La suppression du droit de préemption des Safer n'est pas d'actualité, mais un rapport rendu public en mars 2017 (voir encadré) a remis le sujet sur le devant de la scène. « Nous sommes extrêmement satisfaits de ce rapport, commente Philippe Brayer, le nouveau président de la Fédération nationale de la propriété rurale privée (FNPPR). Le droit de préemption ne concerne que 0,6 % des ventes, mais c'est l'arme des Safer. Une arme redoutable. Quand un propriétaire veut vendre, il regarde le prix Safer et sait qu'il ne pourra pas vendre plus cher, même si un acquéreur lui fait une meilleure offre. »
Ce dispositif empêche des investisseurs extérieurs d'arriver sur le marché foncier au détriment des exploitants, estime Philippe Brayer. « En Allemagne, les terres sont plus chères qu'en France, et l'agriculture se porte bien. Des investisseurs mettent les terres en fermage. Les exploitants ne sont pas obligés d'investir dans le foncier. Un jeune qui s'installe peut ainsi garder son argent pour financer son exploitation », argumente-t-il.
La tonalité est évidemment différente du côté des Safer. Pour Dominique Granier, viticulteur dans le Gard et président de la Safer Languedoc-Roussillon, « la Safer est le gendarme du foncier. Elle ne pourrait pas fonctionner sans le droit de préemption. Si le marché était libre, ce sont les plus riches qui achèteraient. Les Safer et le monde politique ont dit non à cette loi du plus fort ».
Rémi Dumas, viticulteur et président des Jeunes Agriculteurs de l'Hérault, est également favorable au maintien du droit de préemption. « Ce droit permet aux jeunes de s'installer hors cadre familial ou à des exploitations de s'agrandir, estime-t-il. Il permet aussi d'éviter à l'agriculture de perdre trop de surfaces, notamment dans l'Hérault où la pression foncière est importante. »
Le droit de préemption servirait les intérêts de quelques professionnels puissants et bien informés : c'est l'un des reproches formulés à l'encontre de ce droit. Rémi Dumas le réfute : « Le copinage ? On est assez nombreux à siéger aux comités de préemption et d'attribution pour éviter ce risque. Nous faisons en sorte d'être objectifs et justes. Mais nos décisions font toujours des mécontents. »
« On prend beaucoup plus de coups en tant que président de Safer que de chambre d'agriculture ou de MSA, complète Dominique Granier. C'est un poste qui nécessite des qualités humaines et de la droiture. Il faut savoir faire le ménage si on a des doutes sur les motivations de certains membres du comité de préemption. Les décisions sont contrôlées par l'État et désormais ce comité est ouvert aux chasseurs, écologistes, collectivités locales, etc. »
Plutôt que d'être affaibli, le droit de préemption des Safer a été renforcé en 2014. Depuis, cette date, les Safer peuvent préempter les parts de toute société agricole intégralement cédée.
Après l'affaire de la vente d'une ferme de 1 700 ha dans l'Indre à des Chinois, des responsables professionnels ont obtenu un nouveau renforcement du droit de préemption. En février 2017, le Parlement a voté une loi permettant aux Safer de préempter les parts d'une société faisant l'objet d'une cession partielle. Mais le Conseil constitutionnel a invalidé cette disposition. « C'est une victoire des propriétaires, se félicite Philippe Brayer. On aurait pu se retrouver, au sein d'une société foncière, avec une personne qui n'a rien à voir avec la famille ! Le fond du problème est surtout financier car un pan des ventes échappait aux Safer. C'est un manque à gagner pour elles. »
Dominique Granier, de son côté, était favorable à cette extension du droit de préemption pour éviter les cessions déguisées à des investisseurs. Il espère que ce dossier sera repris par les futurs parlementaires.
« Un manque de transparence »
Dans un rapport achevé en février 2013, mais publié le 6 mars dernier seulement, un inspecteur des Finances et deux inspecteurs de l'Agriculture préconisent la suppression du droit de préemption des Safer. Ils jugent que ce droit représente « une menace du fait d'un manque de transparence, à la fois dans la justification du droit et dans ses modalités de mise en oeuvre ». Ils ajoutent que les « interventions des Safer sont de plus en plus suspectées de conflits d'intérêt ». Ils préconisent que les décrets définissant les périmètres de préemption des Safer ne soient pas renouvelés au fur et à mesure qu'ils arrivent à échéance. Ces auteurs proposent aussi la suppression du barème administratif de fixation du prix du fermage au profit d'une libre fixation des prix. Pour eux, l'abolition du droit de préemption et du barème des fermages permettrait d'attirer des capitaux extérieurs au monde agricole vers le marché foncier.