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DOSSIER - La viticulture solidaire et généreuse

Des réponses spontanées à la détresse

CHANTAL SARRAZIN, MYRIAM GUILLEMAUD, FLORENCE JACQUEMOUD, CHRISTOPHE REIBEL, D. B. - La vigne - n°258 - novembre 2013 - page 32

Les exemples sont nombreux où voisins et amis d'un viticulteur frappé par le malheur lui viennent en aide. Voici quelques-uns de ces élans de générosités qui se sont produits cette année.
LE 8 NOVEMBRE 2012, les trente-cinq vignerons qui se sont promis assistance en cas de coup dur se sont mis torses nus. Nus, comme l'étaient leurs vignes à ce moment-là, quatre mois après le passage de l'orage qui a dévasté les vignes des Bouches-du-Rhône. En haut, l'étiquette de la cuvée Grêle produite par Raimond de Villeneuve avec les raisins donnés par ses confrères. © A. GIRAUD

LE 8 NOVEMBRE 2012, les trente-cinq vignerons qui se sont promis assistance en cas de coup dur se sont mis torses nus. Nus, comme l'étaient leurs vignes à ce moment-là, quatre mois après le passage de l'orage qui a dévasté les vignes des Bouches-du-Rhône. En haut, l'étiquette de la cuvée Grêle produite par Raimond de Villeneuve avec les raisins donnés par ses confrères. © A. GIRAUD

 © N. TEMPIER

© N. TEMPIER

SI LES VIGNES DE PHILIPPE RABY sont debout aujourd'hui, c'est grâce à l'aide dont il a bénéficié après la tempête qui les avait couchées les 26 et 27 juillet derniers.

SI LES VIGNES DE PHILIPPE RABY sont debout aujourd'hui, c'est grâce à l'aide dont il a bénéficié après la tempête qui les avait couchées les 26 et 27 juillet derniers.

RÉMI LACOSTE, était apprécié de tous. On le voit ici avec son père et Roland Podenas, le président de la cave de Crouseilles (Pyrénées-Atlantiques), aux Barriques d'or en 2012.

RÉMI LACOSTE, était apprécié de tous. On le voit ici avec son père et Roland Podenas, le président de la cave de Crouseilles (Pyrénées-Atlantiques), aux Barriques d'or en 2012.

JEAN-MICHEL HAEFFELIN (au centre) a pu compter sur ses amis coopérateurs pour réaliser les travaux dans ses vignes pendant son immobilisation. © C. REIBEL

JEAN-MICHEL HAEFFELIN (au centre) a pu compter sur ses amis coopérateurs pour réaliser les travaux dans ses vignes pendant son immobilisation. © C. REIBEL

UNE CENTAINE DE PERSONNES ont récolté 5,5 ha en une journée pour aider Alain Auger, un viticulteur ayant subi une opération juste avant les vendanges. © V. PARIZOT

UNE CENTAINE DE PERSONNES ont récolté 5,5 ha en une journée pour aider Alain Auger, un viticulteur ayant subi une opération juste avant les vendanges. © V. PARIZOT

PROVENCE : Trente-cinq vignerons liés par un pacte

Tout a commencé avec la catastrophe survenue chez Raimond de Villeneuve, à Roquefort-la-Bédoule, dans les Bouches-du-Rhône.

Le 1er juillet 2012, un orage de grêle d'une rare violence déchiquette ses 24 ha de vignes, plantées en AOC Côtes de Provence. « En sept minutes, j'avais tout perdu », se remémore-t-il. Très vite, ses copains vignerons sont mis au courant.

À 70 km de là, Peter Fischer, du château Revelette, à Jouques (Bouches-du-Rhône), décide de lui donner une partie de sa vendange. Son initiative se répand comme une traînée de poudre, d'autant qu'elle est relayée sur Facebook. Rapidement, trente-cinq vignerons provençaux et rhodaniens cèdent des raisins et des moûts à leur collègue sinistré.

Pour Peter Fischer, ce sera 5 tonnes de grenache et de carignan provenant de vieilles parcelles. « Raimond est un ami de longue date avec qui je partage la même philosophie de production, dit-il. Une perte de l'ampleur de celle qu'il a subie peut faire mettre la clé sous la porte. Il m'a paru évident de le secourir. »

Grâce à ces dons, Raimond de Villeneuve a reconstitué 80 % d'une récolte avec l'accord des douanes. Il a ainsi produit 125 458 cols, dont 70 % de rosés. Le 31 août dernier, il a réuni ses amis autour d'un déjeuner pour les remercier de leur générosité. Ce jour-là, ils ont scellé un pacte moral. « Nous avons promis de nous entraider en cas de coup dur », annonce Peter Fischer.

