« Cela devient oppressant d'aller traiter nos vignes. Sur la route, on vous dévisage, même si vous allez épandre des tisanes de plantes », confie Philippe Boucard, président de l'ODG de Bourgueil. Marielle Henrion, vigneronne à Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire), lâche à son tour : « Récemment, une personne m'a presque insultée parce que j'avais eu recours à un hélicoptère pour lutter contre le gel. Je suis pourtant en viticulture raisonnée. J'ai des oiseaux rares dans mon vignoble. J'ai fait un audit HVE : je remplis tous les critères de cette certification. Mais le public nous voit comme des pollueurs systématiques. »
« Avec le circuit La Loire à vélo, de nombreux touristes parcourent le vignoble. Lorsque nous traitons, certains comprennent que l'on doit soigner nos vignes, d'autres non. Et la présence de ces cyclistes génère des risques d'accident », constate Patrick Marné, vigneron à Montlouis. « Sans compter les déchets que des promeneurs jettent dans nos vignes », ajoute François Chidaine, vice-président de l'ODG et président de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire.
Les témoignages ont été nombreux lors du séminaire organisé le 24 octobre par le Vinopôle Centre - Val-de-Loire qui abordait un sujet brûlant : les vignes périurbaines.
Avant que les vignerons n'expriment leur malaise, des universitaires ont posé leur regard sur ces nouvelles tensions. « Les vignobles offrent des paysages attractifs pour les riverains et les touristes. Ils sont même considérés par les élus comme un bien public et un élément de marketing territorial. La vigne est en vitrine, exposée au regard de la société, en particulier les traitements phytosanitaires », a expliqué Jean-Louis Yengué, géographe à l'université de Poitiers et co-organisateur du séminaire. « Pour les néoruraux, la campagne est vue comme un espace-temps de repos, de nature jardinée qu'ils voudraient sans inconvénients. Mais pour les vignerons, le vignoble est un espace de travail et de production », a abondé l'anthropologue Gilles Armani.
Comment faire pour partager un territoire en toute harmonie ? « Les riverains s'interrogent beaucoup sur nos pratiques. Ils ont besoin d'éclaircissements sur le monde agricole », observe Olivier Martin, vigneron dans le Pays nantais.
Mais aucune association de riverains n'était présente au séminaire. Seule une habitante de Rochecorbon (AOC Vouvray) a pris la parole : « Je réside près de vignes cultivées en conventionnel. J'enferme mes petits-enfants à la maison lorsque des traitements sont en cours. Les vignerons ont des cabines, des masques. Mais quelles sont les consignes de sécurité pour les riverains ? Quels sont les produits épandus dans les vignes près de chez moi ? »
Didier Avenet, vigneron à Montlouis et vice-président de la coopérative, a tenté de la rassurer. « Vos inquiétudes sont légitimes. Mais la profession évolue fortement. En AOC Montlouis, par exemple, 35 % des vignerons sont en bio, et la coopérative est certifiée Terra Vitis en viticulture raisonnée. Ainsi, je n'utilise plus de produits classés CMR. »
Pour Dominique Girault, vigneron à Noyers-sur-Cher (Loir-et-Cher) et président de la Fédération des associations viticoles (FAV) 41, « les vignerons ne mettent pas assez en avant tous leurs efforts pour réduire les phytos ».
Alain Treton est du même avis. Pour répondre aux interrogations des riverains et promeneurs, la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique qui l'emploie diffuse des vidéos pédagogiques (« Pourquoi la vigne est-elle traitée ? », « Pourquoi tous les vignerons ne sont-ils pas en bio ? »). Et elle apporte son aide en cas de conflit. « Dans une commune, un collectif de riverains avait fait une pétition sans rencontrer le vigneron concerné. Nous avons organisé une réunion entre les deux parties. Les habitants nous ont remerciés pour nos informations. Le vigneron a accepté de ne pas traiter le mercredi après-midi », indique le conseiller.
À Pontlevoy (Loir-et-Cher), la mairie et la FAV 41 ont réuni autour d'une table vignerons et riverains. Le projet d'une charte de bonnes pratiques n'a pas abouti, mais « les relations sont meilleures, chacun y a mis du sien. Les vignerons préviennent les riverains avant les traitements », indique l'adjoint au maire Christian Guesnard.
Il faut aller au-devant des riverains pour réduire les tensions : les participants au séminaire se sont accordés sur ce point. « J'interviens chaque année lors de la réunion organisée par la mairie pour les nouveaux habitants afin de leur expliquer le métier et les contraintes des viticulteurs », signale Alain Le Capitaine, vigneron à Rochecorbon (Indre-et-Loire).
« Lors de la fête des voisins, j'ai engagé la discussion sur notre projet de tours antigel », raconte François Cazin, vigneron à Cheverny (Loir-et-Cher). « Je rends service à mes voisins, confie Philippe Brisebarre, vigneron à Vouvray (Indre-et-Loire). Lorsqu'ils taillent leurs arbres, je passe leurs branches à la broyeuse. Les bonnes relations, c'est une question d'éducation et de bon sens. »
Des ZAP face à l'urbanisation
Les problèmes de cohabitation ne sont pas à sens unique. Si les riverains doivent s'accommoder des traitements, les vignerons, eux, subissent la pression foncière alimentée par les néoruraux. À Montlouis (Indre-et-Loire), la création d'une zone agricole protégée (ZAP) a apaisé les tensions. « Nous avons sanctuarisé des vignes et des champs dès 2007. Depuis, les vignerons peuvent acheter ou louer des terres que les propriétaires retenaient auparavant dans l'attente qu'elles deviennent constructibles. Nous venons de définir notre deuxième ZAP à l'est de la commune. 30 % du territoire communal sera ainsi protégé », a expliqué Claude Garcera, maire adjoint de Montlouis, lors du séminaire. « La ZAP a diminué la pression foncière. Les vignerons se sont "réappropriés" ces terres et y font des plantations », observe François Chidaine, vice-président de l'ODG. Des ZAP existent aussi en AOC Vouvray, Noble-Joué et Touraine-Amboise.
Un patrimoine à défendre ensemble
« La valeur patrimoniale d'un vignoble peut être un élément de dialogue entre vignerons et riverains car ils partagent un même intérêt : la défense d'une qualité de territoire », a noté Myriam Laidet, de la mission Val de Loire patrimoine mondial. La preuve que les vignes valorisent un territoire, Alain Treton, de la CA de Loire-Atlantique, l'a apportée. « Lorsqu'un vigneron veut arracher une vigne, il arrive souvent que le riverain se plaigne qu'il n'aura plus la vue sur le vignoble », a-t-il glissé. « Le paysage, le cadre de vie sont des biens communs à valoriser ensemble. Il en va de même pour le patrimoine bâti, comme les loges de vigne », a ajouté l'anthropologue Gilles Armani.