Les années ont passé. Mais Alain Duc, propriétaire du château de Laborde (3 500 hl écoulés à la cave coopérative d'Espiet), à Daignac, dans l'Entre-deux-Mers, n'a rien oublié. Le 23 juin 2003 reste gravé dans sa mémoire. Ce jour-là, le temps est au beau fixe. Mais trop chaud. Trop lourd. Une température autour de 40°C. Pas de vent. C'est une année de sécheresse. La récolte s'annonce précoce. Aucune alerte météo n'est donnée. Le calme est trompeur.
À 20 heures, un nuage obscurcit le ciel. L'orage éclate. Le vent souffle à plus de 160 km/h. Quinze minutes plus tard, la tempête est passée. Alain Duc ne peut que constater les dégâts. Sa propriété est durement touchée : sur 85 ha, 30 sont à terre, grêlés. Pendant plusieurs jours, le viticulteur ne pense qu'à une chose : faire venir un bulldozer et arracher toutes ses vignes. Un élan de solidarité, impulsé par la chambre d'agriculture de la Gironde, va le faire changer d'avis. « Le samedi après la catastrophe, des bénévoles sont venus nous donner un coup de main. Nous pensions qu'il y aurait une petite trentaine de personnes. Au final, 120 viticulteurs et autres bénévoles sont arrivés chez nous », se souvient-il.
Dans le brouhaha, il faut organiser le travail, à savoir relever les vignes couchées au sol. À chacun sa tâche. Il y a ceux qui distribuent les piquets, ceux qui conduisent les tracteurs avec des enfonce-pieux et ceux qui plantent des pointes dans les nouveaux piquets. Le tout sans prendre le risque d'un accident. À midi, il faut nourrir toutes ces bonnes volontés. À la va-vite, les femmes des viticulteurs font cuire les poulets et dressent les tables et chaises fournies par la commune sur le chemin qui borde la propriété.
En une journée, 4 500 piquets sont replantés sur un millier de rangs. « Je n'imaginais pas qu'on puisse nous aider à ce point. J'ai tellement été touché par cet élan de générosité, inoubliable, que cela m'a donné envie de rebondir », reconnaît Alain Duc. Exit l'envie d'arracher ses vignes. Sauf qu'il faut trouver de l'argent.
Avec la tempête, il faut combler une perte de 200 000 euros (travail à la vigne et récolte perdue) sur un chiffre d'affaires de 600 000 euros. Pour colmater les brèches, le vigneron va prendre très vite deux décisions. D'abord arracher 5 ha sur les parcelles les moins qualitatives. Ainsi, il bénéficie de la prime à l'arrachage définitif qui était de 15 000 €/ha à l'époque. De quoi lui apporter 75 000 euros. Reste à trouver 125 000 euros. Il prend alors une seconde décision, la mort dans l'âme : vendre une maison acquise grâce à un héritage. « Lorsque l'acte de vente a été signé en février 2004, je n'étais pas fier de moi ni très heureux. Mais j'avais comblé la perte de mon exploitation », souligne-t-il.
Dans l'affaire, il n'a fait appel à la banque que pour un prêt de 30 000 euros. Sa trésorerie retrouvée, le viticulteur a continué à investir normalement : plantation de 4 ha par an et renouvellement du matériel. En revanche, il n'a pas remplacé ses ouvriers permanents lorsqu'ils sont partis à la retraite. En 2003, ils étaient sept à travailler sur la propriété. Aujourd'hui, ils ne sont plus que deux. Alain Duc a préféré faire appel à un prestataire. « Je n'ai pas osé embaucher de nouveaux ouvriers après le départ en retraite des anciens. Avec les catastrophes naturelles qui se répètent, le risque de mettre des salariés au chômage est bien réel », prévoit-il.
Le 2 août dernier, la grêle a de nouveau frappé sa propriété. 50 de ses 80 ha sont atteints. La perte avoisine 400 000 euros. Seul réconfort : il y a deux ans, Alain Duc a souscrit une assurance pour toute la récolte et les frais fixes. Cette fois, il ne devrait pas avoir à vendre de biens pour passer ce nouveau coup dur.
« Il faut mettre en place un stock d'une demi-récolte »
Les aides publiques ? Alain Duc n'y croit guère. Il garde en mémoire le ballet des politiques de tout bord venus sur sa propriété en 2003, répétant que les sinistrés ne seraient pas oubliés. « Finalement, on nous a laissé tomber. » Peu importe. « Il faut arrêter de réclamer des aides », répète Alain Duc. Face aux catastrophes climatiques, « je demande à ce que nous soyons autorisés à mettre une demi-récolte en stock, sous forme de volume complémentaire individuel, soit 30 hl/ha au lieu des 15 hl/ha autorisés. L'autre moitié de la récolte serait assurée par un contrat négocié collectivement au niveau de l'interprofession ». Vice-président de la MSA Gironde et président de la cave coopérative d'Espiet, Alain Duc entend peser de tout son poids pour faire avancer le dossier.