Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN

Le plastique si fantastique ?

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°261 - février 2014 - page 46

Plusieurs domaines ont investi dans des flextanks pour vinifier ou élever leur vin. « La Vigne » a pu constater que les vins évoluent différemment dans ces contenants en plastique microporeux et dans les cuves en inox ou en barriques.
 PHOTOS G. PASQUIER

PHOTOS G. PASQUIER

VINCENT ALEXIS, le propriétaire du château Barouillet, à Pomport (Dordogne), a mis un même vin dans une cuve en inox, un flextank et une barrique. Au bout d'un mois, des différences sont déjà perceptibles.

VINCENT ALEXIS, le propriétaire du château Barouillet, à Pomport (Dordogne), a mis un même vin dans une cuve en inox, un flextank et une barrique. Au bout d'un mois, des différences sont déjà perceptibles.

Ce vendredi 17 janvier, direction Saint-Laurent-Médoc, en Gironde, où le château Caronne Sainte-Gemme a acheté six flextanks de 3 à 11 hl en 2011. Ces contenants en polyéthylène importés des États-Unis servent à vinifier et/ou à élever les vins. Ils sont microporeux et permettent une micro-oxygénation ménagée, comme les barriques. François Nony, gérant du domaine, est plutôt dithyrambique à leur sujet.

Et pour cause, « en 2011 et 2012, nous avons comparé des vinifications intégrales en flextanks et en barriques, indique-t-il. À la fin des fermentations malolactiques, nous avions plus de fruit avec les vins issus du flextank et plus de structure avec les barriques ».

Il a fait faire des analyses microbiologiques par PCR sur chacun des vins. « Chaque année, dans au moins une barrique, nous avons des Brettanomyces, alors que nous n'en avons jamais eu dans aucun des flextanks. » Ces résultats ne l'étonnent pas, puisque le nettoyage des flextanks est beaucoup plus facile que celui des barriques. « Un simple rinçage à l'eau suivi d'une application de peroxyde d'hydrogène suffit », poursuit-il.

En 2013, François Nony a réalisé d'autres essais. Cette fois, il a comparé la vinification en cuve inox et en flextank. Il a appliqué le protocole préconisé par son oenologue, à base de délestages et de remontages pour la cuve et de simples pigeages pour les flextanks. « Nous avons été frappés par la qualité de l'extraction dans ces derniers. En manipulant moins les vins, on extrait plus, mais pas trop », s'enthousiasme-t-il en nous proposant de déguster les vins.

Le vin issu de la cuve a déjà été sulfité. Il paraît plus astringent et plus amer. Celui du flextank a une couleur plus violacée. Il est plus rond, avec des tanins mieux fondus. Mais difficile d'affirmer qu'au bout de l'élevage, il sera meilleur que celui de la cuve en inox. En effet, ce vin est encore en fermentation malolactique. « Nous avons remarqué que les fermentations alcoolique et malolactique sont plus lentes dans les flextanks qu'en cuve », confirme François Nony.

Peut-être qu'au château Barouillet, à Pomport (Dordogne), les différences sont plus nettes. Vincent Alexis, le propriétaire, effectue lui aussi des comparaisons. « Il y a environ un mois, j'ai rempli le flextank et une barrique avec du cabernet franc de 2013. Le reste est en cuve inox », rapporte-t-il. Il n'a pas touché aux vins depuis.

Debout à l'entrée de son cuvier, le jeune propriétaire détaille la vinification. « La fermentation alcoolique s'est faite en levure indigène, en chapeau immergé à une température maximale de 25°C. La fermentation malolactique s'est faite sous marc. Alors qu'il restait 4 à 5 g de sucre, nous avons eu des soucis de Brettanomyces. La cuve était marquée par des notes animales et phénolées. Nous l'avons traitée par flash pasteurisation. » Le vin a ensuite été envoyé dans chacun des contenants.

Vincent Alexis saisit deux verres et se dirige vers la cuve en inox. « Après la flash pasteurisation, nous avons retrouvé le fruit perdu à cause des Brett. Mais la fin de bouche était désagréable. C'est difficile à décrire. J'appelle ça une fin de bouche biscuit, un peu poussiéreuse. »

Il remplit nos deux verres. La couleur du vin n'est pas très soutenue. « Cette année, j'ai été peu interventionniste, la couleur est légère. » Au nez, une note de réduction est perceptible. Elle masque les arômes de fruit frais qui apparaissent après agitation. En bouche, l'attaque est fluide et le milieu de bouche un peu dilué, mais l'astringence est bien présente avec des tanins asséchants. L'acidité est également marquée. « Il faut aussi considérer qu'il y a pas mal de gaz et que le vin est à 11°C », ajoute-t-il.

