« C'est une entrave au commerce ! On nous met des bâtons dans les roues sans que l'on comprenne pourquoi ! » Ce directeur de cave coopérative de la vallée du Rhône, qui souhaite garder l'anonymat, n'a pas assez de mots pour qualifier la décision de l'administration. En novembre dernier, la DGCCRF a refusé d'étendre l'accord interprofessionnel d'Inter Rhône sur les délais de paiement. Elle les a jugés trop longs.
La loi de modernisation économique de 2012 impose aux acheteurs de régler leurs fournisseurs au plus tard 45 jours après la fin du mois de la date de la facture ou 60 jours après la date d'émission de la facture. Cependant, la loi prévoit que les interprofessions viticoles peuvent déroger à cette règle générale. Et nombre d'entre elles le font.
« Pour les contrats ponctuels, nous avons prévu des délais plus longs que les délais usuels, si les acheteurs et les vendeurs conviennent d'un échéancier de paiement, explique-t-on à Inter Rhône. Dans ce cas, le règlement du vin peut s'étaler jusqu'à un an maximum à partir de la date de signature du contrat d'achat. Pour les contrats pluriannuels, nous souhaitons que les vins soient payés dans les délais légaux, en précisant que l'émission de la facture s'effectue au plus tard à la date de retiraison fixée au contrat. »
Ces règles sont inscrites dans l'accord interprofessionnel d'Inter Rhône depuis 2009. Jusque-là, l'administration n'avait rien trouvé à redire. Mais en novembre dernier, quand il s'est agi de renouveler l'accord, elle a retoqué ces dispositions sur les délais de paiement. « Nous avons proposé un nouveau texte prévoyant un paiement au plus tard le 15 décembre de l'année suivant celle de la récolte, après une période transitoire de trois ans », détaille-t-on à Inter Rhône. Mais la DGCCRF n'a pas accepté ce compromis. Résultat, depuis cette année, les opérateurs rhodaniens doivent appliquer les délais de paiement prévus par la loi.
« À cause de cela, deux de nos principaux clients ont repoussé leurs achats et n'ont toujours pas passé commande », s'énerve notre responsable de cave coopérative. « La campagne est compliquée, ajoute-t-il. Il y a du stock. Le négoce n'est donc pas pressé de passer aux achats et il l'est encore moins avec la situation que vient de créer l'administration. Nous avions mis en place des échéanciers de paiement avec nos clients. Nous pouvions prévoir notre trésorerie pour régler les acomptes à nos coopérateurs. Qui plus est, un client qui commence à payer les vins pense aussi à les sortir ! »
« Nous allons désormais nous assurer de nos besoins réels avant de conclure de nouvelles transactions, expose de son côté un négociant rhodanien. C'est un retour en arrière qui va affaiblir la production plus que le négoce. » Pour sortir de l'impasse, Inter Rhône a déposé un recours gracieux auprès du ministère de l'Agriculture et a sollicité un entretien avec le cabinet du ministre.
L'accord du Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP) a subi le même sort. « L'administration a retoqué nos délais de paiement dérogatoires, le 6 juillet dernier, indique la direction du CIVP. Nous les avions fixés à 120 jours maximum après la date de retiraison, lorsque les deux parties avaient conclu un contrat contenant une clause de paiement à date fixe ou en plusieurs versements. »
À deux reprises, les responsables professionnels provençaux ont rencontré la DGCCRF pour défendre leur point de vue. « Nous leur avons expliqué que ces accords satisfont de longue date nos deux familles et qu'ils ont été votés à l'unanimité », souligne Alain Baccino, le président de l'interprofession. Rien n'y a fait. Cette année, les Provençaux sont, eux aussi, obligés de se conformer à la règle générale sur les délais de paiement. « Ceci nous a conduits à mettre en stand-by nos achats de rosés durant la seconde partie de campagne », annonce Jean-Jacques Bréban, responsable de la maison Bréban, à Brignoles (Var).
Comme Inter Rhône, le CIVP a déposé un recours gracieux auprès du ministère de l'Agriculture. Devant l'obstination de l'administration, il a lancé, fin novembre, un recours contentieux devant le Conseil d'État. « La DGCCRF se contente de refuser nos accords, sans argumenter », déclare une source proche du dossier.
Contactée par La Vigne, cette administration rappelle que les « délais de paiement dérogatoires doivent être justifiés au cas par cas par des raisons économiques objectives ». Visiblement, les arguments fournis par les interprofessions provençale et rhodanienne ne l'ont pas convaincue. La DGCCRF met surtout en avant les contrôles qu'elle a effectués au sein de la filière : « Ils montrent que le jeu de la concurrence est faussé au détriment du producteur lorsque ce dernier n'est pas libéré des paiements de la campagne précédente au moment où s'engagent les négociations commerciales de la nouvelle campagne. »
La DGCCRF estime qu'une récolte doit être payée avant l'arrivée de la suivante. « Ce raisonnement ne tient pas », observe un négociant rhodanien qui rappelle que « la mise en marché des vins d'une nouvelle récolte intervient mi-décembre ». « Nos clients ne nous ont jamais demandé des baisses de prix au motif que nous étions liés par des contrats d'achat », défend un producteur rhodanien.
Ce n'est pas la première année que la DGCCRF épingle les interprofessions sur le sujet. En 2014, elle a refusé d'étendre l'accord de l'interprofession des vins du Sud-Ouest sur les délais de paiement dérogatoires des raisins et des moûts. Aucun compromis n'a pu être trouvé. Aujourd'hui, ce sont les délais légaux qui s'appliquent.
La Bourgogne obtempère
L'interprofession bourguignonne est aussi passée à la moulinette en 2014. Sous la pression de l'administration, elle a progressivement réduit ses délais de paiement. Ainsi, pour les appellations régionales, les transactions enregistrées entre la récolte et le 1er mars de l'année suivante, le délai maximum est fixé au 30 septembre de l'année qui suit la récolte.
Pour les transactions enregistrées entre le 1er mars et le 30 juin, le délai maximum est fixé à 90 jours. Après le 30 juin, c'est le délai légal qui s'applique. Des mesures similaires ont été adoptées pour raccourcir progressivement en trois ans le délai de paiement des appellations autres que régionales, du 30 novembre au 30 septembre de l'année suivant la récolte.
Limoux trouve un accord
À Limoux, les délais de paiement ont été ramenés à un an. Les achats de raisins pour l'élaboration des vins effervescents pouvaient être payés dans un délai de deux ans jusqu'à l'an passé.
« La DGCCRF a refusé d'étendre notre accord interprofessionnel sur les délais de paiement des raisins en mars 2016, indique Jérôme Villaret, directeur du Comité interprofessionnel des vins du Languedoc. Nous les avons alors rencontrés pour présenter les arguments économiques justifiant cette situation. Nous leur avons démontré qu'un producteur qui élabore et vend ses vins en direct était payé plus tard que les producteurs de raisins. »
Si elle a entendu ces arguments, la DGCCRF a malgré tout demandé une réduction des délais de paiement. Les opérateurs limouxins ont trois ans pour s'y conformer.