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GLYPHOSATE Quand « Macron fait du Trump »

BERTRAND COLLARD - La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 8

L'annonce sur Twitter, par le Présidentde la République, que le glyphosate serait interdit en France dans trois ans passe mal.
CHRISTIANE LAMBERT, présidente de la FNSEA,       a exprimé son opposition lors d'une conférence de presse,le 28 novembre. PHOTOS : B. COLLARD

CHRISTIANE LAMBERT, présidente de la FNSEA, a exprimé son opposition lors d'une conférence de presse,le 28 novembre. PHOTOS : B. COLLARD

« On s'adaptera. On n'aura pas le choix. »      Christophe Chabran, viticulteur, entrepreneur de travaux  à Beaumes-de-Venise.

« On s'adaptera. On n'aura pas le choix. » Christophe Chabran, viticulteur, entrepreneur de travaux à Beaumes-de-Venise.

« Le travail du sol, c'est une personne       à plein temps et un tracteur. »      Didier Rouach, chef de culture en Charente.

« Le travail du sol, c'est une personne à plein temps et un tracteur. » Didier Rouach, chef de culture en Charente.

« Dans 3 ans, il n'y aura pas de remplaçant. Dans 5 ans non plus. »      Pierre-Marie Chermette, viticulteur à Saint-Vérand, dans le Beaujolais.

« Dans 3 ans, il n'y aura pas de remplaçant. Dans 5 ans non plus. » Pierre-Marie Chermette, viticulteur à Saint-Vérand, dans le Beaujolais.

Le tweet du président de la République n'est pas passé. « J'ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans », a-t-il claironné le 27 novembre, quelques heures après le vote européen en faveur d'un prolongement pour cinq ans du glyphosate.

Il n'en fallait pas moins pour échauffer une bonne partie du monde agricole et viticole français. Une heure après le message d'Emmanuel Macron, le Syndicat des vignerons gardois lui répondait par le même canal : « Demandez au gouvernement d'interdire l'importation des produits agricoles provenant des pays autorisant le glyphosate ».

Le lendemain, au Sitevi, Xavier Fabre, président du syndicat, était toujours aussi remonté. « Avec le glyphosate, on va au clash, a-t-il confié à La Vigne. On ne peut pas dire « On est pour l'Europe » et aller à l'encontre d'une décision européenne. Ce matin [28 novembre, N.D.L.R.], on a appelé tous nos députés pour leur dire notre position : soit il est interdit partout, soit il est autorisé partout. C'est une question de marché, de concurrence. Pour nous, c'est un casus belli. Il faut qu'ils le disent au gouvernement. »

Presqu'au même moment, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, fustigeait la position présidentielle lors d'une conférence de presse. « Macron fait du Trump avec son tweet, s'est-elle emportée. Il n'est pas normal que le président cède au chantage. Il ne respecte pas le travail des agriculteurs, ni l'Europe. Nous sommes déçus et nous l'avons fait savoir au plus haut niveau », a-t-elle poursuivi, tout en dénonçant un « caprice » de Nicolas Hulot.

Stéphane Travert, qui s'apprêtait à visiter le salon le 30 novembre, était prévenu : il allait réentendre parler du sujet. Qu'allait-il répondre à la profession, lui qui s'était dit heureux du vote de l'Europe avant que le président de la République le rappelle à l'ordre avec son tweet ? Patience.

En attendant la venue du ministre, Jérôme Despey, président du conseil des vins de FranceAgriMer, a enfoncé le clou : « Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron a dit qu'il s'opposerait à la surtransposition des réglementations européennes. L'Europe a voté à une large majorité pour une ré-autorisation de cinq ans du glyphosate. Et la France resterait en dehors ? Ce n'est pas possible ! On n'acceptera pas une telle distorsion de concurrence. Il y aura une mobilisation. »

Malgré le ton martial des responsables professionnels, Stéphane Travert a parcouru le Sitevi dans le calme. Et pour cause : aucun des visiteurs du salon n'était prêt à prendre les armes pour défendre le fameux herbicide. Leur humeur était à la critique, à l'ironie ou la résignation, selon les cas.

La Vigne a pu s'en rendre compte en interrogeant quelques-uns d'entre eux.

« Vous voulez savoir ce qui se passera si on ne peut plus mettre de glyphosate ? On s'adaptera, comme on a toujours fait. On n'aura pas le choix », souffle Christophe Chabran. Viticulteur et entrepreneur de travaux à Beaumes-de-Venise (Vaucluse), il est venu au salon pour voir les interceps, en prévision d'une interdiction. Il travaille déjà un peu les sols. Il sait à quoi s'attendre : « Il faudra s'habituer à avoir plus d'herbe. Ça ne me tracasse pas plus que cela. »

Théo Marignane, un coopérateur installé à Orsan (Gard), n'utilise déjà plus l'herbicide depuis l'an dernier, excepté pour ses jeunes vignes. « Je m'y retrouve car les désherbants coûtent de plus en plus cher alors qu'ils laissent passer la prêle ou l'érigéron. Avec une bineuse mécanique, ces plantes sautent comme un rien. Le sol est propre. En viticulture, on peut se passer de glyphosate, mais il faut arrêter de vouloir faire de gros rendements. » Pour ses plantiers, c'est une autre affaire. « Le glyphosate, on en a besoin. Ou alors il faut passer à la pioche ou s'équiper d'un matériel spécial. »

Alors que Théo travaille des vignes en plaine, Pierre-Marie Chermette, installé à Saint-Vérand, dans le Beaujolais, a fort à faire sur ses coteaux. « Le président, je me demande de quoi il se mêle. De toute façon, dans trois ans on n'aura pas de produit de remplacement. Dans cinq ans non plus. À Fleurie, on a des vignes comme ça, dit-il en inclinant la paume de sa main vers le sol à s'en casser le poignet. On est sur des arènes granitiques. Il n'y a pas d'argile, pas d'adhérence. Les tracteurs ne tiennent pas. La seule solution pour tenir les vignes propres, c'est le désherbage. Pour le moment, il nous est nécessaire. »

Les herbicides lui sont aussi très utiles pour venir à bout des taches, en été. Mais il ne s'y accroche pas outre mesure. Comme beaucoup d'autres, il est venu se renseigner sur les interceps qu'il utilisera de plus en plus car il replante son vignoble à 1,40 m entre les rangs afin de pouvoir les travailler.

Didier Rouach soulève un autre aspect de la question : la main-d'oeuvre. Pendant trois ans, ce chef de culture dans une propriété de 85 ha, à Bonneuil, en Charente, a arrêté de travailler les rangs de ses vignes après avoir perdu un chauffeur. Pour la saison à venir, il en a retrouvé deux. Il va donc recommencer car son employeur lui demande d'être « le plus vert possible ».

« Le travail du sol, c'est une personne à plein temps avec un tracteur, souligne-t-il. Dès qu'on a fini, il faut recommencer. Dès qu'il a plu, il faut repartir. C'est clair, ça coûte plus cher que le désherbage chimique ! Et c'est à l'exploitation de prendre ce coût en charge. »

Venu de Gaillac, Adrien Fraysse vend toute sa production à un négociant. Il est au salon avec deux amis. Lorsqu'on les interroge, seul lui veut bien donner son nom. Ses amis ne veulent pas apparaître dans le journal. Mais ce sont les plus mordants. « Bien sûr qu'on est des gros pollueurs. Des produits, on en met partout. On est des criminels. On entend ça tous les jours. Et les usines, ça ne pollue pas ? Et les voitures ? Et les maisons ? »

Entre deux boutades, Adrien Fraysse fait un calcul rapide. « Le glyphosate, on en passe une fois par an, 3 l/ha (équivalent plein). Ça fait 12 €/ha. Ce n'est même pas le coût d'une heure de travail. Si on l'arrête, ça nous fera plus de travail. C'est tout ce qu'on y gagnera. » S'il tient à l'herbicide, c'est aussi pour une raison pratique. « Au printemps, la terre est collante. On ne peut pas passer d'outil de travail du sol. On ne peut y aller qu'en été, quand le sol est sec. » Les échos de toutes ces conversations sont-ils parvenus aux oreilles de Stéphane Travert ? Peut-être. Toujours est-il qu'il a assuré aux représentants professionnels qu'il a vus le 30 novembre que le glyphosate ne serait pas interdit tant qu'il n'y aurait pas d'alternative. Pas d'alternative aussi commode et bon marché ont compris les responsables. « Ce n'est pas ce qu'il vous a dit ? », nous a demandé Jérôme Despey après la réunion. Pas vraiment. Aux journalistes, Stéphane Travert a dit : « Le sujet est tranché et derrière nous. » Ils ont compris : interdiction dans trois ans, quoi qu'il arrive. Allez savoir de quoi l'avenir sera fait.

« Personne n'est prêt »

«Arrêter le glyphosate dans trois ans ? Je n'y crois pas. C'est impossible. Personne n'est prêt, pas même les constructeurs », soutient Jacques Villa Campes, gérant de Naturagriff, une entreprise spécialisée dans les interceps. Comme ses confrères, il a fait un bon Sitevi, avec des ventes fermes sur le salon. Il a vu beaucoup de viticulteurs, mais aucun affolé par l'annonce d'une possible interdiction de l'herbicide dans trois ans. « S'il est interdit, il faudra passer à un autre monde, prévient-il. Le gros souci, c'est la formation. Le travail du sol, le réglage du matériel ne sont pas enseignés. Les gens ne savent pas quand intervenir. Ils n'ont pas de notion du temps que ça prend de désherber. Ils ne sont pas organisés pour cela. Ils ne se rendent pas compte que beaucoup de pieds se sont affranchis et que ce sera très compliqué de les travailler. »

Inra : l'alternative est le travail du sol

Le 30 novembre, l'Inra a remis son rapport sur le glyphosate. La viticulture peut-elle s'en passer d'ici dans trois ans ? L'Inra ne le dit pas. Son rapport liste les alternatives possibles avec leurs incidences économiques et organisationnelles. Quelles sont-elles ? En viticulture, pas de surprise : pour désherber le long des rangs, c'est le désherbage mécanique. L'Inra souligne toutefois une impasse technique pour les vignes dans des coteaux à forte pente ou sur des sols très caillouteux. « Mais cela ne représente pas des surfaces gigantesques », tempère Christian Huygue, le directeur scientifique agriculture de l'Inra. « Pour être clair, il n'y a pas d'équivalent au glyphosate », ajoute Christian Huyghe. Une chose est sûre : la transition sera difficile et engendrera un surcoût que l'Inra n'a pas chiffré. Selon l'Institut, si le glyphosate doit disparaître, il faudra repenser les systèmes de production mais aussi la communication auprès des consommateurs.

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