Une vingtaine de curieux sont venus braver le mistral le 9 février pour participer au rendez-vous donné par CGC Agri, à Jonquière, dans le Vaucluse. Au programme de cette matinée : une démonstration de taille mécanique de précision, dite TMP, avec la machine du constructeur.
CGC Agri les avait conviés dans une parcelle de cabernet-sauvignon conduite depuis dix ans en taille mécanique par Jean-Pierre Allemand, viticulteur à l'origine de la tailleuse. L'occasion pour ce dernier de revenir sur la genèse de cet outil et sur l'évolution de la vigne durant ces années.
« Au début des années 2000, je vendais mon vin autour de 35 centimes le litre seulement. Pour pouvoir vivre de mon travail, je devais donc réduire mes coûts. La taille, seule étape non mécanisable à l'époque, constituait la charge la plus importante », explique-t-il.
Partant de ce constat, il réfléchit à la mécanisation de la taille en 2002 avec son ami Joël Clément, employé au service recherche et développement chez CGC Agri. « Je voulais réduire les charges liées à la taille de 50 % tout en taillant mécaniquement mes vignes existantes conduites en cordon de Royat, car je ne voulais pas arracher et replanter. De plus, je souhaitais garder la même qualité de production. » À cette fin, ils mettent au point une machine qui prétaille et taille en un seul passage.
Avant de débuter la démonstration, Joël Clément présente rapidement l'outil : « La prétailleuse est située légèrement devant le bloc de taille qui comprend quatre scies à bois : deux verticales et deux horizontales. L'ensemble des deux outils est monté sur un mât pendulaire que l'on installe sur le côté du tracteur. »
Puis Jean-Pierre grimpe aux commandes du Same Frutteto après avoir mis en garde le public : « Ne vous placez surtout pas derrière le tracteur ni dans l'interrang d'à côté. Il y a de nombreuses projections. Ça peut être très dangereux. »
Le tracteur démarre, la prétailleuse se met à tourner, suivie des scies de taille. À peine entrée dans le rang, le bruit strident des scies résonne et une douce odeur de bois fraîchement coupé plane sur le vignoble. « Ce sont de véritables scies de menuiserie », confirme Joël Clément devant l'étonnement des viticulteurs présents. Pour la démonstration, Jean-Pierre taille le premier rang à 1,3 km/h. Dans le deuxième, il monte à 1,6 km/h, mais il n'ira pas plus vite. La taille mécanique reste un travail technique pour le conducteur.
Une fois la démonstration finie, les viticulteurs s'interrogent sur l'impact de la taille mécanique sur les vins. « Pour l'évaluer, j'ai travaillé avec la chambre d'agriculture du Vaucluse », relate Jean-Pierre Allemand. Cet organisme a réalisé des microvinifications sur une parcelle de merlot dix ans d'affilé, durant lesquels elle n'a constaté aucune différence organoleptique notable. Pourtant, « les vignes taillées mécaniquement sont matures une semaine plus tard que celles taillées manuellement. Mais c'est peu pénalisant dans l'organisation des vendanges », souligne-t-il.
Par ailleurs, le passage à la taille mécanique entraîne un gain de production de 30 à 50 % qui se maintient dans le temps. « Mais tout dépend de la hauteur de coupe. Plus on taille long, plus on augmente le rendement. Une fois, j'ai même produit 250 hl/ha sur une parcelle de grenache ! C'est un peu trop pour produire un bon vin. »
Cette hausse du rendement s'accompagne en revanche d'une diminution de la taille des grappes. « Ainsi, on n'observe pas plus de maladies. Ici, les petites grappes restent bien aérées », souligne François Berud, technicien viticole à la chambre d'agriculture du Vaucluse. Cependant, ce dernier note qu'il faut réserver la TMP aux cépages ayant un potentiel de couleur important, comme le merlot ou le cabernet-sauvignon, dès lors que l'on veut obtenir des vins rouges. En revanche, pour la production de vin blanc ou de rosé, cette technique convient à tous les cépages.
Autre constat : la vendange se répartit de manière homogène en hauteur ce qui facilite le réglage des secoueurs de la machine à vendanger. Mais le passage à une TMP ne peut se faire que pour une vigne vigoureuse plantée sur un sol riche et profond. Dans le cas contraire, la vigne risque à terme de s'épuiser.
Après des années de pratique de TMP, Jean-Pierre Allemand est satisfait du résultat. Auparavant, il consacrait 50 heures pour tailler un hectare de vigne. Aujourd'hui, 14 heures suffisent pour tailler et reprendre manuellement les branches que la machine n'a pas coupées. Et pour la reprise manuelle, « nul besoin de personnel qualifié », note-t-il.
Quant à l'état sanitaire de sa parcelle, il répond avec le même enthousiasme aux viticulteurs qui l'interrogent : « Sur cette vigne de 20 ans conduite en taille mécanique de précision depuis dix ans, je n'ai pas constaté plus de maladies que sur mes parcelles taillées manuellement. » Vient ensuite la question du prix : pas moins de 30 000 € la machine. Malgré cela, l'objectif est quasiment atteint : Jean-Pierre Allemand a réduit de 43 % ses charges en incluant l'amortissement de l'engin.
Un palissage réfléchi pour une TMP au top
Après dix années de taille mécanique de précision, Jean-Pierre Allemand donne quelques conseils quant à l'établissement de la vigne : « Mieux vaut la conduire en cordon unilatéral. Cela évite d'avoir des zones vides entre les ceps car tous les cordons se suivent. » Le palissage peut être à un ou deux fils. Mais dans tous les cas, l'emploi de tuteurs métalliques est à bannir. « Ces tuteurs dépassent de 5 à 6 cm du fil porteur. Imaginez les dégâts avec les scies de taille. Dorénavant, quand je fais de la prestation de taille mécanique, je demande toujours s'il y a ce type de tuteurs dans les vignes. Dans ce cas, je refuse d'intervenir. » La TMP fonctionne sur tous les cépages à port dressé. Avec les cépages à port étalé, comme le chasan, elle rencontre des difficultés à couper les bois sortant du plan de palissage. Par ailleurs, dans les parcelles où les ceps ne sont pas tous établis à la même hauteur, la taille mécanique s'avère périlleuse. « Cela s'apparentera davantage à du prétaillage qu'à de la taille, avertit Jean-Pierre Allemand. Il faut sans cesse faire varier manuellement la hauteur de coupe. »
Une nouvelle épampreuse chez CGC Agri
CGC Agri prévoit cette année la sortie d'une nouvelle épampreuse. « Notre machine de taille ne peut pas couper les sarments situés sous le cep. C'est l'épampreuse qui les éliminera au printemps, lorsqu'ils seront encore verts », souligne Joël Clément. Elle sera composée de quatre brosses en nylon : deux pour enlever les pampres au niveau du cep et deux pour les pousses qui se développent sous le cordon. Avec ce nouvel outil, CGC Agri espère pouvoir diminuer le temps de reprise manuelle après une taille mécanique qui prend aujourd'hui entre 6 et 8 heures par hectare.