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VIGNE

Bio Comment ils répercutent leurs coûts de production

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 36

Une étude du Syndicat général des vignerons des Côtes-du-Rhône confirmeque le vin biologique coûte plus cher à produire que le conventionnel. Trois vignerons installés en bio expliquent comment ils s'en sortent.
LE TRAVAIL DU SOL est un des éléments qui renchérissent le coût de production en bio.  © P. ROY

LE TRAVAIL DU SOL est un des éléments qui renchérissent le coût de production en bio. © P. ROY

Adapter sa stratégie de vente au surcoût généré par la production en bio, c'est tout l'enjeu pour les vignerons qui ont choisi cette voie. Car produire bio coûte plus cher. Une étude réalisée pour le Syndicat général des vignerons des Côtes-du-Rhône le démontre une nouvelle fois, après celles réalisées il y a trois ans à Bordeaux, dans le Var et dans le Languedoc.

CerFrance Afga a comparé le coût de production des exploitations bio et non bio pour les récoltes 2013 à 2015. Résultat : produire des vins bio en AOC Côtes-du-Rhône revient à 161 €/hl hors frais de vinification en moyenne pour ces trois années contre 118 €/ha en viticulture conventionnelle (voir encadré). « C'est 36 % plus élevé », constatent les auteurs de l'étude.

Nicolas Richarme, vigneron bio à Sabran (Gard) sur 80 ha en appellations Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône-villages, a, lui aussi, fait le calcul. Avec son comptable, il a établi que ses vins lui reviennent entre 180 €/hl et 200 €/hl, frais de vinification inclus.

Nicolas Richarme passe plus de temps à observer et à travailler ses vignes. Il a recours à la biodynamie. Tout ceci explique ce surcoût. « À partir de là, j'ai recherché des circuits de distribution rentables », expose le vigneron. Quand, en 2004, il a repris l'exploitation familiale conduite en bio depuis 1997, l'essentiel de la production était vendu en bouteilles. Aujourd'hui, il vend presque tout en vrac. Aux 3 500 hl qu'il produit s'ajoutent 3 000 hl venant de raisins bio achetés à des vignerons alentours. « À partir de 2005, des gros entrepreneurs ont investi le bio, explique Nicolas Richarme. Plus compétitifs et mieux organisés commercialement, ils ont vendu leurs bouteilles à des prix inférieurs aux nôtres. Nos clients ont préféré se tourner vers ces nouveaux intervenants. »

Sur le marché du vrac, il ne rencontre pas cette concurrence. Au contraire, il parvient à vendre ses vins 10 à 15 % au-dessus du cours moyen des côtes-du-rhône bio, soit 10 à 20 €/hl de plus que son coût de production.

« Nous avons fidélisé des clients à l'export, des négociants rhodaniens et une enseigne de la grande distribution française grâce à notre savoir-faire qualitatif, souligneNicolas Richarme. En achetant des raisins à l'extérieur, nous avons accru nos volumes et intéressédavantage d'acheteurs. »

À Saint-Macaire (Gironde), Laurent Cassy a également fait ses comptes. Il exploite 45 ha de vignes certifiées bio depuis 2010 dans les appellations Bordeaux, Bordeaux supérieur, Entre-Deux-Mers et Côtes-de-Bordeaux. Il produit 300 000 cols et vend 60 % de sa récolte à deux partenaires, 30 % en bouteilles et les 10 % restants en vrac au plus offrant. Le coût de revient de ses vins ? 1 400 € le tonneau, plus 30 €/hl de frais de vinification, soit 160 €/hl et 35 % de plus qu'avant son passage au label AB.

« Lorsque nous avons eu la certification, nous avons agrandi l'exploitation de 10 ha, ce qui nous a permis de faire des économies d'échelle, explique-t-il. De plus, nos sols étant bien pourvus en matière organique, nous atteignons les rendements de nos appellations : 55 hl/ha en moyenne. »

Laurent Cassy a embauché 1,5 équivalent temps plein supplémentaire pour faire face à son agrandissement et au surcroît de travail dans les vignes. « C'est ce poste qui a fait exploser notre coût de production. » Ceci l'a conduit à abandonner ses anciens clients pour en dénicher de nouveaux, prêts à payer ses vins plus chers. « Nous avons trouvé deux partenaires sensibles à notre démarche : les vignobles Raymond et Dourthe-Kressman. Ils absorbent 60 % de nos volumes en vrac ou en tiré-bouché avec nom de château. »