70 % de la récolte recomposée. Christian Valensisi, qui avait donné 10 hl de moût à Raimond de Villeneuve, se trouvait parmi eux. Le propriétaire du domaine La chapelle Saint-Bacchi venait de perdre sa récolte grêlée un mois plus tôt, le 7 juillet. Comme son collègue, il n'était pas assuré. À son tour, il a bénéficié de la générosité du groupe. « Mes 7 ha de vignoble en coteaux-d'aix-en-provence ont été durement touchés. Je n'ai vinifié que 6 hl », indique-t-il. Huit domaines lui ont donné des raisins ou des moûts de grenache, de cinsault et de syrah. Ils lui ont permis de recomposer 70 % de sa récolte. Sans cette aide, il aurait dû acheter du raisin aux alentours de 150 €/hl, le cours du coteaux-d'aix-en-provence. Moins de vignerons ont participé à l'élan de solidarité que l'an passé. « Les rendements sont inférieurs, explique Christian Valensisi. L'année est compliquée pour tout le monde. »

Cette année, il ne produira pas de coteaux-d'aix-en-provence. Grâce aux apports de ses collègues, il va élaborer deux rosés en IGP Méditerranée et un vin de France rouge « sur le fruit », précise-t-il. Il a déjà averti ses clients, cavistes et restaurateurs, pour qu'ils ne soient pas surpris. Ils sont tous partants pour lui acheter ces vins à des prix qui devraient se rapprocher de sa gamme actuelle, soit entre 7,50 et 12,50 €/col. Il n'a pas encore choisi de nom à ces cuvées.

Raimond de Villeneuve, qui a élaboré un rosé, un blanc et deux rouges en IGP Méditerranée, a baptisé ces vins Grêle 2012. Il a inscrit le nom de ses trente-cinq contributeurs sur la contre-étiquette, de même que l'histoire de la bouteille. Et l'explication suivante : « Cette cuvée parfaitement unique est issue des terroirs de l'entraide vigneronne Provençalo-rhodanienne ! C'est une composition unique et non reproductible. »

Il ne lui reste plus de rosés et quasiment aucun blanc. Vendue 12 euros au caveau dans les trois couleurs, la cuvée Grêle a suscité l'enthousiasme à l'export, qui représente 50 % de la commercialisation du domaine. Les importateurs américains, en particulier, ont été touchés par cette aventure généreuse. Sans ces dons, Raimond de Villeuneuve aurait déposé le bilan.

COGNAC : Dix jours de coups de main

Dans la nuit du 26 au 27 juillet dernier, de violentes bourrasques se sont abattues sur les Charentes. Au réveil, Philippe Raby, viticulteur à Segonzac (Charente), a eu la mauvaise surprise de découvrir ses vignes couchées par le vent. « Sur mes 20 hectares, dix ont été touchés », souligne-t-il. Les vignes dont les rangs étaient perpendiculaires aux vents étaient les plus atteintes. « Les premiers rangs étaient couchés presque de bout en bout. Tous les piquets, en bois, étaient cassés », ajoute-t-il.

Aussitôt, voisins, cousins et amis sont venus lui prêter main-forte. « Pendant dix jours, nous avons planté de nouveaux piquets, se souvient Philippe Raby. Au total, j'ai dû changer 900 piquets, dont 400 sur une seule parcelle. Et, un peu partout, le fil de fer avait lâché. Il a fallu rafistoler et redresser les vignes. Cela n'a pas été facile parce qu'il y avait beaucoup de feuillage et de raisin. » Les dégâts des intempéries ont été d'autant plus forts que Philippe Raby mène ses vignes en arcure haute, un mode de conduite qui donne beaucoup de prise au vent.

Pendant ces dix jours, cinq à six personnes – des viticulteurs et un voisin comptable – se sont relayées pour relever ce que le vent avait jeté au sol. Les viticulteurs étaient là quand ils n'étaient pas pris par leurs propres exploitations. Le voisin venait en renfort à la fin de sa journée de travail. Les fils de Philippe Raby, Geoffrey et Germain, sont aussi venus l'aider.

