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VIGNE

Fin de l'aminotriazole Le désherbage se complique

INGRID PROUST - La vigne - n°283 - février 2016 - page 34

Depuis le 1er janvier, les herbicides à base d'aminotriazole sont interdits. Certaines espèces, comme l'érigéron, le rumex, la mauve ou la carotte sauvage, risquent d'être plus difficiles à contrôler. Des précautions s'imposent.
DÉSHERBAGE sous le rang d'une parcelle de côtes-de-castillon, en Gironde. © P. ROY

DÉSHERBAGE sous le rang d'une parcelle de côtes-de-castillon, en Gironde. © P. ROY

Le couperet est tombé le 31 décembre 2015. Depuis cette date, l'aminotriazole est interdite d'utilisation en France. Cette molécule est en effet considérée comme un perturbateur endocrinien. Mais elle était encore appliquée sur 50 000 à 60 000 ha de vignes en France, selon Nufarm, son fabricant.

« C'était un atout pour maîtriser les dicotylédones car on pouvait l'appliquer jusqu'à avant la montaison », reconnaît Éric Chantelot, directeur du pôle Rhône-Méditerranée de l'IFV. « Sans cette molécule, le contrôle de l'érigéron et du rumex pourrait devenir problématique », indique Yves Meschberger, technico-commercial chez Alsace-Appro. « Ce sera aussi le cas pour la mauve et la carotte sauvage », ajoute Bernard Taïx, directeur technique des Établissements Magne (Languedoc-Roussillon). « Le contrôle du géranium et de l'ail des vignes ainsi que la destruction des enherbements sera plus difficile », complètent Alice Durand et Michel Badier, conseillers viticoles à la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher.

Et pour cause. Le glyphosate, substitut tout trouvé à l'aminotriazole, est moins performant face à toutes ces plantes. Or, c'est la seule matière active de postlevée systémique à large spectre qui subsiste.

Des précautions s'imposent. Selon Éric Chantelot, « il faut appliquer le glyphosate tôt en saison, aux stades précoces des adventices, durant la phase de repos végétatif de la vigne. Pour limiter le développement du géranium et de la mauve, la dose doit être suffisante : de 1 800 à 2 000 g/ha en équivalent plein ».

En Champagne, Jérémy Isaac, technicien chez Cohesis Vigne, recommande aussi d'intervenir en prédébourrement, « durant la deuxième quinzaine de février jusqu'en mars, avec une dose réduite de glyphosate associé à du pyraflufen-éthyl (Guild/Vertical). Sur géranium, ce mélange est un peu moins performant que l'aminotriazole, mais en sortie d'hiver son efficacité sera suffisante ».

« Le glyphosate allié au pyraflufen-éthyl ou au carfentrazone-éthyl (Shark) donne des résultats intéressants sur l'érigéron et la mauve », assure Bernard Taïx. Il évoque aussi comme stratégie, l'alliance du Beloukha, le nouveau désherbant d'origine naturelle, au flazasulfuron (Katana). « Cela peut être intéressant sur de jeunes plantules. Le flazasulfuron a une action foliaire qui agit en synergie avec les molécules auxquelles on l'associe. »

En Alsace, Yves Meschberger va préconiser des applications de glyphosate en automne « pour détruire les géraniums et la carotte sauvage ».

Les vignerons pourront aussi se tourner vers le glufosinate d'ammonium (Basta F1). « Mais son efficacité est limitée lorsque les adventices sont très développées », prévient Jérémy Isaac. En Loir-et-Cher, Alice Durand va conseiller la propyzamide (Kerb Flo), en pré-levée, sur l'ail des vignes ou pour détruire un enherbement.

D'autres molécules vont aussi disparaître du marché. En effet, le Surflan vit sa dernière campagne, les viticulteurs ayant jusqu'au 30 novembre pour utiliser leurs stocks. Goal 2E, ainsi qu'Emir et Sheik vont également tirer leur révérence. Les distributeurs ne pourront plus vendre ces produits au-delà du 30 mai et les viticulteurs ne pourront plus les appliquer au-delà du 30 mai 2017. Quant à la flumioxazine, elle reste sur la sellette. « Il y aura des lacunes entre les spectres couverts par les produits restant. Il ne faut plus s'attendre à un désherbage parfait », souligne Jérémy Isaac.