Dans la foulée de son passage au bio, le domaine a obtenu plusieurs autres certifications : HVE (Haute valeur environnementale), SME (Système de management environnemental des vins de Bordeaux) et Demeter, le label de la biodynamie. « Nous faisons aussi des analyses de résidus de pesticides sur tous nos lots », enchaîne Laurent Cassy. Grâce à ces démarches, il a obtenu la confiance de ses clients. « Depuis deux ans, nous couvrons nos coûts de production en vendant nos vins 15 % au-dessus du prix des appellations que nous produisons. »

À l'inverse, Jean-Philippe Becker, vigneron à Zellenberg (Haut-Rhin), n'a pas estimé son coût de production. Son exploitation de 19 ha produit tous les cépages alsaciens. Elle est certifiée depuis 1997. Toute la production est commercialisée en bouteilles (150 000 cols). Le vigneron estime qu'il passe deux fois plus de temps dans ses vignes qu'autrefois. « Nous effectuons six à huit passages par an pour travailler nos sols et maîtriser l'enherbement », annonce-t-il. Il a investi dans du matériel robuste pour réaliser ces travaux : tracteur, charrue, tondeuse intercep. « Nous avons déboursé 200 000 €, précise-t-il. Aujourd'hui, nous renouvelons ce matériel à hauteur de 30 000 € par an. » Ses rendements ont en outre diminué de 10 hl/ha. La première année, il a augmenté ses tarifs de 10 à 15 %.

« Jusqu'en 2012, nous avions encore des stocks de vins conventionnels à vendre. Cela nous a permis de passer le cap. » Aujourd'hui, ses tarifs augmentent de 2 à 3 % par an. Il vend ses bouteilles entre 9 et 12 €. « Nous vendons moins mais mieux, affirme-t-il. Au final, nos revenus n'ont pas augmenté, mais le bio a permis à une petite exploitation comme la nôtre de se maintenir dans le paysage. »

Des frais de mécanisation bien supérieurs

CerFrance Afga a étudié les coûts de production de 23 exploitations bio et 30 conventionnelles pour les millésimes 2013, 2014 et 2015, à la demande du Syndicat général des vignerons des Côtes-du-Rhône. Il ressort de cette comparaison que produire en bio coûte en moyenne 6 340 €/ha contre 5 280 € en conventionnel, soit 1 060 €/ha ou 20 % plus cher. « Cet écart s'explique surtout par les frais de mécanisation qui sont 22 % plus élevés chez les bios. Par exemple, ils consomment 131 €/ha de carburant contre 108 pour les conventionnels, soit 21 % de plus, commente Gilles Duthen, responsable du conseil d'entreprise à CerFrance Afga. Contrairement à ce que nous pensions, nous n'avons pas observé de charges supplémentaires de main-d'oeuvre. Nous allons donc étendre cette étude, effectuée dans le Vaucluse, à la Drôme et au Gard. » Mais comme les rendements sont plus faibles en bio, l'écart rapporté au vin s'aggrave. Ainsi, durant les trois années étudiées, le rendement moyen en bio s'élève à 40 hl/ha contre 44,80 en conventionnel. Le coût de production grimpe à 161 €/hl contre 118, hors frais de vinification, soit 36 % plus cher.

Le Point de vue de

« Un surcoût dont nous allons parler avec le négoce »

DENIS GUTHMULLER, CHARGÉ DU BIO AU SYNDICAT DES VIGNERONS DES CÔTES-DU-RHÔNE

«Nous n'avions pas de visibilité sur les coûts de production en bio. C'est ce qui nous a conduits à mener une étude sur trois ans, de 2013 à 2015. Elle a mis en évidence le surcoût du bio. Nous allons nous en servir comme support au dialogue que nous voulons engager avec les négociants de la vallée du Rhône. Nous voulons en effet jeter les bases d'un marché pérenne du côtes-du-rhône bio avec les partenaires de l'aval reposant, pourquoi pas, sur la mise en place de contrats pluriannuels. Parallèlement, nous projetons de créer une fédération des producteurs de côtes-du-rhône biologique. »

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