Évidence. « C'est de l'entraide de bon voisinage », observe Guy Redeuil, un ami viticulteur qui a passé quelques jours dans les vignes de Philippe Raby. Cette solidarité est pour lui une évidence. « Quand il y a besoin d'un coup de main, nous sommes là. » « Tous sont venus spontanément, renchérit Philippe Raby. De mon côté, je suis également allé chez des voisins qui avaient eux aussi des dégâts. Nous sommes toujours solidaires pour nous prêter une remorque ou des piquets, pour les moissons et les vendanges. » Et, surtout, quand la vigne est par terre après l'orage…

MADIRAN : 140 vendangeurs pour Rémi Lacoste

L'émotion est très forte, lorsqu'on parle de Rémi Lacoste à Aydie (Pyrénées-Atlantiques), petit village du Madiranais de 140 habitants. Le jeune vigneron, qui exploitait 18 ha, est tragiquement décédé d'un accident du travail dans ses vignes en avril dernier. Il avait 27 ans.

« Il était seul sur son exploitation, ses parents sont retraités, raconte Roland Podenas, le président de la cave de Crouseilles (Pyrénées-Atlantiques) où Rémi Lacoste livrait son raisin. Il était très engagé et travaillait beaucoup. Un grand élan de solidarité s'est tout de suite mis en place pour ne pas laisser ses vignes à l'abandon. »

Vignerons de la coopérative et indépendants, jeunes du comité des fêtes d'Aydie dont il était le président, amis du club de rugby de Lembeye, voisins et même nouveaux venus dans le village se sont mobilisés pour entretenir ses vignes, aux côtés de ses parents, Claudine et Maurice.

« Exemplaire. » Les amis de Rémi ont organisé cinq journées pour réaliser les travaux en vert. Chacune a réuni une cinquantaine de volontaires. « Comme la plupart n'étaient pas du métier, nous avons constitué des groupes de cinq personnes autour d'un vigneron qui leur montrait les gestes à réaliser », précise Grégory Laplace, un jeune vigneron qui travaille sur l'exploitation de ses parents. Le samedi 12 octobre, 140 personnes sont venues toute la journée pour vendanger le tanat et le cabernet franc de Rémi. Les jeunes du comité des fêtes et du rugby avaient créé une page Facebook pour diffuser l'information, tandis que les plus âgés ont préféré le bouche à oreille. Pour le déjeuner, l'association des chasseurs a fait rôtir un sanglier à la broche. « C'était exemplaire, formidable, commente Maurice Lacoste. Les gens sont venus de partout. Nous ne pensions pas qu'ils viendraient aussi nombreux. »

Après ce samedi, il restait 3 ha de petit manseng et de petit courbu à vendanger pour produire du pacherenc-du-vic-bilh, un vin liquoreux. Une barrique de Rémi avait d'ailleurs été sélectionnée pour une vente aux enchères organisée par Producteurs Plaimont, le groupe coopératif auquel appartient la cave de Crouseilles. Finalement, ce vin sera mis en bouteilles et remis à la famille et aux personnes qui se sont mobilisées pour aider. Quant au fruit de la vendange, il ira à l'EARL Domaine de Mourchette que dirigeait Rémi Lacoste.

ALSACE : La coopérative, une grande famille

Ce 25 juin 2013, Jean-Michel Haeffelin palisse les vignes du viticulteur chez qui il travaille comme ouvrier viticole. Soudain, dans une pente prononcée, son tracteur bascule. Sa jambe est prise sous l'engin. Il souffre d'une fracture du tibia et du péroné qui nécessite quatre mois d'immobilisation. Une sacrée tuile pour Jean-Michel Haeffelin, double actif de 27 ans, également coopérateur sur 2,5 ha. Car en cette fin juin, sa vigne demande à être relevée, palissée et épamprée !

La nouvelle de l'accident fait rapidement le tour de la cave de Turckheim, où Jean-Michel livre ses raisins, et du syndicat viticole de Wintzenheim (Haut-Rhin) auquel il adhère. La mobilisation est spontanée et rapide. Le samedi 6 juillet, 35 personnes se présentent dans sa cour. En une matinée, elles achèvent tous les travaux en vert qu'il restait à effectuer ! À la fin des travaux, Jean-Michel a récompensé toutes ces bonnes volontés par un apéritif.

