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VIN - POUR APPROFONDIR

Arômes végétaux Les rouges livrent leurs secrets

MARION BAZIREAU ET ALEXANDRE ABELLAN - La vigne - n°294 - février 2017 - page 44

Oubliez ce que vous saviez sur les notes végétales des vins rouges ! Dans une thèse à l'ISVV, Xavier Poitou montre que l'IBMP et les alcools en C6 ne sont pas les seules molécules responsables des arômes de poivron ou d'herbe coupée.
 © P. MONTIGNY/FILIMAGES

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Eucalyptus

Eucalyptus

Armoise © BUITEN-BEELD/M. GEVEN/BIOSPHOTO

Armoise © BUITEN-BEELD/M. GEVEN/BIOSPHOTO

L'IBMP, aux arômes de poivron, n'est pas la seule molécule responsable de notes vertes. Pour la première fois, Xavier Poitou a trouvé de l'eucalyptol, aux arômes menthés, dans des vins français. Le fer servadou et le cabernet-sauvignon en contiennent beaucoup, le merlot moins. Le raisin peut aussi être contaminé par une espèce d'armoise, Artemisia verlotiorium ©  FLOWERPHOTOS/C. SHARP/BIOSPHOTO

L'IBMP, aux arômes de poivron, n'est pas la seule molécule responsable de notes vertes. Pour la première fois, Xavier Poitou a trouvé de l'eucalyptol, aux arômes menthés, dans des vins français. Le fer servadou et le cabernet-sauvignon en contiennent beaucoup, le merlot moins. Le raisin peut aussi être contaminé par une espèce d'armoise, Artemisia verlotiorium © FLOWERPHOTOS/C. SHARP/BIOSPHOTO

L'oenologue a également retrouvé du salicylate de méthyle, aux arômes de menthe et de sapin de Noël. Il y en a beaucoup plus dans les raisins touchés par le black-rot et le mildiou. © C. WATIER

L'oenologue a également retrouvé du salicylate de méthyle, aux arômes de menthe et de sapin de Noël. Il y en a beaucoup plus dans les raisins touchés par le black-rot et le mildiou. © C. WATIER

Qu'est-ce que le caractère végétal ?

« Les termes végétal et vert renvoient à une famille aromatique mal définie. » C'est ainsi que Xavier Poitou, jeune oenologue, a introduit sa thèse sur le caractère végétal des vins rouges, soutenue le 12 décembre dernier à l'ISVV de Bordeaux. En effet, le caractère végétal ne se limite pas au poivron vert.

Dès 1987, la Roue des Vins le divisait en plusieurs familles et sous-familles d'arômes : « végétaux frais », « légumes », « végétaux terre » et « bois » s'agissant des familles, et « menthe », « bourgeon de cassis », « fougère » dans la famille « végétaux frais ».

Que sait-on de son origine ?

Les méthoxypyrazines et les alcools en C6 ont longtemps été tenus pour seuls responsables des arômes végétaux. En premier lieu, on pense à la 3-isobutyl-2-méthoxypyrazine (IBMP), molécule qui donne des goûts de poivron vert aux cabernet-sauvignon, merlot, carménère ou fer servadou. Dans les vins rouges, son seuil de perception est de 15 ng/l. L'IBMP a deux cousines, l'IPMP et la SBMP, aux seuils de perception plus faibles, mais moins présentes dans les vins. Dans les baies, ces molécules atteignent un niveau maximal à la véraison. Elles sont ensuite dégradées et diluées sous l'action de la lumière et de la chaleur. Les alcools en C6, comme l'hexenol, sont, quant à eux, issus d'une transformation des acides gras polyinsaturés de la pellicule et du pépin par des enzymes. Depuis les années 1980, les oenologues les associent aux notes herbacées, une erreur selon Xavier Poitou.

Les alcools en C6 y contribuent-ils ?

Non. Xavier Poitou l'a démontré en faisant déguster 70 vins de différentes régions viticoles à des experts chargés de noter leur caractère végétal. « Nous avons gardé les dix vins jugés les plus végétaux et les dix vins les moins végétaux, détaille Xavier Poitou. Ce n'est pas dans les vins végétaux qu'on a retrouvé le plus d'alcools en C6. C'était même plutôt l'inverse. Nous avons alors fortement supplémenté un vin témoin avec ces alcools, sans aucun impact sur les notes végétales. » Comme il n'a pas non plus rencontré beaucoup d'IBMP dans les vins végétaux, le doctorant est parti en quête de nouvelles molécules.

Y a-t-il d'autres molécules en jeu ?

« Nous avons analysé les dix vins considérés comme les plus végétaux par le jury. Dans un fer servadou 2011 de marcillac très frais, nous avons trouvé 20 ng/l d'IBMP et 2,6 µg/l d'eucalyptol, alors que le seuil de détection de l'eucalyptol dans les vins rouges est de 1 µg/l ! » Pour confirmer la contribution de l'eucalyptol au caractère végétal des vins, Xavier Poitou a rajouté de l'IBMP et de l'eucalyptol, seuls ou en mélange, à des bordeaux peu végétaux. « Ajouté seul, l'IBMP augmente les arômes de poivron. De son côté, l'eucalyptol amplifie le côté mentholé. Ensemble, les deux molécules renforcent la note de poivron », détaille-t-il.

