Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Plusieurs herbicides menacés de disparaître

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 40

Pour des questions de toxicité, l'aminotriazole et la flumioxazine sont sur la sellette. Et Dow Agrosciences supprime des produits.
EN 2016, les stratégies d'entretien des sols risquent de se compliquer. © C. WATIER

EN 2016, les stratégies d'entretien des sols risquent de se compliquer. © C. WATIER

Exit l'aminotriazole (Amitril Uno, Diazole TL, Weedazol TL...) ? Exit la flumioxazine (Pledge) ? Ce scénario n'est pas exclu. Ces deux matières actives font l'objet d'un réexamen très sourcilleux de la part des autorités européennes. En effet, leur autorisation de mise sur le marché arrive à échéance le 31 décembre 2015. Elles doivent être réhomologuées avant cette date pour que leur commercialisation se poursuive. Le glyphosate est aussi concerné.

L'ennui, c'est que les critères d'approbation des matières actives se sont durcis. Certains défauts sont devenus rédhibitoires. Ainsi, il est désormais exclu d'homologuer des produits classés comme perturbateurs endocriniens. La France a même demandé à la Commission européenne d'accélérer le retrait des substances actives qui sont dans ce cas. Or, l'aminotriazole est suspectée d'en être une. « Les autorités n'ont aucune preuve pour l'affirmer », se défend Nufarm, la firme qui la commercialise. Reste à savoir ce que la Commission européenne, puis la France décideront.

De son côté, la flumioxazine est classée T (toxique) avec une mention de risque R61, « risque pendant la grossesse d'effets néfastes pour l'enfant ». Là encore, ce sont des motifs potentiels d'interdiction. « Mais la flumioxazine ne pose aucun problème sur le plan environnemental », précise Philagro, qui distribue le produit en France et espère bien continuer. Quant au glyphosate, tout porte à croire qu'il passera sans difficulté la réhomologation.

Dans l'attente d'une décision, tous ces produits restent disponibles. « Il ne devrait pas y avoir d'interdiction d'utiliser l'aminotriazole avant la fin de l'année », suppose Nufarm.

À côté de cela, Dow Agrosciences a décidé de ne plus commercialiser le Surflan et le Goal 2E/Émir/Sheik. Or, Surflan a été appliqué sur 30 000 ha environ en 2014, et Goal sur 25 000 ha. L'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Surflan sera retirée fin mai, avec un délai d'écoulement des stocks fixé à fin novembre 2015 pour la distribution et à fin novembre 2016 pour l'utilisation. L'AMM de Goal 2E/Émir/Sheik sera retirée le 31 décembre 2015. Mais les délais d'écoulement des stocks ne sont pas encore connus.

En contrepartie, Dow Agrosciences prépare de nouveaux produits. « Nous avons décidé de remplacer le Surflan, à base d'oryzalin seul, par un autre herbicide qui associera l'oryzalin et l'isoxaben, la matière active du Cent 7. Il pourra s'utiliser sur de jeunes vignes », précise la firme. Même chose pour le Goal 2E/Émir/Sheik, composé d'oxyfluorfène. « Nous travaillons sur d'autres solutions à base de cette molécule. »

Quelles conséquences pour l'entretien des sols ? Pour cette année, aucune. Mais, en 2016, les choses risquent de se corser. L'aminotriazole, molécule de postlevée, est très utilisée en viticulture. D'après Nufarm, elle est appliquée sur 50 000 à 60 000 ha. « Si elle disparaît, on aura des impasses techniques du fait de la multiplication des résistances du ray-grass et de l'érigéron au glyphosate », déplore Thierry Favier, de la CAPL (Coopérative agricole Provence-Languedoc). « On aura des surutilisations de glyphosate et cela ne fera qu'empirer la présence de résidus dans les eaux », ajoute Bernard Taïx, des établissements Magne, dans le Languedoc-Roussillon.

En Champagne, l'aminotriazole est utilisée en postdébourrement pour des désherbages de rattrapage. « Si on perd cette molécule, cela va être compliqué de gérer les levées au cours de la campagne. En vigne basse, on ne peut pas mécaniser l'application du glyphosate en raison du risque de phytotoxicité. Les viticulteurs l'appliquent avec la pompe à dos. Pour les traitements au pulvérisateur, il ne restera que le glufosinate mais il n'est pas aussi efficace que l'amino », explique Jérémy Isaac, du service agronomie chez Cohésis Vigne.

La flumioxazine fait aussi partie des herbicides les plus utilisés puisque plus de 50 000 ha en équivalent plein reçoivent une application de Pledge. Elle représente ainsi 25 % du marché de la prélevée. Si elle disparaît, là encore les stratégies vont se compliquer. Les possibilités d'alternance vont considérablement se réduire, ce qui pourrait conduire à un suremploi du flazasulfuron (Katana). Certains distributeurs remettent donc en place des essais avec d'anciennes molécules qui avaient été mises de côté à cause de leur spectre d'efficacité restreint « On va retravailler sur la napropamide (Dévrinol) et la propyzamide (Kerb flo...) pour voir si, en association, on peut augmenter leur spectre d'efficacité », indique Jérémy Isaac.

En tout état de cause, les viticulteurs devront développer des alternatives : travail du sol et/ou enherbement. Or, « le travail du sol risque de mettre à mal la rentabilité de certaines exploitations », regrette Thierry Favier. Quant à l'enherbement, dans les sols à faible réserve utile, il reste difficile à mettre en oeuvre.

Pénurie de Basta

Cet automne, un incendie s'est déclaré dans une usine de Bayer en Allemagne qui participe à la production du glufosinate d'ammonium, la matière active du Basta. Depuis, il y a une pénurie de Basta en ce premier semestre 2015. Selon Bayer, les choses devraient rentrer dans l'ordre au cours du deuxième semestre. Cet accident est fâcheux, car le glufosinate d'ammonium est une molécule de contact souvent employée pour le désherbage de la ligne des souches. « Le marché nous attend et nous ferons tout pour répondre à la demande en 2016. Nous avons fait de gros investissements pour produire cette molécule », indique la firme.

Vingt-six molécules à substituer

La Commission européenne a publié le 27 janvier une liste de 77 matières actives « candidates à la substitution ». Vingt-six sont utilisées en viticulture, parmi lesquelles la bouillie bordelaise et les sels de cuivre (hydroxyde, oxychlorure, oxyde cuivreux), le quinoxyfen (Elios, Legend...), le fludioxonil (Géoxe) et des IDM (ex-IBS). Il y a également des herbicides comme le glufosinate (Basta F1), la pendiméthaline (Prowl 400) et la flumioxazine (Pledge) et quelques insecticides. Même des matières actives récentes comme le fluopicolide (Profiler) y figurent. La Commission européenne reproche au cuivre sa toxicité pour les organismes aquatiques et le fait qu'il persiste dans l'environnement. En tant qu'élément simple, il ne peut pas se dégrader. Elle considère que le quinoxyfen persiste trop longtemps dans les sols. Et elle classe le glufosinate et la flumioxazine comme toxiques pour la reproduction. Toutes ces substances sont préoccupantes mais pas au point qu'il faille les interdire immédiatement. La Commission européenne pourra les réhomologuer mais pour sept ans seulement au lieu de dix ans pour les autres substances. Quant aux États membres, ils doivent chercher, pour chaque substance et pour chaque usage concerné, un produit moins toxique ou une méthode alternative. Ces solutions de remplacement devront être économiquement viables et ne pas poser de risque de résistances. Faute d'alternative, les États membres peuvent restreindre l'utilisation de ces matières actives.

Le séneçon résiste au flazasulfuron

Depuis 2009, des dérives d'efficacité du flazasulfuron (Katana) sur le séneçon commun sont constatées dans le Val de Loire, le Bordelais et le Beaujolais. Le verdict vient de tomber : il s'agit d'une résistance. Le phénomène est national. Mais il est beaucoup moins problématique que la résistance du ray-grass et de l'érigéron au glyphosate. « Le séneçon est peu concurrentiel. Et, il est bien contrôlé par les herbicides foliaires, notamment le glyphosate », note Emmanuel Archer, chez Belchim Crop Protection, la firme qui commercialise le flazasulfuron. Cet expert conseille de bien alterner les matières actives (mode d'action, spectre), afin de réduire le stock de graines présentes dans le sol.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :