SOUS LE CHAPITEAU DU PRINTEMPS DES VINS DE BLAYE, Véronique retrouve Philippe, un fidèle client depuis six ans. Ce dernier lui achète du blanc et du rouge dont il apprécie le rapport qualité/prix. PHOTO : L. WANGERMEZ
LES TROUPES QUI MONTENT À L'ASSAUT DE LA CITADELLE DE BLAYE seront chaleureusement accueillies par Véronique et ses enfants, Maël 18 ans et Camille 12 ans. Camille accompagnera sa mère sur le bateau pendant que Maël tiendra seul le stand. PHOTO : L. WANGERMEZ
PATRICE ET MARIE (ci-dessus) sont venus découvrir l'appellation Blaye Côtes-de-Bordeaux. À droite, les visiteurs se pressent sous le chapiteau, les verres se tendent, les sens sont en éveil. PHOTO : L. WANGERMEZ
SUR LE BATEAU, l'auditoire est captivé par Véronique et la météo favorise la bonne humeur et les échanges . PHOTO : L. WANGERMEZ
C'est l'assaut. Ce samedi 8 avril, la citadelle de Blaye, en Gironde, est envahie de visiteurs. C'est le 23e Printemps des vins de Blaye. À l'intérieur de cette fortification construite par Vauban, 80 vignerons de l'AOC Blaye Côtes-de-Bordeaux sont venus présenter et vendre leurs vins.
10 h 30 : sous le chapiteau C, le public s'agglutine en grappes autour des barriques qui tiennent lieu de stands pour chaque propriétaire. Avec son large chapeau vert en forme de fleur assorti au tablier de son appellation, Véronique Lardière ne passe pas inaperçue. Des tresses encadrent son visage tout en rondeur. Elle a aligné douze bouteilles de son château La Martellerie sur sa barrique qu'elle a recouverte d'un tulle rose et ceinte d'un chapelet de fleurs en plastique ! Ses enfants Maël (18 ans) et Camille (12 ans), visages sérieux, sont venus lui donner un coup de main. Mais on ne voit qu'elle : lorsqu'elle parle, ses bras font des moulinets et elle ponctue ses explications de rires en cascade.
« Je veux goûter un rosé moelleux », exige une dame, la soixantaine. « Je n'en fais pas mais je peux vous proposer notre rosé très fruité, très long en bouche », lance Véronique Lardière avec un large sourire. Un flop. À peine la dame a-t-elle trempé ses lèvres que le verdict tombe : « Trop sec. Pas à mon goût. » Et elle tourne les talons.
Philippe et Catherine, venus de Saintes, assistent amusés à la scène. Eux sont des inconditionnels des vins de La Martellerie. Cela fait six ans qu'ils lui sont fidèles. « On prend du blanc et du rouge. Le rapport qualité/prix est très intéressant », souligne Philippe, cadre dans une collectivité locale. Le blanc sec 2015 ravit son palais et celui de Catherine : « Il est fruité, pas trop sec tout en n'étant pas moelleux. Il est vraiment très bon », lâche-t-elle.
Véronique parle du bâtonnage. C'est du chinois pour le couple. Pédagogue, elle explique que cette technique consiste à brasser les lies qui se déposent au fond des cuves avec un long manche. Une façon de développer les arômes. Philippe et Catherine achètent deux cartons de six bouteilles qu'ils iront chercher à la propriété.
Mathieu, carnet de dégustation en main, est attiré par les vieux millésimes du château. Ce Breton découvre la manifestation pour la première fois. Il bombarde la viticultrice de questions sur la taille de sa propriété, l'élevage des vins, etc. Dans un premier temps, elle se veut économe de mots. Sa véritable arme commerciale, c'est son sourire, qui respire la générosité et le partage. La confiance s'installe.
Mathieu apprécie le rouge 2010 (80 % de merlot, 10 % de malbec et 10 % de cabernet-sauvignon) élevé en fût de chêne, médaillé d'or chez Gilbert et Gaillard. « 2010 est une très belle année. Et 8,10 € la bouteille, c'est très raisonnable. En fait, on ne paye pas la garde », apprécie-t-il. « C'est moi qui la paye. Je stocke dans mon chai ! », reprend Véronique dans un grand éclat de rire. En quelques mots, elle évoque la propriété familiale de 16 ha en Gironde et 4 ha en Charente-Maritime, qu'elle mène seule. Son père retraité lui donne des coups de mains. « Ça se voit, ça s'entend que vous êtes à la tête d'une propriété familiale », lui confie Mathieu.