D'où vient tout cet eucalyptol ?

Il est naturellement plus présent dans certains cépages, tels que le fer servadou. Les baies du cabernet-sauvignon peuvent aussi en contenir beaucoup. Dans le merlot, les teneurs sont en revanche inférieures au seuil de perception. Les concentrations en eucalyptol baissent en continu du stade « petits pois » jusqu'aux vendanges.

Cette molécule peut également avoir une origine exogène. « En cherchant à comprendre pourquoi deux pauillacs étaient très mentholés, nous avons découvert que leur producteur rencontrait chaque année des difficultés à se défaire d'une espèce d'armoise, Artemisia verlotiorum, qui dégage une forte odeur mentholée lorsqu'on la froisse », raconte Xavier Poitou. À l'analyse, l'eucalyptol est ressorti comme l'essence majoritaire. Elle contamine les raisins par voie aérienne. Pour la première fois en France, les chercheurs ont montré que la flore du vignoble peut affecter le goût du vin. En travaillant sur des vins en sous-maturité, Xavier Poitou a également redécouvert le salicylate de méthyle.

Qu'est-ce que le salicylate de méthyle ?

Un dérivé de l'acide salicylique déjà observé dans les vins mais encore jamais étudié. « Dans les vins rouges, son seuil de perception avoisine 63 µg/l. Il a des odeurs de menthe et d'essence de gaulthérie, qui ressemble à l'odeur des sapins de Noël. On en trouve dans les pellicules et dans les rafles. Il est extrait pendant la fermentation. Sa concentration maximale est obtenue après 200 heures d'encuvage, puis elle reste stable », constate Xavier Poitou. Dans 100 vins commerciaux, le chercheur en a retrouvé 18,7 µg/l en moyenne, tandis que huit vins en contenaient entre 70 et 140 µg/l.

D'où vient le salicylate de méthyle ?

C'est un composé de défense contre les agresseurs. Xavier Poitou a analysé des vins issus de vignes attaquées par le mildiou. Il a mesuré jusqu'à 160 µg/l de salicylate de méthyle, contre 20 à 30 µg/l dans des vins issus de vignes résistantes. Il a ensuite vinifié des baies saines, des baies flétries par le soleil, et des baies flétries par le black-rot. « Nous avons retrouvé vingt fois plus de salicylate de méthyle dans les baies atteintes par le black-rot. » Les vignes touchées par l'esca produisent aussi beaucoup de salicylate de méthyl. En revanche, le botrytis n'a pas d'impact sur les teneurs des vins en cet élément, « ce qui est logique car le champignon n'attaque que les baies, qui ne se défendent pas. Nous ne nous attendions pas à faire autant de découvertes. La molécule pourrait constituer un très bon marqueur de l'état physiologique de la vigne et de son environnement cryptogamique, avant même que les raisins soient altérés », s'enthousiasme le jeune chercheur.

Et la pipéritone à l'odeur menthée ?

Xavier Poitou ne l'a pas étudiée. Son impact sensoriel suscite des controverses scientifiques. En 2016, Alexandre Pons a estimé son seuil de perception dans les vins rouges à 70 µg/l. « Or, les concentrations maximales susceptibles d'être rencontrées dans les vins sont de l'ordre de 1 µg/l », explique le jeune chercheur.

Quid des vins de presse ?

99 % des professionnels reconnaissent que les vins de presse sont végétaux. Ils révèlent des notes de poivron, d'huile, de feuilles de géranium, de foin et même des goûts métalliques. Les oenologues les ont longtemps attribué aux alcools en C6. Xavier Poitou a montré que leur teneur ne bouge pas pendant le pressurage. « En revanche, certains alcools en C7 augmentent linéairement pendant le pressurage. C'est le cas du (Z)-4-heptanol, à l'odeur d'herbe croupie, que nous avons découvert pour la première fois dans le vin. » L'oenologue a en outre constaté une augmentation de certains aldéhydes, tels que la nonadienal et la 1,5-octodienone, des molécules très odorantes, à l'odeur de concombre et de géranium. « Nous en avons trouvé jusqu'à 10 ng/l dans les vins, alors que leur seuil de perception est compris entre 1 et 2 ng/l dans l'eau. »

Comment limiter le vert ?

Il est essentiel de bien laisser mûrir les raisins pour éliminer les méthoxypyrazines et l'eucalyptol. Les éclaircissages ou effeuillages permettent déjà de dégrader jusqu'à 70 % d'IBMP. Après les vendanges, la thermovinification et la micro-oxygénation ont également une bonne efficacité.

Selon Xavier Poitou, la FML est un autre outil d'intérêt. « Elle réduit les aldéhydes et apporte un nouveau fruité qui masque le végétal. Le mieux est donc qu'elle ait lieu après le pressurage. » Le chercheur conseille de séparer les vins autour de 1,2 bar et de les sulfiter. « Nous n'avons pas essayé la micro-oxygénation mais a priori l'oxygène est sans effet sur les aldéhydes. »

Pas la peine d'acheter un pressoir qui inerte la vendange. « On a des différences organoleptiques en sortie de pressoir. Mais elles s'estompent dans les deux à trois mois qui suivent la FML », regrette Xavier Poitou.

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