VINCENT ALEXIS PRÉSENTE SA CUVÉE SPLASH. Ce pétillant 100 % sémillon exprime toute la créativité du vigneron et remporte un grand succès. PHOTO : L. WANGERMEZ
GÉRARD ET VINCENT ALEXIS. Père et fils, ici dans leur parcelle qu'ils surnomment Dune du Pilat, ont su négocier le grand virage de leur domaine. PHOTO : L. WANGERMEZ
Outsider : le qualificatif n'est pas pour déplaire à Vincent Alexis, 32 ans, à la tête de Château Barouillet. Mieux, il le revendique. Dans la salle de dégustation de sa propriété, à Pomport (Dordogne), Splash figure en bonne place. Ce vin de France naturel pétillant, 100 % sémillon, a fait un tabac. « La première année, en 2016, nous en avons produit 2 000 bouteilles que nous avons vendues aux cavistes en quinze jours. Le succès est tel que cette année nous en produisons 9 000 », indique-t-il. Une capsule de bière couleur rose pétard sert de bouchon. L'étiquette joue sur le rétro et le pop art. La bouteille adopte la forme champenoise avec un verre de couleur havane. Il est loin le temps où Gérard Alexis, le père de Vincent, ne vendait sa production qu'en vrac, avec une mise en bouteille par un négociant à la propriété.
Loin aussi le temps où Vincent rêvait d'ailleurs. À 18 ans, son bac en poche, il n'a aucune envie de plonger dans le vin, un métier de « vieux », qui demande « beaucoup de travail et de sacrifices. Ça ne me plaisait pas ! », dit-il. Le rêve du fils ? Faire de la communication visuelle. Sauf qu'il n'est pas retenu dans la formation visée. Par défaut et pour « faire plaisir » à son père, il intègre un BTS technico-commercial vins et spiritueux. Puis, il enchaîne une licence en commerce et qualité des vins à Montpellier. « Avec les autres étudiants, on parlait de bouteilles, on dégustait. J'ai découvert que le vin, c'était autre chose que le vrac », confie-t-il. La greffe commence à prendre.
En 2005, à l'issue de sa formation, le voilà à Londres, manager d'un magasin Nicolas. Il y reste deux ans. Retour en France. Nouvelle formation. Cette fois, il suit un BTSA viticulture-oenologie au lycée de Macon-Davayé. Lors d'un stage au domaine Saumaize-Michelin, à Vergisson (Saône-et-Loire), il apprend le travail en biodynamie. Un an plus tard, son BTSA en poche, il file au Canada dans un domaine de 50 ha dans l'Ontario, en biodynamie également. Affecté au chai, il a la main sur les vinifications, les remontages et les mises en barriques.
Décembre 2009, il revient à Pomport avec la ferme intention de repartir quelques mois plus tard en Argentine où il a décroché un poste de responsable d'une propriété de 50 ha, toujours en biodynamie, avec 40 salariés. Mais le défi le stresse. Il renonce et fonce tête baissée dans la propriété qui appartient à la famille Alexis depuis huit générations et compte 45 ha sur trois communes en AOC Pécharmant, Monbazillac et Bergerac.
Vincent devient salarié de son père avec un but bien précis : faire de la bouteille, du bio et de l'export alors que son père est en conventionnel et vend en vrac. Un virage à 180 degrés qu'il compte prendre vite et bien. Reste que ce changement de cap n'est pas simple à vivre pour les deux hommes. « Il y a eu des moments compliqués », se borne à reconnaître Vincent, pudique. D'emblée, le jeune homme veut faire des vins naturels sans soufre, ni collés ni filtrés, et fermentés avec des levures indigènes. Son père manque de s'étrangler : « Je me suis dit qu'il était fou. J'étais habitué à vinifier avec des levures sélectionnées et en sulfitant. Avec ce qu'il envisageait, je voyais déjà les risques d'acidité volatile, d'oxydation prématurée... Malgré tout, je lui ai fait confiance. Il avait l'expérience acquise en Bourgogne et au Canada. On a beaucoup discuté. Cette révolution s'est faite en douceur », raconte-t-il. « J'ai pris des risques. Je savais que je pouvais avoir des fermentations languissantes, des déviations. Alors, on a adopté une hygiène irréprochable. On s'est mis à désinfecter le matériel de vendange et les cuves et à inerter même les rouges », indique Vincent.