Véronique Lardière met l'accent sur les vieux millésimes dans sa stratégie commerciale. « J'aime élaborer des rouges puissants et fruités. Je ne fais pas des vins faciles à boire, qui se dégustent immédiatement. Mon père avait déjà fait ce choix », indique-t-elle.
Place à la cuvée Maël, un rouge, du millésime 2008, proposé à 13,50 € la bouteille. « C'est du velours », lâche Mathieu, les yeux perdus dans le verre. Il revient à la réalité : « Je cherche 60 bouteilles de rouge 2012 pour un ami. » Véronique les a. Elle connaît bien la Bretagne. Et c'est parti pour évoquer des cavistes et des producteurs que tous les deux connaissent ! Ils conviennent d'un rendez-vous téléphonique pour parler plus en détail de l'affaire.
Un couple, Patrice et Marie, s'approche timidement. Ils se plongent dans la plaquette de présentation de la propriété et dans les tarifs. Maël se lance : « Une petite dégustation vous ferait plaisir ? » Va pour un rosé. Marie apprécie : « Il est sec et fruité. Il reste bien en bouche. » Maël, visage concentré, explique qu'il ne s'agit pas d'un rosé de pressée mais de saignée, ce qui explique sa couleur foncée. Sur sa lancée, il les engage à goûter un rouge 2009. Le couple n'est pas convaincu. Alors, sans se démonter, Maël leur sert le même millésime mais cette fois vieilli en fût. Bingo ! Ils sont séduits. Pour autant, ils n'achètent pas : ils veulent continuer leur découverte de l'appellation.
12 h 15 : pour Véronique et Camille, il est temps de prendre le large. La mère et sa fille rejoignent le ponton où est amarré le bateau de la Compagnie des 2 Rives. Elles partent pour une balade d'une heure sur l'estuaire de la Gironde en compagnie de 150 visiteurs qui vont déguster ses vins. La prestation est comprise dans le Pass acheté 8 €. Maël, lui, est ravi de se retrouver seul aux commandes du stand.
Du bateau, la vue sur l'estuaire est époustouflante. Chacun s'assied, son verre à la main. Véronique a choisi de faire goûter un blanc 2014, un rouge 2010 traditionnel, un rouge 2010 élevé en fût et la cuvée Maël 2008. Ça démarre bien : le chapeau de Véronique a du succès. On la prend en photo et elle se prête au jeu.
Micro en main, la viticultrice raconte : sa propriété, sa production, ses quatre chambres d'hôtes, ses vignes réparties sur des coteaux au sous-sol argilo-siliceux et graveleux, son travail pour élaborer des vins souples, fruités mais structurés afin qu'ils se gardent longtemps. Ses mots sont simples et pleins de conviction. Puis, elle présente son blanc, un 100 % sauvignon sec, et sert chaque convive.
Pascal, directeur industriel, et Véronique, la cinquantaine, venus de Barbezieux, en Charente, découvrent le site et le Printemps de Blaye. « On n'avait pas d'image des vins de Blaye. Nous sommes agréablement surpris. L'estuaire est magnifique, et ce vin blanc est extraordinaire. »
Alex, de la Compagnie des 2 Rives, prend le micro. Il explique l'estuaire, le plus vaste d'Europe, présente l'île de Pâtiras, que l'on croise, et l'île de Pâté qui abrite le fort du même nom.
Véronique reprend la parole avec la cuvée Maël 2008, élevée en barriques neuves (99 % de merlot). L'étiquette interpelle : un ange argenté figure sur un nuage se détachant d'un fond de ciel bleu. « Dans chaque bouteille il y a une âme, une histoire. Cette cuvée porte le prénom de mon fils. Quand il est né, en 1998, nous avons failli mourir, lui et moi. Un miracle s'est produit. Depuis, ma vie a changé. Je me suis tournée vers les autres. Je donne tout ce que je peux et je me dois d'être gaie. » Sous un soleil de plomb, le silence dans l'assistance s'est installé, troublé seulement par le clapotis de l'eau.