Gare à la résistance au glyphosate

Il existe déjà des cas de résistance du ray-grass et de l'érigéron au glyphosate. Leur nombre va-t-il exploser après la disparition de l'aminotriazole ? Selon Éric Chantelot, ingénieur à l'IFV, ce risque est à relativiser. « Le glyphosate est déjà largement utilisé. En 2013, il représentait 80 % des herbicides de post-levée. Les surfaces traitées à l'aminotriazole et qui recevront désormais du glyphosate sont modérées. Il y a donc peu de risque de voir une rapide surexpression des résistances. Mais, sur le long terme, nous allons assister à une pression de sélection plus importante en faveur des plantes résistantes », estime-t-il. Bernard Taïx, directeur technique des Établissements Magne, ne pense pas non plus que les résistances vont se développer : « La plupart des problèmes d'efficacité du glyphosate sont liés à des sous-dosages, à une mauvaise qualité de pulvérisation ou à une application dans des conditions climatiques inadaptées. » Ce qu'il craint avant tout, c'est que la sur-utilisation du glyphosate augmente la présence de résidus dans les eaux.

Le Point de vue de

GILLES FÈVRE, DOMAINE FÈVRE, FONTENAY-PRÈS-CHABLIS (YONNE), 50 HA DE VIGNES

« Je vais faire davantage de travail du sol »

« J'utilisais de l'amino dans les vignes de 2 et 3 ans où j'appliquais du Weedazol en plein, en sortie d'hiver, en association avec un pré-levée de type Surflan, pour avoir un sol propre et éviter de labourer pendant les périodes froides du printemps. Ensuite, je labourais ces vignes. J'utilisais aussi l'amino en plein dans des vieilles vignes, pour des raisons pratiques, avec un pré-levée de type Pledge, et dans des vignes conduites en ENM. Là, selon la météo et les adventices, je faisais un Weemax duo (amino + glyphosate) au printemps et un glyphosate au début de l'été. Au total, l'an dernier, 35 de mes 50 ha ont reçu de l'amino. Cette année, avec l'interdiction, j'ai acquis un tracteur supplémentaire pour doubler la surface en travail du sol intégral pour arriver à 25 ha. Ce n'est pas réaliste de parvenir à 100 % des parcelles en travail du sol intégral, dans de bonnes conditions. Sur les autres parcelles, je vais tester Beloukha. Je vais aussi essayer de désherber le cavaillon avec Chikara duo et de tondre les interrangs. Dans les vignes en ENM, je vais continuer avec du glyphosate en gérant la dose maximale ha/an. Tant que le glyphosate reste homologué, même avec des restrictions, nous avons encore la possibilité de maîtriser les bisannuelles et les vivaces, mais cela devient de plus en plus compliqué. »

Le Point de vue de

EMMANUEL CLAVIER, RESPONSABLE DU DOMAINE DES GRANDES ESPÉRANCES, 43 HA, À MESLAND (LOIR-ET-CHER)

« La prêle va être difficile à maîtriser »

 © I. PROUST

© I. PROUST

« J'utilisais du Weedazol sur le cavaillon car ce produit avait un spectre large sur les dicotylédones et une légère action anti-germinative. Je vais le remplacer par du glyphosate, mais je crains qu'il soit moins efficace. Je vais avoir des difficultés à maîtriser la prêle. À l'avenir, je pense que le glyphosate sera lui aussi interdit. Donc, petit à petit, je modifie mes pratiques en vue de supprimer les herbicides. Mes vignes sont enherbées dans les interrangs. J'ai commencé à travailler le sol des cavaillons sur quelques hectares. Cette année, je compte étendre cette pratique à 20 % de mon vignoble. À terme, la totalité de mes parcelles seront conduites de cette manière. »

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