Toutes les fermentations sont spontanées. Les rouges ne sont ni filtrés ni collés ni sulfités, même pas à l'embouteillage. Les blancs sont « légèrement sulfités » à l'embouteillage. Ceux pour lesquels la malo ne doit pas avoir lieu sont conservés entre 14 et 15 °C jusqu'à la mise. Les moelleux et liquoreux, eux, sont refroidis puis filtrés lorsque l'équilibre sucres/alcool est atteint, puis embouteillés à chaud.
Pour le bio, c'est une autre affaire. Gérard se montre bien plus réticent à changer de pratique dans ses vignes que dans son chai. Vincent, qui souhaite convertir d'un coup toute la propriété, doit refréner ses ardeurs. « J'aime voir les vignes propres. C'est le cas avec les désherbants. J'ai proposé à mon fils d'y aller de façon raisonnable », explique Gérard.
De fait, en 2010, Vincent ne convertit que 4,5 ha de pécharmant sur la commune de Lembras. Il investit 15 000 € dans deux lames intercep qu'il installe entre les roues du tracteur pour pouvoir combiner les travaux. Il injecte 4 000 € dans un Actisol pour travailler l'interrang. Vincent traite en bio les 4,5 ha et Gérard s'occupe des 40 ha restants avec des produits phyto conventionnels.
En 2012, la moitié de la surface est conduite en bio. L'année suivante, c'est décidé, père et fils travaillent toute la propriété en bio. Pour 45 000 €, ils achètent un deuxième tracteur avec pulvérisateur. Il faut dire que Gérard doit se rendre à l'évidence : il ne vient pas à bout de l'oïdium sur la muscadelle alors que Vincent s'en sort sans problème rien qu'avec le soufre.
En 2016, toute la propriété est certifiée et Gérard conquis : « En bio, on fait des passages supplémentaires, donc il faut plus de main-d'oeuvre. En revanche, en conventionnel, les phytos coûtent plus cher. Au final, mieux vaut travailler en bio. »
Pour autant, Vincent ne cache pas les contraintes. « Il y a des moments clés qu'il ne faut pas louper. Il faut traiter au bon moment, être très attentif à la pousse de l'herbe, à l'état du sol qui ne doit pas être trop mouillé ni trop sec lorsqu'on intervient. Sans oublier qu'il y a davantage de travail manuel. Chaque fois que l'on va épamprer, on emporte une bêche pour enlever l'herbe à la main, au pied des souches. On fignole, parce que c'est nécessaire », indique-t-il.
Vincent effectue ses premières mises en bouteille en 2011 sur le millésime 2010. En février 2012, il devient gérant de l'EARL Les Vignobles Alexis, alors que son père prend sa retraite. Depuis, ce dernier donne des coups de main à la vigne et pour tout ce qui est administratif. En 2014, Vincent crée un chai de stockage de bouteilles de 300 m2. Investissement : 50 000 €. L'année suivante, il injecte 17 000 € dans une chaîne d'étiquetage.
Avec le passage à la bouteille, la fibre créative du jeune vigneron peut s'exprimer. « J'ai envie de me démarquer. Je veux être un grand du Sud-Ouest et ne pas rester dans l'ombre de Bordeaux. Avec le bio, je vise une éthique de production tout en étant original dans mes produits », répète-t-il.
Pour affirmer sa différence, il adopte la bouteille bourguignonne pour tous les vins à l'exception du pécharmant qu'il tire en bouteille bordelaise. Il concocte un logo figurant une bouteille enserrée dans un coeur. En 2013, il dénomme sa gamme de bergeracs rouges et blancs « Bergecrac ». Un jeu de mots pour se différencier. La vendange est égrappée et légèrement foulée avant d'être mise en cuves Inox. La fermentation se fait en levures indigènes. La macération dure de quatre à quinze jours. L'élevage se passe en cuves souterraines.
