Ce jeudi 23 juin, Vincent Renouf et Rémi Teissier du Cros viennent mesurer l'oxygène dissous dans cinq barriques de vins rouges du Château Phélan Ségur, à Saint-Estèphe (Gironde). Pour cela, les deux experts utilisent ChênOx, un dispositif pour le moins innovant proposé depuis peu par Chêne Services. « Avec ChênOx, plus besoin d'ouvrir la bonde des barriques, ce qui biaise l'information », explique Vincent Renouf, gérant de Chêne Services.
Mieux comprendre l'oxydation
En effet, le bureau d'études a mis au point un passe-paroi étanche qui se pose sur les fûts. Ce dispositif présente deux orifices au travers desquels on insère un thermomètre et la sonde à oxygène ChênOx. « Il nous sert également à insérer nos sondes de pression et de mesure du potentiel RedOx », indique Rémi Teissier du Cros, responsable scientifique bois à la tonnellerie Taransaud, du même groupe que Chêne Services.
« Nous sommes très intéressés par ces mesures pour comprendre les phénomènes d'oxydation et piloter au mieux l'élevage », explique Fabrice Bacquey, directeur technique du Château Phélan Ségur. Mais l'objectif du suivi par ChênOx n'est pas d'empêcher toute entrée d'oxygène dans les vins. « On en a besoin pour initier certaines réactions comme celles touchant aux polyphénols », rappelle Vincent Renouf.
« Aujourd'hui, la quantité d'O2 dissous est de 49 µg/l. C'est faible, donc aucun risque d'oxydation du vin, assure Vincent Renouf, après avoir inséré une sonde à oxygène dans le passe-paroi situé à côté de la bonde au-dessus de la barrique. Cela signifie aussi que le vin ne s'est pas évaporé sous la bonde. C'est intéressant à savoir pour gérer au mieux l'ouillage. »
Le but : réduire le soufre...
Il faut dire qu'après avoir effectué une batterie de mesures chez leurs clients, les techniciens de Chêne Services savent décrypter les informations données par ChênOx. « Nous pouvons relativiser certaines mesures. Nous savons ainsi qu'après un entonnage à la canne de fûts neufs, la quantité d'O2 dissous augmente généralement de 4 à 8 mg/l durant 24 à 48 heures. Ensuite, elle revient à sa teneur initiale. Nous pouvons donc rassurer nos clients sur ce point », poursuit Vincent Renouf.
Et à chaque client, ses questions. « Certains souhaitent connaître l'impact des soutirages sur l'oxygène dissous dans le vin. D'autre celui du bâtonnage ou de la micro-oxygénation, explique-t-il. Mais tous ont un objectif commun : réduire les doses de soufre. »
Ainsi, au travers des suivis effectués dans différents domaines, les ingénieurs de Chêne Services ont remarqué que le bâtonnage classique, ou par retournement des barriques, influence peu la quantité d'O2 dissous dans le vin. « En revanche, un vin qui subit un bâtonnage par retournement des barriques s'imprègne moins des composés bénéfiques des lies qu'avec un bâtonnage classique », note Vincent Renouf.
De son côté, Fabrice Bacquey s'interroge sur l'oxygène dissous durant tout l'élevage. « Cela peut m'aider à choisir le bouchon lors de la mise en bouteille. Pour un vin qui a déjà eu beaucoup d'oxygène durant l'élevage, je privilégierai un bouchon de 25 mm plutôt que de 24 », explique-t-il.
... ou tester des techniques
À une dizaine de kilomètres de là, à Pauillac, au Château Pichon Baron, une trentaine de barriques sont percées de passe-parois. Depuis un mois et demi, le laboratoire suit de près six d'entre elles. « Les cavistes du château ne mèchent plus systématiquement leurs fûts au soufre après un soutirage. Ils testent une canne à UV pour les stériliser sur les premiers millimètres du bois et veulent connaître l'impact de cette technique sur le vin », explique Vincent Renouf.
Ainsi, après le soutirage d'avril, le domaine a testé plusieurs modalités. Chaque barrique a subi au préalable un nettoyage à la vapeur d'eau durant 6 min environ, puis une désinfection, soit par méchage, soit avec la canne à UV. Pour deux d'entre elles, le temps de traitement à la vapeur a été réduit de moitié. « Nous avons remarqué qu'après un traitement à la vapeur, le fût relargue parfois davantage d'oxygène dans le vin. Nous voulons donc tester l'impact d'un temps de traitement plus faible », précise Vincent Renouf.
Pour cela, l'équipe de Chêne Services a installé sur chacune des six barriques deux ChênOx et un capteur RedOx. Il s'agit de voir si les alternatives au méchage favorisent l'oxydation des vins.
Après un mois et demi de suivi, l'expert est confiant : « On ne constate aucune différence chez les barriques stérilisées avec la canne à UV. Néanmoins, le millésime 2016 étant puissant et stable, il n'est pas étonnant que le potentiel RedOx soit faible ; entre 70 et 80 mV. Les teneurs en oxygène dissous sont, elles, entre 30 et 50 µg/l, ce qui confirme que les vins présentent une forte aptitude à consommer l'O2 sans évoluer négativement. Mais pas de conclusions hâtives. Nous verrons sur le prochain millésime. Et nous ignorons encore ce qu'il en est de la qualité microbiologique du vin, même si les analyses réalisées sur le bois après les traitements laissaient présager que le SO2 et les UV étaient aussi efficaces pour stériliser la surface du bois », souligne l'expert.
Oxygène : le chêne en relargue dans le vin
Dans le cadre d'une thèse en partenariat avec l'ISVV de Bordeaux finie en 2015, Chêne & Cie a testé son capteur de pression BarrOx. L'objectif était de comprendre les transferts de gaz entre le chai, le bois et le vin. « Au terme de mesures en laboratoire et sur les barriques avec BarrOx et ChênOx, nous nous sommes aperçu que 50 % de l'oxygène dissous dans le vin provenait de la désorption de l'O2 présent dans les vaisseaux du bois. L'autre moitié pénètre par les jointures, entre les douelles et entre le fût et le fond. Une quantité minime pénètre par la bonde », explique Vincent Renouf, gérant de Chêne Services. Les chercheurs estiment ainsi à 30 mg/l de vin la quantité d'O2 relarguée par le bois sur une année d'élevage en fût neuf à grain fin et avec un temps de chauffe moyen. Cette désorption s'atténue au fur et à mesure que le bois s'imprègne de vin. Reste à affiner les résultats pour comprendre les paramètres physico-chimiques du vin et du chai qui influencent ce phénomène. « C'est l'objet d'une seconde thèse qui a débuté en janvier dernier, indique Vincent Renouf. L'imprégnation du bois par le vin ou l'humidité du chai peut influencer la désorption de l'oxygène. »
ChênOx : un dispositif déjà largement diffusé
Depuis son lancement, le dispositif ChênOx équipe pas moins de 500 barriques dans le Bordelais, soit environ 80 domaines. « Nous avons aussi des clients dans d'autres régions de France, aux États-Unis et en Afrique du Sud », se félicite Vincent Renouf. La plupart d'entre eux sont de grands domaines habitués aux expérimentations. Pour bénéficier de ce service, la somme déboursée oscille entre 2 000 et 5 000 € par suivi d'élevage en fonction de la fréquence des prises de mesure et du nombre de barriques, qui varie de quelques fûts à une dizaine par chai pour les plus équipés. Chêne Services assure l'installation du passe-paroi, la réalisation et l'interprétation des mesures. Aujourd'hui, la société dispose d'une base de données de près de 20 000 mesures, ce qui précise les interprétations restituées aux clients.