ces molécules, à l'odeur d'écurie, sont en général repérées autour de 500 µg/l.

L'équipe ne mise pas que sur son nez pour se prémunir des Brettanomyces. En 2012, Philippe Bardet, le propriétaire, qui exploite 85 ha en AOP Castillon et Saint-Émilion grand cru, fait appel à Christophe Gerland. Ce microbiologiste a fondé Intelli'Œno, une société de conseil située dans la Drôme. Il réussit très vite à impliquer tous les salariés, jusqu'au conducteur de la machine à vendanger.

Avant le coup d'envoi des vendanges, tête de récolte, tapis, érafloir et bacs à vendange passent sous des cotons-tiges, lesquels sont analysés par ATP-métrie pour s'assurer de l'absence de micro-organismes. Pendant les vendanges, tous les samedis matins, le conducteur envoie de l'eau chaude au Kärcher sur la tête de récolte et la rince à l'eau froide. « Il pulvérise aussi un alcalin chloré au canon à mousse, qu'il laisse agir 30 minutes, et rince avant de parfaire le nettoyage au peroxyde d'hydrogène », explique Éric Fargeot. Bien sûr, après chaque journée de récolte, il nettoie également la tête de vendange à l'eau froide.

Arrivés au chai, les raisins passent dans un Tribaie et un Calibaie. « Tous les jours, nous consacrons 2 h 30 au nettoyage des deux machines », poursuit-t-il. Les cavistes ne sulfitent plus l'eau du bain du Tribaie. À la place des 10 g/hl de SO2, ils y dispersent une préparation liquide de levures sélectionnées dans les vignes du domaine. « Nous veillons à ce que le levain contienne au moins 1 million de levures par millilitre avant de l'utiliser », précise Éric Fargeot. Le but ? Occuper au plus vite le milieu pour empêcher les Bretts de s'installer.

Philippe Bardet recrute un saisonnier chargé du suivi analytique des vins depuis deux campagnes. Il est en charge des Sniff'Brett, des kits mis au point par Christophe Gerland pour détecter les Brettanomyces. Il suffit de mettre 20 ml de vin dans un flacon contenant une solution favorable aux levures de contamination. « On laisse le tout incuber à température ambiante pendant douze jours, détaille Éric Fargeot. Tant qu'aucun trouble n'apparaît au fond du flacon, c'est inutile de l'ouvrir pour le sentir. » Dans le cas contraire, deux personnes l'hument. Si elles notent des odeurs d'écurie ou de fromage, c'est que le vin renferme des Bretts capables de produire des phénols volatils. Plus l'odeur apparaît vite, plus il en contient. Un échantillon de vin est alors envoyé dans un laboratoire qui l'analyse par PCR pour compter les Bretts et décider du traitement à mettre en oeuvre.

« Longtemps, nous n'avons effectué ces tests qu'au cours de l'élevage. Mais, en 2015, on s'est laissés surprendre. Des Bretts se sont multipliées durant la fermentation alcoolique, dès 1040 de densité », relate le responsable technique. Il a pu rattraper le coup en écoulant la cuve, en chauffant le vin à 50 °C et en faisant repartir la fermentation avec des levures bayanus.

Aujourd'hui, le domaine analyse tous les lots dès l'encuvage. Il prélève toujours les jus par la vanne du bas des cuves car c'est là que l'on retrouve le plus de levures.

Le chai est équipé de cuves en Inox à chapeau flottant. Les raisins y sont vinifiés avec le marc immergé. « Une grille ronde en Inox maintient le chapeau dans le vin, explique Éric Fargeot. Nous réalisons des remontages à l'aide de gaz comprimé pour utiliser les pompes au minium car elles favorisent la propagation des micro-organismes. » Les cavistes ont aussi pris l'habitude de démonter et de nettoyer toutes les pompes au moins deux fois par an. Vannes et robinets subissent le même traitement.

En fin de fermentations, les lies sont analysées. Soit elles sont réincorporées aux vins en barrique, soit elles partent à la distillerie. « Mais nous pourrions envisager de les chauffer. Cela favoriserait l'autolyse des levures et apporterait du gras », imagine Éric Fargeot.

L'élevage en fûts dure plus d'un an. Tous les deux mois, les cavistes choisissent des barriques au hasard, les marquent d'une croix et les analysent. « Nous prélevons le vin juste au-dessus des lies, à l'aide d'une seringue reliée à un tuyau souple et à un tube en Inox. » De retour en cuve, les vins sont soumis à au moins deux tests Sniff'Brett pour s'assurer qu'ils sont indemnes avant l'embouteillage. Ils sont finalement filtrés sur des plaques Becopad 350 ou 450 en fonction de leur charge levurienne, puis sur des cartouches de 1 µm.

Les barriques sont nettoyées, deux par deux, par une station Moog. « La canne s'insère toute seule dans la barrique. Elle y envoie de l'eau chaude à 60 °C pendant 6 minutes, de la vapeur, 10 minutes, et de l'eau froide, 3 minutes, qui assure le choc thermique final. »

Cette stratégie anti-Bretts a un coût : de 4 à 8 centimes par bouteilles, « et peut-être même un peu plus pour un millésime comme 2013 au rendement très faible », estime le responsable technique. En contrepartie, le domaine obtient des vins de plus en plus précis et fruités.

Plans d'action en cas de contamination

Lorsqu'un Sniff'Brett est positif, l'équipe des vignobles Bardet envoie le vin dans un laboratoire externe. Les Bretts y sont dénombrées par PCR. « Le traitement dépend de l'âge du vin », confie Éric Fargeot, le responsable technique. Si les Bretts se développent pendant la fermentation alcoolique, le vin est chauffé à 50 °C et réensemencé avec des levures bayanus. « Après les fermentations, dans 90 % des cas, un soutirage suffit à éliminer les Bretts. Quand c'est insuffisant, nous avons deux options : soit une filtration serrée sur terre, soit un ajout de chitosan, pour ne pas affaiblir le vin lorsque sa mise en bouteille est proche », explique-t-il.

ALBÉRIC MAZOYER, GÉRANT DU DOMAINE ALAIN VOGE, 13 HA À CORNAS, DANS L'ARDÈCHE « Vouloir éradiquer les Bretts, c'est inutile »

« Cela fait dix ans que nous travaillons avec Christophe Gerland. Il nous aide à faire de bons levains de prise de mousse et à nous prémunir contre les Brettanomyces. Nous avons appris que vouloir les éradiquer est inutile. Il y en a tout le temps. L'important, c'est de faire en sorte que les souches productrices de phénols volatils ne se multiplient pas, pour vinifier des vins nets. Notre plus gros effort a porté sur le nettoyage des barriques que nous utilisons jusqu'à huit ans. Auparavant, nous nous contentions d'un coup de Kärcher. Désormais, nous suivons un protocole précis : eau chaude, vapeur pendant douze minutes, eau froide, égouttage et méchage. Nous nettoyons nos barriques après chaque soutirage, même si nous les re-remplissons aussitôt. Nous surveillons également davantage nos lies. Nous ne les réincorporons au vin qu'un mois et demi après les soutirages de fin de fermentation alcoolique, lors des ouillages. Nous les dégustons régulièrement et les analysons. Nous avons généralisé l'utilisation des Sniff'Brett. Nous contrôlons tous les lots après l'entonnage. Les barriques sont ensuite analysées tous les deux mois. »

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