De l'aide jusqu'aux vendanges. « À la coopérative, nous formons une grande famille. Nous avons réagi par réflexe. Cela a déjà été le cas trois fois par le passé. Car tout le monde se dit “cela aurait pu m'arriver” », résume Gilles Mann, un très bon ami de Jean-Michel, coopérateur comme lui. « Sans cette aide, je ne sais pas comment je me serais débrouillé. Je n'aurais trouvé personne pour me remplacer du jour au lendemain », commente Jean-Michel.

La solidarité ne s'est pas arrêtée là. « Mes cousins se sont occupés des traitements. Mes collègues m'ont régulièrement appelé pour prendre de mes nouvelles et demander mon programme de travaux », indique Jean-Michel.

Gilles fait partie de ceux qui n'ont pas compté leurs heures. « Jean-Michel et moi respectons le même cahier des charges de la coopérative. En passant devant une de ses parcelles, je savais d'emblée ce qu'il y avait à faire », dit-il. C'est aussi lui qui a organisé les vendanges pour son ami. Tout naturellement.

BEAUJOLAIS : Une réunion pour tout mettre en route

Alain Auger avait prévu depuis longtemps de subir une intervention chirurgicale début octobre, pensant vendanger avant son départ avec « l'esprit tranquille », se souvient-il. Mais l'affaire s'est compliquée du fait de la récolte tardive. Début septembre, il semblait improbable qu'il puisse vendanger avant la fin du mois. « Nous avions un retard jamais vu depuis trente ans ! » s'exclame Alain Auger. Or, il ne voulait pas laisser sa femme Annie gérer seule la récolte des 6 ha de beaujolais villages qu'ils exploitent à Salles-Arbuissonnas-en-Beaujolais.

Dès que le comité d'entraide du village a appris l'histoire, il s'est mobilisé. « Même si nos interventions sont rares, notre comité fonctionne bien. Il s'active dès que nécessaire », affirme son président François Béroujon. Une seule réunion a suffi pour mobiliser les 25 exploitants du village et décider de passer un appel dans la presse locale. Les viticulteurs étaient d'autant plus enclins à venir aider Alain Auger qu'il a lui-même été président de la section de Salles du comité d'entraide.

Seule inconnue : la date de récolte. Les viticulteurs du village voulaient avoir fini chez Alain Auger avant d'attaquer les vendanges chez eux. « Mais nous serions venus avec nos propres vendangeurs chez Alain s'il n'avait pas atteint le degré à temps », note François Béroujon.

« Vraie solidarité beaujolaise. » Finalement, un créneau se présente plus tôt que prévu : le samedi 21 septembre, trois jours avant le ban des vendanges. « Nous avions le degré sur presque toute l'exploitation », se réjouit le couple Auger. L'affaire étant engagée, le jour J, une centaine de personnes ont répondu à l'appel : les confrères du village, des coopérateurs de la cave du Perréon (Rhône) – un village situé à 5 km où Annie et Alain apportent une partie de leurs raisins –, des amis, de la famille ainsi que des chasseurs et des pompiers.

Réparti en deux troupes, le groupe a récolté 5,5 ha en une journée, laissant un demi-hectare à la famille Auger. Restait à trouver une coopérative où vinifier la vendange. « Celle du Perréon étant encore fermée, nous avons pu nous replier vers celle de Saint-Julien, ouverte pour ses crémants », explique le couple.

Aujourd'hui, Alain se remet de son opération. Lui et son épouse « remercient tout le monde. Nous avons été très touchés par cette mobilisation. C'est une vraie solidarité beaujolaise ».

De la vendange cédée pour un euro

Pour collecter les dons de ses collègues, le château de Roquefort, à Roquefort-la-Bédoule (Bouche-du-Rhône), a demandé une dérogation aux douanes. Les vignerons lui ont cédé en moyenne 2 % de leur récolte pour un euro symbolique. Le château de Roquefort a donc établi pour chaque livraison un document simplifié d'accompagnement (DSA) et une facture d'un euro. Il a fait parvenir à chacun des vignerons le DSA prérempli en leur demandant de le compléter. Il a pris à sa charge les frais de livraison. Il a regroupé ces documents et les a transmis aux douanes. De leur côté, les vignerons ont déduit comme étant à céder cette quantité de raisin en hectolitre sur leur déclaration de récolte.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :