Exit le glyphosate ? « Je n'ose pas l'imaginer. Cette matière active est la pierre angulaire de l'entretien des sols dans notre région. Si on nous l'enlève cela sera très compliqué à gérer », indique d'emblée Pascal Maran, d'Océalia, le groupe coopératif issu de la récente fusion entre Charentes Alliance et Coréa Poitou-Charentes. Dans l'ancien fief de Ségolène Royal, le sujet fait grincer les dents. « Si cela arrive, je dis vivement la retraite ! », lâche le chef de culture d'un grand domaine.
Des surcoûts inévitables
Éric Leroux, viticulteur sur 22 ha à Saint-Palais-de-Phiolin, en Charente-Maritime, ne voit pas non plus comment s'en passer. « Mes vignes sont enherbées un rang sur deux et je travaille l'autre rang. J'applique des herbicides uniquement sur la ligne des souches. Et là, je prévois de passer avec des interceps dans les allées que je cultive pour réduire encore de moitié les désherbants. J'applique du glyphosate tous les ans. Si on nous le retire, il ne nous restera plus grand-chose comme herbicide. Il faudra travailler les sols partout ce qui va nous prendre un temps considérable. Il nous faudra surtout plus de main-d'oeuvre alors qu'on a déjà du mal à en trouver. Nos coûts de production vont fortement augmenter. »
Éric Leroux pratique un premier désherbage à la sortie de l'hiver, avec un mélange de glyphosate, de Redoutable (propyzamide) et de Shark (carfentrazone-éthyle). Puis, courant mai, il repasse sur les rangs avec du glyphosate seul pour éliminer les herbes qui ont levé. En été, il effectue un dernier passage avec du Basta (glufosinate d'ammonium), cette fois, pour que le sol soit propre au moment des vendanges.
Dans le Vaucluse, Régis Duc, le président de la cave coopérative de Valréas, ne cache pas non plus son inquiétude. « Si le glyphosate venait à disparaître, ce serait très pénalisant pour les viticulteurs. Le passage au travail du sol entraînerait des coûts supplémentaires de plusieurs centaines d'euros à l'hectare. Certains pourraient arrêter ou réduire fortement leur activité, à moins que les vins soient mieux valorisés, ce qui paraît difficile aujourd'hui. »
Directeur du pôle Rhône-Méditerranée de l'IFV et président du Columa Vigne, Éric Chantelot se montre encore plus tranchant. Pour lui, la disparition du glyphosate « signerait la fin du désherbage chimique des vignobles ». Il explique qu'il n'y a pas d'herbicide de post-levée équivalent et que les produits de prélevée ne peuvent pas être employés sans post-levée à large spectre. « Les viticulteurs doivent déjà se passer de l'aminotriazole, qui a été interdite le 31 décembre 2015, souligne-t-il. Quant au glufosinate d'ammonium, il n'est pas systémique. Et son classement toxicologique le pénalise. » « Il ne peut pas être appliqué en mélange avec un herbicide de prélevée, ajoute Pascal Maran. Sans compter que les quantités disponibles sont limitées et qu'il coûte plus cher que le glyphosate. »
Des alternatives peu satifaisantes
Il existe bien quelques autres herbicides de postlevée, mais aucun n'offre l'efficacité, ni le large spectre du glyphosate. En outre, l'application de plusieurs d'entre eux demande un haut niveau de technicité. « La carfentrazone-éthyle (Shark) et le Beloukha doivent être positionnés sur des adventices peu développées. Le glyphosate additionné à ces produits apporte de la souplesse aux programmes. S'il disparaît, ils ne contrôleront pas la flore de fin d'hiver, souvent très développée au moment du désherbage. De plus, comme ils sont peu persistants, les applications printanières devront être répétées deux à trois fois, ce qui semble peu réaliste. »
Restera les herbicides de prélevée. Le hic : « Ils empêchent les levées mais ne réduisent pas les couverts déjà en place. Nous avons besoin du glyphosate (ou d'une solution équivalente) pour détruire la flore déjà présente au moment des applications. Les produits de prélevée seuls ne peuvent contrôler les adventices. » Les alternatives ? Sous le rang, il n'y en a qu'une : « Le travail du sol. On peut difficilement envisager autre chose. Si on met de l'herbe sous le rang, cela concurrence trop la vigne. Quant au paillage, la technique n'est pas encore au point », explique Philippe Kuntzmann, de Vitisphère Alsace, un distributeur.
Les limites du travail du sol
Mais le travail du sol ne fait pas l'unanimité car il n'est pas paré de toutes les vertus. « Cela va augmenter l'érosion dans les parcelles en coteaux », déplore Philippe Kuntzmann. « On va faire exploser le bilan carbone car il faudra multiplier les passages de tracteur », renchérit Thierry Favier, du groupe CAPL (Coopérative agricole Provence Languedoc). Son confrère Bernard Taïx, des établissements Magne basés à Florensac, dans l'Hérault, confirme : « Pour bien contrôler les adventices, les viticulteurs devront passer tous les dix à quinze jours comme le font certains viticulteurs bio. Après chaque orage, il y a des levées de chénopodes et d'autres annuelles qu'il faut gérer. » Les coûts de production vont donc monter en flèche.
Le distributeur évoque un autre problème : le risque de tassement des sols. « Les viticulteurs travaillent avec des engins relativement lourds et puissants. La pression qu'ils exercent sur le sol est énorme. Et, du fait de la pénurie de main-d'oeuvre, ils ne pourront pas toujours attendre la période idéale pour intervenir, ce qui accentuera le problème. »
Le travail du sol ne permet pas non plus de maîtriser toutes les flores. « Les mauves forment un pivot dans le sol et résistent au passage des griffes », explique Bernard Taïx. En Champagne, le liseron des champs est présent dans 30 % des parcelles. « Plus on travaille le sol, plus on risque de multiplier et de disperser cette espèce », prévient Jérémy Isaac, responsable agronomie vigne chez Acolyance, un groupe coopératif dont fait partie Cohesis vigne. Sans compter que dans certains vignobles très accidentés, comme à Rasteau ou à Gigondas, travailler les sols est quasi impossible. « Il peut y avoir 30 cm de dénivelé entre deux interrangs. Là, il faut intervenir à la main », rapporte un distributeur. Viticulteurs à vos pioches !
Des restrictions acceptées
Si la filière refuse de voir disparaître le glyphosate, elle admet sans difficulté qu'il faut limiter les applications de cette substance. « Nous sommes tous conscients qu'il ne faut plus l'utiliser à outrance. Il faut réserver son emploi uniquement au désherbage de la ligne des souches et privilégier les formulations comme Roundup Flash ou Roundup Innov qui sont efficaces à faible dose », insiste Régis Duc. « Il faut que l'on préserve cette matière active. Il est nécessaire d'en limiter les apports et de se conformer aux limites maximales, voire se situer en dessous », insiste Jérémy Isaac. À bon entendeur...
L'Anses suspecte les coformulants
Le classement du glyphosate comme cancérogène avéré ou présumé pour l'être humain n'est pas justifié, indique l'Anses dans un avis publié le 12 février. En revanche, elle souligne que le classement comme substance suspectée d'être cancérogène pour l'homme peut se discuter. Mais, surtout, elle pointe les coformulants qui « soulèvent des préoccupations », en particulier la tallowamine. Cette agence va donc procéder « sans délai à la réévaluation des autorisations de mise sur le marché des préparations associant glyphosate et tallowamine ». Plusieurs produits homologués en viticulture sont concernés. Il s'agit des anciennes formulations de glyphosate, comme le Roundup. En revanche, les nouvelles formulations comme Roundup Innov ou Roundup Gold n'en contiennent pas. Et d'autres herbicides à base de glyphosate additionné de coformulants issus de la chimie verte devraient arriver prochainement sur le marché. « Si le problème des herbicides à base de glyphosate vient des coformulants, il sera donc vite réglé », note un distributeur charentais.
Une réhomologation sujette à débats
Le glyphosate est en cours de réévaluation au niveau européen alors que le débat sur sa dangerosité ne cesse de rebondir. En mars 2015, le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) a classé la molécule comme « cancérogène probable chez l'homme ». Quelques mois plus tard, l'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) concluait que ce risque était « improbable ». Il n'empêche, plusieurs associations réclament son interdiction et exigent que l'Efsa publie les données sur lesquelles elle s'est fondée pour rendre son avis. Début mars, la Commission européenne devait proposer de renouveler son autorisation. Mais elle a repoussé sa décision. Selon la Plateforme Glyphosate, ce serait lié « à un problème d'ordre du jour » et non le résultat de l'opposition des ONG ou le lobbying des firmes. Selon d'autres sources, le blocage proviendrait de la France où Ségolène Royal demande, depuis février, le retrait des herbicides à base de glyphosate présentant des risques préoccupants. Toujours est-il qu'une décision devra être prise avant la fin juin, l'autorisation du glyphosate expirant à cette date.
L'herbicide le plus utilisé en viticulture
50 à 60 % des vignes en France reçoivent du glyphosate, affirme la Plateforme Glyphosate, qui réunit sept entreprises commercialisant cette matière active. « C'est la plus utilisée en viticulture pour le désherbage. Avec le retrait de l'aminotriazole, son utilisation va encore augmenter. Aujourd'hui, elle reste indispensable pour les viticulteurs », insiste Émilien Guillot-Vignot, un représentant de la Plateforme. Selon une enquête menée par ADquation pour le compte de la Glyphosate Task Force, du 15 au 18 mars 2016, auprès de 504 viticulteurs français, 70 % d'entre eux en utilisent. S'ils devaient s'en priver, 95 % de ces viticulteurs ont déclaré qu'ils rencontreraient des problèmes « assez sérieux » ou « très sérieux » sur le plan technique, agronomique ou économique. 80 % estiment qu'il n'y a pas d'alternatives aussi efficaces pour contrôler les adventices.