Après avoir terminé cette première dégustation, nous nous dirigeons vers le chai à barrique, adjacent au cuvier. Un escalier de quelques marches permet d'y accéder en léger contrebas. Le flextank de 9 hl de forme ovoïde et qui possède une perméabilité à l'oxygène théorique de 13 mg/l et par an est placé juste à droite en descendant. Le vin de ce contenant a une couleur similaire à celui de la cuve, mais il n'est pas marqué par la réduction. Le fruit ressort mieux. En bouche, il est plus souple, plus rond, moins gazeux. Mais « je retrouve en rétro-olfaction ce côté biscuit qui a disparu du vin élevé en cuve ». Malgré cela, Vincent Alexis espère que cette fin de bouche désagréable disparaîtra.

En face du flextank se trouve le fût contenant la même cuvée. « C'est une barrique de trois vins », explique-t-il. Le viticulteur nous sert avec une pipette en verre. Le vin semble légèrement plus foncé que les deux autres. Au nez, aucune note de réduction n'est perceptible. Le vin est plus complexe que celui du flextank, il y a du fruit qui repose sur une légère note boisée. « Je sens peut-être une pointe de volatile. Pas vous ? » interroge Vincent Alexis. Il semblerait qu'il ait raison. En bouche, le vin se rapproche très nettement du flextank. « C'est plus rond, mais j'ai toujours cette finale qui me gêne », assure-t-il.

Après un mois en cuve inox, en barrique et en flextank, les vins sont différents. Dans ce dernier, le vin est droit, net et sans défaut d'élevage. Mais là encore, quelques mois supplémentaires seront nécessaires pour dire si le plastique est une alternative envisageable au bois ou à l'inox pour l'élevage des vins.

Des goûts de plastique ?

Le château Argenties, à Lagrasse (Aude), possède neuf flextanks de forme cubique et quatre de forme ovoïde pour élever des vins rouges. Le château Ricardelle, à Narbonne (Aude), a réalisé une vinification intégrale dans un Apollo en 2013. « Nous voulions faire un essai, car nous pensons que ce produit est intéressant d'un point de vue technique, économique et marketing », assure Thomas Nègre, le responsable commercial. Au vu des résultats, il pense d'ailleurs en acheter d'autres. Nous avons pu déguster trois vins issus de flextank au château Argenties et un au château Ricardelle. Aucun n'était marqué par des goûts ou des odeurs de plastique. Pourtant, nous avons constaté qu'une odeur de plastique était bien présente dans un flextank neuf et vide au château Ricardelle. Frédéric Planchon, gérant de la société Wine and Tools qui commercialise les flextanks, suggère d'ailleurs à ces clients d'y pulvériser une solution de SO2 et de rincer abondamment à l'eau avant l'utilisation. Grâce à cela, l'odeur de plastique disparaît.

Un flextank, qu'est-ce que c'est ?

C'est une cuve en polyéthylène qui laisse passer 13 mg d'oxygène par litre de vin et par an ou 17 mg/l et par an, selon l'épaisseur de la paroi de la cuve. Les principaux modèles sont l'Apollo, de forme ovoïde et d'une capacité de 8,75 hl, le Stacker, de forme cubique et d'une capacité de 11 hl, ainsi que l'Eco et le Milkman, de forme cylindrique et d'une capacité de 1,1, 3 ou 7,5 hl. Toutes ces cuves sont équipées d'une trappe de 15 ou 48 cm avec des couvercles de la même matière que le reste de la cuve. Ces couvercles sont équipés d'une soupape de sécurité qui permet de laisser sortir le trop-plein de vin du flextank lorsqu'il se dilate et que la pression à l'intérieur atteint 0,2 bar. Les prix vont de 250 euros pour l'Eco à 1 400 euros pour le Stacker. Ils peuvent être équipés d'un dégustateur et d'une ou deux vannes pour 150 à 250 euros supplémentaires. Le fabricant garantit que les plastiques utilisés pour la conception des flextanks ne relarguent pas de phtalates, même lorsqu'ils sont en contact avec une solution à 50 % d'éthanol.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :