« Ce sont toujours les mêmes qui viennent aux prospections et qui donnent de leur temps à la collectivité. Au bout d'un moment, ils se découragent », observe Anne-Sophie Benard, la directrice de l'ODG Ventoux. Cette appellation est touchée par la flavescence dorée. Les surfaces à inspecter pour rechercher les pieds malades progressent régulièrement. « Au début, les viticulteurs prospectaient eux-mêmes leurs vignes. Mais les foyers se sont étendus. On a alors libéré un budget pour qu'un technicien de la chambre d'agriculture organise des prospections collectives avec les volontaires », explique la directrice.
Mais en 2016, patatras ! Un nouveau foyer est découvert à Bédoin (Vaucluse), au sud de ceux, plus anciens, de Beaumont-du-Ventoux et de Malaucène. La préfecture élargit le périmètre de la lutte obligatoire à tout le Ventoux en 2017. Pour l'ODG, il n'est plus question de compter sur la seule bonne volonté d'une poignée de viticulteurs. Tous doivent participer à l'effort collectif. Cette année, l'ODG a donc décidé de lever une cotisation exceptionnelle de 10 €/ha, qui sera rétrocédée aux vignerons prospecteurs en guise d'indemnisation. « J'ignore si c'est la bonne solution, mais elle a le mérite d'être plus juste », justifie Anne-Sophie Benard.
Un dispositif similaire est à l'oeuvre dans le Luberon. L'ODG et le GDA local organisent les prospections avec des intérimaires et des vignerons volontaires. Les prospecteurs perçoivent 100 € par matinée. Pour financer ce système, l'ODG a levé une cotisation de 8 à 10 € - selon les années - par hectare de vigne plantée. Seuls les viticulteurs qui ont des parcelles dans le sud de l'appellation où la prospection est obligatoire sont concernés par cette cotisation. « Grâce à cette organisation, nous arrivons à prospecter plus d'un quart du vignoble. On envisage donc de l'élargir au nord de l'appellation », précise Françoise Besson, technicienne à l'ODG.
L'ODG des bordeaux et bordeaux supérieur met lui aussi tout en oeuvre pour impliquer davantage ses adhérents dans la protection du vignoble bordelais. Il distribue ainsi des flyers, organise des réunions de terrain, etc., pour les sensibiliser. Il demande à ses délégués cantonaux de montrer l'exemple en s'inscrivant aux prospections organisées par le GDon des bordeaux. Pour dédommager les viticulteurs qui participent aux recherches, il a voté en mars de cette année une hausse de la cotisation dédiée à la lutte contre la flavescence dorée. Celle-ci devait passer de 5 à 5,50 €/ha. De quoi verser 80 € la journée aux volontaires. Mais le gel d'avril a changé la donne. « Cette disposition a été suspendue et sera rediscutée l'an prochain », explique Florian Reyne, le délégué général de l'ODG.
À Châteauneuf-du-Pape, toute l'appellation est passée en zone de lutte obligatoire il y a trois ans. L'ODG a alors voté la participation obligatoire de tous les adhérents au comptage des cicadelles, aux prospections ou à une formation pour devenir encadrant lors des prospections.
« Nous demandons aux coopérateurs de donner une journée pour ceux ayant moins de 4 ha en appellation et deux jours au-delà », explique Christine Freslard, la directrice de l'ODG. Ceux qui se dérobent à cette corvée se voient facturer 300 € la journée. « Nous sommes au tout début de la contamination. Nous avons besoin que les viticulteurs se mobilisent de mai à septembre. C'est maintenant qu'il faut agir pour que la lutte soit la plus efficiente possible », justifie la directrice.
Début juin, les 330 adhérents de l'ODG reçoivent un bulletin les invitant à s'inscrire aux comptages de cicadelles, aux prospections ou à une formation. Faute de réponse au bout d'un mois, l'ODG les rappelle. « Le taux de retour spontané s'améliore. En 2015, l'année de mise en place du dispositif, nous avons envoyé deux factures à des absents. L'an passé, tout le monde a participé », note Christine Freslard.
En Bourgogne, « le taux de participation aux prospections collectives est très bon », note Claudine Ninot, de la Fredon. Sébastien Caillat, viticulteur à Chassagne-Montrachet (Côte-d'Or), le confirme : « Chaque année, nous sommes environ 150 à y participer sur notre commune. Tout le monde a conscience de l'enjeu. En outre, à Chassagne, les viticulteurs s'entendent bien. Cela joue beaucoup. »
Malgré tout, certains restent aux abonnés absents de manière récurrente. L'étau se resserre autour de ces récalcitrants. Cette année, la préfète a introduit dans l'arrêté de lutte obligatoire une obligation d'émargement des feuilles de présence lors des prospections. L'objectif est clair : recenser les absents afin d'asseoir d'éventuelles suites juridiques. Lesquelles ? Nous n'en saurons pas plus.
À Cognac, des fiches de prospection prêtes à l'emploi
À Cognac, comme aiileurs, les vignerons ont l'obligation de surveiller leurs vignes. Pour prouver qu'ils accomplissent leur devoir, l'arrêté préfectoral de lutte obligatoire leur impose « d'enregistrer le résultat de la prospection de chaque parcelle de vigne sur une fiche de prospection ». Une fiche que leur envoie le Bnic (l'interprofession) sur laquelle ils doivent indiquer s'ils ont observé ou non des pieds flavescents, et si oui, combien. Celle-ci doit être ensuite renvoyée au Bnic. « L'an dernier, le taux de retour des fiches a légèrement baissé. En 2016, 60 % de la superficie du vignoble a été déclarée prospectée contre 68 % en 2015 », rapporte Lætitia Sicaud, animatrice « Flavescence dorée » au Bnic. Les prémices d'une démobilisation ? La technicienne l'ignore. « Il est possible que les viticulteurs aient quand même prospecté leurs vignes mais sans renvoyer la fiche », indique-t-elle.
DIDIER PAURIOL, PRÉSIDENT DE LA CAVE COOPÉRATIVE DES VIGNERONS DU ROY RENÉ, À LAMBESC, DANS LES BOUCHES-DU-RHÔNE « Nous indemnisons les adhérents qui prospectent à hauteur de 100 € la journée »
« Notre coopérative se situe sur un territoire où il y a une forte présence de la flavescence dorée. Des parcelles ont dû être arrachées car elles contenaient plus de 20 % de pieds atteints. Dans d'autres, de nombreux pieds ont dû être éliminés. Les premiers symptômes ont été découverts en 2013. Depuis, nous inspectons chaque année toutes les vignes de la commune de Lambesc et une partie de celles de Rognes et de Saint-Cannat. À cette fin, nous faisons équipe avec les vignerons indépendants. Au total, nous arpentons environ 900 ha, dont 700 ha de la cave. Sur la centaine de coopérateurs que nous avons, plus de la moitié participe aux prospections. C'est un travail énorme qui dure une semaine et que nous effectuons juste avant les vendanges. Notre technicienne en charge du vignoble motive les troupes et organise la prospection. Grâce à elle, cela fonctionne bien. Pour motiver nos adhérents, nous leur expliquons les dégâts qu'occasionne la flavescence dorée. Nous les emmenons sur des parcelles qui ont dû être arrachées à 100 %. C'est plus parlant. Par ailleurs, les participants aux prospections sont indemnisés à hauteur de 100 € la journée. Ceux qui viennent en quad sont défrayés pour les kilomètres qu'ils parcourent. La prospection restera indispensable quoi qu'il arrive. Nous espérons que nos efforts paieront et que la maladie régressera. En 2017, nous avons comptabilisé davantage de parcelles touchées, mais les viticulteurs ont eu moins de pieds à arracher qu'en 2016. Si la situation s'assainit, nous envisagerons de réduire les traitements. »
JEAN-PIERRE LAMBERT, VITICULTEUR SUR 15 HA, À CHERVES-RICHEMONT, EN CHARENTE « On ne fait pas assez peur aux viticulteurs »
« Je suis référent "flavescence dorée" depuis plusieurs années. Au départ, nous étions trois dans ma commune. Désormais, je suis le seul pour ma ville et celle de Cognac. Les candidats ne se bousculent pas. Mon rôle est d'aider les viticulteurs à reconnaître les symptômes s'ils me sollicitent. Mais jusqu'à présent aucun d'entre eux n'a fait appel à moi. Aujourd'hui, ils ne sont plus sensibilisés. Il y en a encore qui s'imaginent qu'ils sont à l'abri de la maladie qu'ils fassent ou non les traitements obligatoires. Il n'en est rien. D'autres craignent qu'on les stigmatise si on découvre un pied malade chez eux. Et d'autres encore font des prospections mais sans déclarer les pieds malades qu'ils trouvent. Ils les arrachent, ni vu, ni connu. Or, le signalement est important pour définir les zones de lutte obligatoire. Face à ce manque de motivation, la cellule "flavescence dorée" organise des prospections collectives. Mais, dans ma commune, personne n'y participe. Il n'y en aura donc pas cette année. Pour motiver les viticulteurs, il faudrait leur faire peur en filmant ceux qui doivent arracher leur parcelle parce qu'elle comprend plus de 20 % de pieds malades. Cela servirait d'électrochoc. »