La même année, Vincent Alexis étoffe sa gamme avec une cuvée de pécharmant baptisée Hécate, clin d'oeil à la déesse grecque de la magie et de la lune. Ce vin est issu d'une parcelle traversée par une veine de silex. Un terroir différent qui lui « donne vie ». Il y a aussi la cuvée Gaïa, déesse de la terre. « Mon père, en 2010, a arraché 1 ha à Mescoules, sur un coteau plein nord où de vieilles vignes ne produisaient plus. J'ai planté du chardonnay car je suis fan de blanc sec. J'ai élevé ce vin en barrique pendant huit mois. Il n'a pas obtenu l'IGP Périgord car les dégustateurs l'ont trouvé oxydé. Mais j'en ai produit 3 000 bouteilles déclarées en vin de France. »
En 2015, suivent de nouvelles cuvées comme Truculence, un sauvignon blanc, ou Larcin, un assemblage de cabernet-sauvignon et de malbec, en hommage à la corneille qui vient taquiner du bec les chiens de la maison.
Dans le même temps, Vincent bâtit une stratégie de vente. D'emblée, il vise les restaurateurs et les cavistes déjà sensibilisés au bio et aux vins naturels : « Mes tarifs sous le bras, je remplissais le fourgon avec 1 500 bouteilles et j'allais chez les cavistes pour leur faire déguster mes vins. Mon objectif, c'était de revenir à vide. J'ai toujours rencontré un très bon accueil. »
Sa toute première tournée, « c'était à Niort, en 2011, explique-t-il. Je me suis arrêté dans un bar-bistrot-cave, Le P'tit Rouquin. Le patron a dégusté. Il a été conquis et m'a pris 150 bouteilles. J'étais vraiment heureux. C'était encourageant. Depuis, je continue à lui livrer mes vins. » Cette même année, Vincent rencontre par hasard un agent commercial, lors d'une dégustation chez un caviste, à Reuilly. « On a parlé, il a dégusté et il m'a référencé. Aujourd'hui, je travaille avec une dizaine d'agents. » Gérard mesure le chemin parcouru : « Je suis fier de Vincent. Il a su développer des produits originaux ». Et d'ajouter : « J'ai découvert mon fils. »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
« J'ai opéré une révolution en allant vers le bio, la bouteille et l'export. Je fais des vins naturels en connaissant les risques et en les évitant. »
« Mon père m'a fait confiance. Je ne suis pas passé en force. On a dialogué. »
« Je suis dans une éthique de production tout en étant original. J'ai construit une gamme de vins qui bouscule les habitudes. »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
« Je suis partout à la fois, sur le tracteur ou en voyage pour la partie commerciale. Je regrette de ne pas pouvoir donner plus de temps à ma famille. »
« En termes de recrutement, je ne prends pas assez le temps de réfléchir aux postes à pourvoir. Ainsi, j'ai embauché un ouvrier soit-disant polyvalent mais qui ne savait pas conduire un tracteur ! »
SA STRATÉGIE COMMERCIALE D'abord le marché professionnel en France
- Vincent Alexis vise en premier lieu la clientèle des cavistes et des restaurateurs. Il a commencé en démarchant les cavistes. Puis, il s'est constitué un réseau de neuf agents qui le représentent.
- Pour étoffer sa clientèle, il participe à des salons professionnels, principalement Biotop, à Marseille, et la Dive Bouteille, à Saumur. « Je les apprécie beaucoup. » En revanche, il évite les salons grand public : « On y répète toujours la même histoire, celle du viticulteur. Dans les salons professionnels, on vient avec des échantillons, on fait déguster pendant deux jours et on ne rencontre que des importateurs et des cavistes. »
- Désormais, il veut booster l'export. En 2012, il a commencé à cibler l'Europe. Depuis, il a décroché des marchés au Japon, au Brésil et aux États-Unis grâce à des partenariats avec une dizaine d'importateurs.