Appuyés au bastingage, trois jeunes Espagnols apprécient autant le paysage que le vin. Camille tente de mettre en pratique l'espagnol qu'elle apprend au collège. Elle s'en sort bien. Alvaro vient d'Andalousie, il suit jusqu'en juin le programme Erasmus à la faculté d'oenologie de Bordeaux. « Découvrir une région et un vin, c'est super. En Espagne, il y a peu de manifestations autour du vin pour le grand public », confie-t-il.
Retour au stand dans la citadelle de Blaye. Maël fait les comptes, non sans fierté : pendant que sa mère et sa soeur étaient sur le bateau, il a vendu 21 bouteilles. « Les gens étaient sympas. Pour eux, j'incarne la relève. Ils m'ont pris au sérieux et m'ont posé plein de questions sur les assemblages et les cépages. » De quoi le conforter. Il cherchait sa voie, mais cette fois, c'est sûr : il veut reprendre la propriété familiale. « J'aime le contact avec le client. »
Dehors, on pique-nique sur les grandes tables au son de la musique. Ambiance bon enfant. Sous le chapiteau, le thermomètre grimpe. Janine, 65 ans, veut du rosé. Elle le goûte, le trouve puissant. Encouragé, Maël se risque à donner un conseil : « En apéritif, il se marie bien avec du pamplemousse ! » « Je n'aime pas le pamplemousse. » Aïe ! Aussi sec, il lui propose de passer au rouge 2008. Et ça marche. « On se rapproche de Saint-Émilion avec un prix nettement inférieur, souligne Louis, un autre visiteur, emballé. Nous allons venir dans votre propriété. » Grand sourire de Maël : « On vous attend. »
Solange, une belle femme noire flashe sur l'étiquette bleu pâle de la cuvée Maël. « Pour une palette, quel prix faites-vous ? » Maël esquive le piège : « Venez nous voir à la propriété, on discutera. » Le propos rassure Solange. Elle exporte en Afrique de l'Ouest, au Togo, au Bénin et au Ghana. Des marchés émergents et exigeants pour lesquels elle veut une exclusivité. Maël l'écoute attentivement et sourit. Il a confiance.
500 bouteilles vendues en deux jours
Cette 23e édition du Printemps de Blaye a attiré 16 000 visiteurs, les 8 et 9 avril dernier. « C'est un record. Nous avons vendu 8 000 pass, ce qui veut dire qu'un visiteur sur deux a dégusté nos vins », estime Michaël Rouyer, directeur de la Maison du vin de Blaye.
En janvier 1994, le syndicat lance le Marché au vin.
Il s'agissait de réunir en un même lieu les viticulteurs éparpillés sur trois cantons et de faire connaître l'AOC Blaye Côte-de-Bordeaux. En 2005, l'opération est rebaptisée Printemps des vins de Blaye. Depuis, elle se déroule en avril dans la citadelle de Blaye.
Muni d'un pass à 8 euros, chacun peut déguster les vins de tous les vignerons présents et participer à quantité d'animations (ateliers d'assemblage, de cuisine, balade en bateau, démonstration de labour à cheval et de rouleurs de barriques).
Le budget de l'événement atteint 100 000 euros (communication et embauche de quinze personnes pour les deux jours). Chaque vigneron paye son emplacement moins de 200 euros. Lors de cette édition, chacun a vendu, en moyenne, 400 bouteilles. Véronique Lardière, quant à elle, en a vendu près de 500 !
LES RECETTES D'UNE OPÉRATION RÉUSSIE
- Véronique prépare cette manifestation comme s'il s'agissait d'un salon. « Il faut envoyer suffisamment à l'avance les invitations aux clients. Nous en recevons une trentaine de la part de l'ODG Blaye. Je n'hésite pas à relancer les clients pour être sûre de leur présence. »
- Elle présente une gamme étoffée pour satisfaire la curiosité des visiteurs qui veulent goûter le plus possible pour découvrir l'AOC.
- Elle soigne la décoration du fût qui lui sert de stand.
- Elle est souriante, parle de ses vins mais aussi d'elle-même. « Il faut être naturel et partager son histoire, son âme », rappelle Véronique.