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GÉRER

Se remotiveraprès le gel

AUDE LUTUN - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 64

Où retrouver de l'énergie après le gel ? En se focalisant sur ce qui marche et en trouvant du réconfort auprès de collègues. Témoignages de viticulteurs touchés...
MALGRÉ LEURS EFFORTS, nombre de viticulteurs ont subi de lourdes pertes après les épisodes de gel d'avril. © M. JOLY

MALGRÉ LEURS EFFORTS, nombre de viticulteurs ont subi de lourdes pertes après les épisodes de gel d'avril. © M. JOLY

« Vous ouvrez les volets le matin du 27 avril, et là... Waterloo, morne plaine. Des vignes gelées à perte de vue. Forcément, il a fait - 5 °C... » Ce commentaire de Pierre Forgeron, viticulteur à Cognac, résume l'état d'esprit de ceux que les gelées d'avril ont durement touchés. Chez lui, sur 24 ha, seulement 7 ont été épargnés par la catastrophe.

Comment repartir ? En pensant à ce qui marche, malgré tout. C'est du moins ainsi que Pierre Forgeron a réagi. « J'avais déjà vécu le gel de 1991, mais j'étais jeune, poursuit-il. Ce n'est pas simple à vivre, mais nous avons la chance d'être dans une conjoncture économique favorable à Cognac. Et nous avons aussi la chance, pas tous malheureusement, d'avoir la réserve climatique qui sert de tampon. S'il gèle une fois tous les vingt-cinq ans, ce n'est pas une catastrophe, mais il ne faudrait surtout pas que cela se reproduise en 2018 ! »

D'autres viticulteurs ont trouvé du réconfort chez leurs collègues après avoir ressenti un grand désarroi. « Figé dans mes vignes, je n'avais qu'une envie, celle de devenir prof, confie ce vigneron bourguignon. J'ai perdu 70 % de ma récolte, après une année 2016 déjà déficitaire. Le film défile vite dans votre tête. On annule le projet d'achat d'une cuve, on pense à la taille de 2018 qui sera compliquée, etc. Ce qui m'a aidé, ce sont les appels des collègues de la région mais aussi d'autres vignobles. J'ai également reçu de nombreux messages de soutien de mes clients. »

Dominique Furlan, viticulteur bordelais, a perdu 80 % de sa récolte. « J'avais subi un coup de grêle en 2013, ce qui m'a rappelé que la nature ne fait pas de cadeau », précise-t-il. Président de la coopérative de Saint-Pey - Génissac, il apprécie la dynamique qui s'est mise en place à la suite du gel : « C'est un choc, mais il y a beaucoup de contacts et d'entraide au sein de la coopérative. On se remonte le moral. On évite la solitude. On organise des réunions. Cela rassure tout le monde et permet d'échanger. »

Pour Renaud Limbosch, viticulteur à Puisseguin, en Gironde, « cela va être difficile de garder la tête hors de l'eau avec la succession des mauvaises années ». Son vignoble a été touché à presque 100 %. Pour diversifier ses sources de revenus et ne pas être totalement dépendant du climat, Renaud Limbosch a développé une activité de chambres d'hôtes. « Avec ces revenus et ceux de mon épouse, qui travaille à l'extérieur, on passera le cap, témoigne-t-il. Les viticulteurs de la région commencent à être touchés au plus profond. L'aléa climatique fait partie de notre métier, mais nous n'avons plus de parachute avec la fin des indemnisations "calamités agricoles". Il faudrait réfléchir collectivement à une solution de remplacement. »

Dans les côtes du Ventoux, le gel a impacté 80 à 100 % des 4,5 ha de Karim Riman, après la grêle de 2014 et la sécheresse de 2016. « Sous le coup de la colère et de l'abattement, j'avais envie de tout arrêter, précise ce viticulteur également consultant technique en viticulture. J'ai mis presque un mois à revenir dans mes vignes. Je me suis concentré sur mon activité de consultant. C'était important moralement et financièrement. C'est mon activité de conseil qui renfloue la partie viticole depuis plusieurs années. C'est anormal. Ma double activité m'évite de sombrer, mais je sais que c'est très compliqué pour certains collègues. Nous vivons une succession rapprochée d'aléas climatiques. Il va falloir s'habituer à l'inhabituel... »

Le Point de vue de

LYDIE CONSTANT, COACH PROFESSIONNELLE À LA CHAMBRE D'AGRICULTURE DU RHÔNE

« Demandez-vous si votre métier a du sens »

« Face à un gros traumatisme comme le gel, il est normal que la personne touchée vive un enchaînement de réactions. On peut prendre l'image d'un escalier à gravir. La première marche est celle de la sidération, la deuxième celle du déni, la troisième celle de la colère. Vient ensuite la quatrième marche, celle de la tristesse et la cinquième, celle de l'action où je décide de m'adapter à la nouvelle situation : je demande de l'aide, je repousse un investissement, je fais de nouveaux projets, etc. La sixième marche est celle de la satisfaction d'avoir dépassé l'épreuve. Pour trouver l'énergie de monter cet escalier, il y a deux clés à mobiliser. La première est de s'interroger sur le sens du métier de vigneron, si risqué, et répondre à la question « si je continue, à quoi ça va servir ? ». Si mon métier a du sens dans ma vie, je pourrai gravir les cinq premières marches, avec du temps. Sinon, on a le choix de partir vers d'autres projets. La deuxième clé est de s'entourer de personnes qui vous écoutent et vous aident à rebondir par leur questionnement ou leurs propositions. Il peut être utile, si on se sent perdu, de faire appel à un coach professionnel. Le conjoint ne peut pas forcément remplir ce rôle. »

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