Jérôme Chevalier respire. « Aujourd'hui les tensions sont apaisées. Les habitants ont vu nos efforts concernant les traitements phyto. Des directrices d'école nous ont félicités », explique le président de l'ODG de Mâcon. Pourtant, l'an dernier, la situation était toute autre.
Le 18 mai 2016, Jérôme Chevalier recevait une menace de mort, déposée dans sa boîte aux lettres, accompagnée d'une cartouche de fusil : « Stop aux pesticides. Si vous ne réagissez pas immédiatement, un jour ou l'autre, il y aura des morts chez les viticulteurs. »
Très vite, il organise une réunion publique avec d'autres organisations professionnelles et des élus. « Nous avons expliqué aux riverains qu'il est indispensable de traiter si l'on veut avoir une récolte et que nous utilisons des produits homologués, se souvient-il. Nous devons être clairs face à cette idée fausse selon laquelle il n'y a pas de traitements phyto en bio. Avant, personne n'abordait ces questions. Nous avons été mauvais en communication, mais avons pris les choses en main. »
Puis la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne, la Fédération des caves coopératives Bourgogne-Jura et les Vignerons indépendants de Saône-et-Loire ont signé une « charte de bonnes pratiques viticoles à proximité des établissements sensibles » avec le préfet et des maires de Saône-et-Loire.
Dans cette charte, ces organisations s'engagent à inciter leurs membres à adapter leurs horaires de traitement près des écoles, hôpitaux et maisons de retraite pour protéger les enfants, les malades et les personnes âgées. « Nous avons aussi invité les vignerons à prévenir les riverains avant de traiter ou à l'éviter lorsque les voisins prennent l'apéritif dans leur jardin », ajoute Jérôme Chevalier.
Résultat de tout ce travail : « Nous n'avons pas eu d'autres menaces. »
Les Bourguignons veulent aller plus loin, avec « une charte régionale pour le bien-vivre ensemble ». Objectifs : arrêt du désherbage chimique en plein, plantation de haies et abandon des produits classés CMR, des canons et des turbines.
Dans le Bordelais, l'ODG des Côtes de Bourg a aussi mis en place une charte de bon voisinage à la suite d'une intoxication de plusieurs enfants et d'une enseignante à l'école de Villeneuve-de-Blaye. C'était en mai 2014.
Le mois suivant, le préfet de la Gironde prenait un arrêté réglementant les traitements autour des écoles. « Il fallait qu'on agisse. Nous avons rédigé une charte. Vingt-six vignerons de notre appellation exploitant des parcelles proches d'établissements sensibles l'ont signée. Ils se sont engagés à prévenir l'établissement et la mairie avant les traitements et à traiter en dehors des périodes d'activités extérieures. Depuis, nous avons aussi planté plus d'1 km de haies sur les sites sensibles », explique Didier Gontier, directeur de l'ODG des Côtes de Bourg.
Là aussi, la démarche se révèle concluante : « La communication entre la profession, les élus et les riverains est meilleure. Les vignerons sont moins sous pression. Le climat est plus détendu », assure Didier Gontier.
À Bourgueil, l'ODG a pris les devants. En 2016, les vignerons ont adopté une charte de bonnes pratiques avant la publication de l'arrêté préfectoral sur le sujet. Ce faisant, ils se sont engagés à prendre des précautions vis-à-vis des sites sensibles et à prévenir les riverains avant de traiter.
« Chacun doit prendre ses responsabilités. Si un vigneron ne respecte pas la charte, l'ODG ne le soutiendra pas. Nous avons présenté notre démarche aux élus, qui l'ont très bien accueillie, constate Philippe Boucard, président de l'ODG. La charte nous permet de désamorcer les conflits dès le départ. L'an dernier, un riverain a appelé les gendarmes après avoir vu un vigneron traiter. J'ai contacté la personne et je lui ai présenté notre charte. J'ai aussi rappelé au vigneron les moyens de réduire la dérive. »
Un drapeau de couleur, comme à la plage pour la baignade : c'est l'idée originale lancée par le Château Luchey-Halde, dans l'AOC périurbaine de Pessac-Léognan. Une initiative toute simple imaginée par une riveraine lors d'une réunion organisée par ce domaine de Bordeaux Sciences Agro, afin de présenter ses démarches environnementales.
« Notre vignoble est entouré d'habitations et attire pas mal de promeneurs. Nous hissons le drapeau rouge lors des traitements pour signifier qu'il est interdit de circuler dans les vignes. Pendant les délais de rentrée, le drapeau est orange : les promeneurs ne peuvent marcher que dans les allées, sans circuler dans les rangs. Lorsqu'il est vert, il n'y a pas de restrictions, explique Mélanie Lou, responsable environnement. Notre initiative est très appréciée des riverains. Nous les prévenons aussi par mail avant de traiter. Certains veulent des infos sur les produits que nous appliquons. Nous leur expliquons que nous n'utilisons plus d'herbicides, ni de produits CMR. Nous leur indiquons que tel produit n'est pas classé ou est simplement irritant pour l'opérateur. Cela les rassure. »
Alexandre Monmousseau, vigneron en AOC Vouvray, informe lui aussi ses voisins des produits qu'il utilise : « Une personne enceinte m'a contacté et je lui ai écrit une longue lettre dans laquelle je lui explique la réglementation et que nous utilisons moins de 20 % de produits phyto conventionnels. Cela l'a soulagée. »
En dépit de toutes ces mesures, certains riverains gardent des convictions très ancrées contre les pesticides. « Des antiphytos ont fait une pétition l'an dernier. Ils ont demandé à être prévenus lors des traitements, ce que nous avons bien sûr accepté, raconte Jean-Martin Dutour, ancien vice-président de l'ODG de Chinon. J'ai aussi organisé une réunion avec eux. Mais peu se sont déplacés et, malgré mes explications, ils sont restés sur leurs positions anti-Monsanto et antipesticides. »
Des vidéos pour faciliter le dialogue
La chambre d'agriculture de la Loire-Atlantique vient d'éditer des plaquettes et de mettre en ligne sur son site internet des vidéos pour aider les vignerons à répondre aux questions des riverains, comme : « Pourquoi la vigne est-elle traitée ? », « Pourquoi tous les vignerons ne sont pas en bio ? », « Est-ce que je peux me promener dans les vignes ? »... « Les questionnements se manifestent toujours par des inquiétudes et un réel besoin d'information. L'objectif est de favoriser la compréhension des pratiques et des perspectives de réduction de l'utilisation des produits phyto », indique Alain Treton, responsable du pôle viticulture Loire-Atlantique et Maine-et-Loire.
Des riverains parfois indélicats
« Il faut aussi que les riverains nous respectent. Certains laissent des papiers et des bouteilles dans nos vignes. D'autres y font même de la moto », déplore Dominique Girault, président de la Fédération des associations viticoles de Loir-et-Cher. Dans ce département, à Pontlevoy, des habitants se sont plaints des traitements. Les vignerons ont proposé une charte de bon voisinage où ils s'engageaient à faire des efforts en contrepartie de quoi les riverains devaient rentrer leur linge, fermer leurs fenêtres, etc., avant les épandages. « Mais ils l'ont refusé, disant que ce n'était pas de leur responsabilité », confie Isabelle Defrocourt, directrice de la fédération.