Sylvain (à gauche) a choisi trois vins. Philippe Schlick lui remet la fiche de dégustation et les conseils de consommation de chaque vin qui s'imprime avec le ticket de caisse. PHOTO : C. REIBEL
La boutique, signalée par une enseigne très sobre fixée à sa façade couleur lie de vin, attire une large clientèle habitant jusqu'à 30 km, voire plus depuis que Philippe Schlick s'est vu octroyer le titre de « meilleur caviste de France 2016 ». PHOTO : C. REIBEL
L'intérieur du magasin permet d'exposer environ 300 références de vins et d'alcools. Rangées par niveau de prix, les bouteilles de 4 à 7 € restent dans les cartons, celles de 8 à 15 € sont dans les casiers, et au-delà dans des caisses d'exposition. PHOTO : C. REIBEL
Sixième Sens. Cette IGP du Pays d'Oc 2015 de la maison Gérard Bertrand offre un côté hyper gourmand. Elle présente peu de tanins et s'exprime pleinement après avoir été carafée. Son packaging punchy qui accroche l'oeil et son prix de 4,90 € achèvent de séduire. PHOTO : C. REIBEL
Pas d'esbroufe ! Telle pourrait être la devise de Philippe Schlick, 38 ans, le gérant de La Boutique du Sommelier, à Weitbruch, une ville de trois mille âmes située au nord de Strasbourg. « Le plus important est dans les bouteilles », lance notre homme, installé comme caviste depuis 2004, l'année où il convertit une ancienne pharmacie en magasin.
Peu de chose a changé depuis. Installée dans une maison individuelle d'une rue passante, la boutique est signalée par une enseigne très sobre accrochée à la façade couleur lie de vin. Deux grandes fenêtres font office de vitrines. L'intérieur couvre à peine 40 m². Il est meublé, au centre, d'une table en bois massif flanquée de deux bancs et entourée de casiers de bouteilles, de caisses et de cartons posés à même le sol.
En ce début d'après-midi de semaine, l'heure ne paraît pas propice au commerce du vin. Pourtant, des voitures se garent régulièrement devant la vitrine. Les clients se succèdent dans le magasin. Il y a d'abord Gérard. Il entre avec assurance. Sans hésiter, il s'empare d'une bouteille de pinot noir d'Ardèche. Il connaît ce vin pour en avoir déjà bu. Il le dégustera le soir même chez sa fille qui habite à quelques pas de là.
Les clients apprécient que le magasin soit accessible. Ils disposent d'un long bout de trottoir pour se garer. À l'intérieur, « l'accueil est sans fioritures, simple. Je rends le vin digeste. J'en parle sans utiliser un vocabulaire de spécialiste, mais en me servant des mots du quotidien. Cela rassure les gens. Je leur montre que le vin, c'est facile. Qu'il faut le considérer comme une boisson qui bénéficie d'une image de produit noble. Je ne dis jamais d'un vin qu'il est amylique, empyreumatique ou simplement intéressant. "Acide" est le qualificatif vénéneux entre tous. Je préfère parler de tonicité. Je parle aussi de souplesse, d'élégance », explique Philippe.
Le caviste accueille une clientèle qui habite dans un rayon de trente kilomètres. Certains viennent même de Strasbourg alors que la métropole n'est pas sa cible prioritaire. Son titre de « meilleur caviste de France 2016 », obtenu en octobre dernier y est pour quelque chose. Il attire des amateurs qui ne se seraient déplacés autrement. Et ravive la clientèle d'habitués. « Le chiffre d'affaires a grimpé en flèche. Les ventes de décembre ont explosé. Il n'y a que du positif », commente le caviste.
Sylvain, l'un de ces néophytes, arrive dans la boutique. Il en a entendu parler par le bouche-à-oreille. Il souhaite offrir trois bouteilles à l'occasion d'un anniversaire, mais il ne sait pas lesquelles. « Quel type de vin le destinataire du cadeau apprécie-t-il ? Rouge ou blanc ? Sec ? Charpenté ? », s'enquiert Philippe. « Il aime les blancs secs et les rouges charpentés », avance le client. Sur la base de ces indications, Philippe lui propose deux blancs et quatre rouges. Sylvain retient un grand cru kaefferkopf, un gigondas et un saint-émilion.
Pour d'autres clients, les jeux sont faits d'avance. C'est le cas de Marc. Son épouse a plébiscité un moscato d'Asti qu'elle a déjà goûté et acheté suivant les conseils de notre caviste. Marc en reprend quinze bouteilles qu'il débouchera lors d'un apéritif avec trente-cinq invités. « Je ne stocke plus beaucoup. Je viens régulièrement m'approvisionner ici. Philippe connaît mes goûts », avoue-t-il.
Pendant qu'il paye, Philippe le renseigne sur la bouteille de vendange tardive 2011 en grand cru zinnkoepflé qu'il a placée en évidence à proximité de la caisse. Il l'informe aussi que ses premiers rosés vont « rentrer fin avril, début mai ». Enfin, il lui propose de goûter un des vins ouverts ce jour-là : un barolo 2012 de Michele Reverdito, un coteaux-du-layon 2014 du Château du Breuil ou un saint-georges-saint-émilion 2014 du Château Feytit Divon. Il propose tous les jours des vins à déguster, ce qui lui coûte quelque 2 000 € par an. Mais il juge cet argent mieux dépensé que dans de la publicité.
Philippe sait s'adapter à sa clientèle. « Je rassure les personnes un peu perdues en commençant par l'accord mets-vins et en leur rappelant que j'ai moi-même sélectionné toutes mes bouteilles. Avec les clients qui ont une bonne base, je cherche à coller au plus près de leur envie. Quant aux connaisseurs, ils savent ce qu'ils veulent. Ils cherchent à connaître mon avis ou à partager leur expérience. »
Philippe ne pratique ni promotions, ni offres spéciales. Il préfère renouveler régulièrement son offre. « J'ai une clientèle régulière. À chaque passage, ils doivent découvrir de nouvelles références, françaises comme étrangères. Sinon, ils se lassent », signale-t-il.
Le caviste joue sur un dernier tableau : la formation. Depuis dix ans, il organise chaque mardi et chaque jeudi de 19 h 30 à 21 h 30 des séances « Découverte du monde du vin ». Limitées à dix participants, celles-ci se déroulent autour de la table qui occupe le centre de la boutique. À 150 € l'inscription pour cinq modules, ces cessions font le plein. « Il n'y a plus de place jusqu'à fin 2017 », soutient Philippe.
Le panier moyen de La Boutique du Sommelier s'élève à 82 €, soit environ 11 €/col. « Nos clients se laissent volontiers guider. C'est notre force », jugent Philippe et Ralph, son salarié à mi-temps. Les deux vendeurs ne sont pas sectaires pour autant. Ils incitent parfois leurs clients à aller acheter ailleurs car « nous n'avons pas la prétention de tout avoir ». La modestie, un autre moyen de fidéliser les clients.
TROIS CLÉS POUR ÉTABLIR LA CONFIANCE
Philippe a le contact facile au téléphone comme face à ses interlocuteurs. Il se présente avec son prénom et n'hésite pas appeler le client par le sien. Le lien de proximité s'établit d'emblée. « Certains mots mettent de la distance. Il faut que je sois accessible », assure-t-il.
Il laisse le client exprimer sa demande, avant de mieux la formaliser, si nécessaire, avec des petites questions précises : « Pour quelle occasion ? Quel budget ? Une idée du type de vin souhaité ? »
Il propose un vin à la dégustation. Tout en bavardant et en encaissant, il offre toujours de goûter une bouteille ouverte.
Le Point de vue de
« Je ne mets aucun vin en vente sans l'avoir dégusté ! J'effectue un premier tri grâce aux guides, lectures et à toutes les informations que je recueille de-ci de-là. Je me rends à des salons et me déplace chez des producteurs en Alsace et dans les vignobles proches comme la Champagne, le Jura, ou la Bourgogne. Aux autres, je demande des échantillons. Il m'arrive de n'en retenir que sept ou huit sur quarante. Mon principal critère de jugement ? Un rapport qualité/prix/plaisir cohérent. Je déguste les vins avec Ralph, mon salarié à mi-temps. Si nous sommes convaincus par un vin, nous recueillons l'avis de clients en le proposant à la dégustation. Je leur communique le prix et ils me disent ce qu'ils en pensent. Bien sûr, au final, c'est moi qui décide si un vin a sa place dans mon offre. La sélection des rosés est la plus dure à faire car la demande est ponctuelle et il y a pléthore de choix. À chaque millésime, je redéguste les vins. »