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Magazine - Etranger

Südtirol L'Italie prospère

PIERRICK BOURGAULT - La vigne - n°303 - janvier 2017 - page 84

Dans cette région germanophoneet touristique du nord de l'Italie, les vignerons ont investi pour améliorer la qualité touten respectant leur environnement.
LE VILLAGE DE TRAMIN        au milieu des vignes dans un  paysage typique de vallée alpine.  PHOTOS : P. BOURGAULT

LE VILLAGE DE TRAMIN au milieu des vignes dans un paysage typique de vallée alpine. PHOTOS : P. BOURGAULT

SOUS LA VIGNE, LE CHAI écologique de Manincor. Creusé en profondeur, il conserve la fraîcheur et consomme peu de chauffage et de climatisation.

SOUS LA VIGNE, LE CHAI écologique de Manincor. Creusé en profondeur, il conserve la fraîcheur et consomme peu de chauffage et de climatisation.

À LA COOPÉRATIVE CANTINA TERLANO, le chai abrite les anciens millésimes dont le 1991 blanc      à 210 euros la bouteille.

À LA COOPÉRATIVE CANTINA TERLANO, le chai abrite les anciens millésimes dont le 1991 blanc à 210 euros la bouteille.

CI-DESSUS, LE CHAI ULTRAMODERNE du vignoble Pacherof : « Pas question d'imiter l'ancien dans un style pseudo-rustique», explique Michael Laimer.

CI-DESSUS, LE CHAI ULTRAMODERNE du vignoble Pacherof : « Pas question d'imiter l'ancien dans un style pseudo-rustique», explique Michael Laimer.

À GAUCHE, LA PLUPART DES PERGOLAS ont été remplacées par des rangs de vignes. Mais elles reviennent à la mode, comme le vin léger du cépage schiava qu'on cultive de cette manière.

À GAUCHE, LA PLUPART DES PERGOLAS ont été remplacées par des rangs de vignes. Mais elles reviennent à la mode, comme le vin léger du cépage schiava qu'on cultive de cette manière.

MICHAEL GOËSS-ENZENBERG, du domaine Manincor, fait travaillerle dernier tonnelier de la région. Il valorise les chênes de sa propriété.

MICHAEL GOËSS-ENZENBERG, du domaine Manincor, fait travaillerle dernier tonnelier de la région. Il valorise les chênes de sa propriété.

En 1919, le Südtirol autrichien devient l'Alto-Adige italien (Haut-Adige en français). Un siècle plus tard, l'allemand reste la langue majoritaire dans cette province du nord-est de l'Italie, frontalière de l'Autriche et de la Suisse. La région tient à son autonomie administrative et à ses traditions, mais elle sait évoluer.

« Il y a trente ans, on ne cultivait qu'en pergolas. La vigne en rangs est récente », témoigne Andreas Gottlieb, écrivain et oenologue de l'Abbazia di Novacella, à Bressanone. L'océan de feuilles posé sur de solides charpentes s'est transformé en un paysage classique de vignes bien peignées. Les grappes pesantes des cépages rouges schiava (esclave en français) et lagrein donnaient un rouge léger exporté en vrac vers l'Autriche et l'Allemagne. Avec le palissage, les rendements ont baissé. Les vins sont devenus plus concentrés. Ils se valorisent mieux en bouteilles.

Installée à Tramin, Elena Walch se souvient d'avoir arraché des pergolas pour aligner pinot gris, chardonnay, gewurztraminer, pinot noir, merlot et autres cabernets. Puis, pour maîtriser les rendements, elle a débuté la vendange en vert. « C'est un crime de jeter du raisin, m'a-t-on reproché à l'époque », dit-elle. Avec ses filles, elle possède maintenant un domaine réputé de 60 ha qui porte son nom. Il est planté de 50 % de rouges et 50 % de blancs, entre 250 et 1 000 m d'altitude.

Mais les méthodes et les cépages traditionnels ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. À Caldaro, à une dizaine de kilomètres au nord de Tramin, Judith Unter-holzner le constate. « En 1980, le vignoble du Haut-Adige couvrait 10 000 ha dont 80 % de schiava. Aujourd'hui, il reste 5 300 ha, dont 20 % de schiava », explique la directrice commerciale de la coopérative locale, Cantina Caldaro. Or, ce rouge local, écarté car léger et peu coloré, revient à la mode, toujours en pergolas.

« Depuis cinq ans, la demande augmente », assure Judith. Son voisin, Oskar Andergassen, de Klosterhof, rappelle qu'il est agréable de travailler à l'ombre et sans se baisser : « À 88 ans, ma mère passe sa journée dans la vigne - mais seulement dans les pergolas. » Ce mode de conduite protège du soleil non seulement les hommes mais aussi les raisins, ce qui évite les notes brûlées.

Autre résurgence des méthodes anciennes : dans son domaine Manincor, à Caldaro, le comte Michael Goëss-Enzenberg sème des céréales entre les rangs « afin que les racines apportent l'aération et la vie dans le sol ». Il élève aussi des poules et bientôt des vaches de race tyrolienne grauvieh. Les chênes de ses forêts deviennent des tonneaux « grâce à un tonnelier de 80 ans - hélas, le dernier ».

Il cultive 18 cépages sur 50 ha (pinot blanc, sauvignon, chardonnay, viognier, petit manseng, merlot, lagrein, schiava...) et réduit de 30 % sa pulvérisation de soufre et de cuivre grâce à un appareil à panneaux récupérateurs. Une de ses méthodes pour limiter les maladies en cas d'attaque fongique : ôter les feuilles jeunes, plus fragiles. Son coût de production du raisin est de 3 €/kg et ses 50 ha de vigne produisent 350 000 bouteilles.

Partout, les reliefs sont abrupts, dominés par les Alpes. On pourrait penser que ces villages de montagne accessibles par des routes sinueuses, ces parcelles escarpées où la vendange, et parfois même les traitements, s'effectuent à la main, sont défavorisés. Mais l'hectare de vigne se négocie à 1 million d'euros, preuve que cette culture rapporte.

Dans ces montagnes, le terrain constructible est rare et cher. Il est bien plus complexe d'y bâtir un chai qu'en plaine, d'autant plus que la tendance est aux caves écologiques. Michael Goëss-Enzenberg a retiré 30 000 m3 de terre et de roche pour construire une cave « en profondeur afin de garder la fraîcheur. Cette cave fonctionne par gravité, avec peu d'énergie. On consomme peu de climatisation et de chauffage grâce à la géothermie et au bois de nos forêts ».

Comment construire à proximité de chalets classés monuments historiques ? « L'architecte du patrimoine nous oblige à bâtir des nouvelles constructions ultramodernes et de qualité. Pas question d'imiter l'ancien dans un style pseudo-rustique », explique Michael Laimer, homme politique et vigneron, à la tête du vignoble Pacherhof, à Neustift. Il achève un bâtiment en grande partie souterrain qui accueillera des concerts et des spectacles.

Les chais sont ingénieux : chez Walch, à Tramin, des cuves divisées en deux (21 hl et 81 hl) servent pour les vinifications parcellaires, un « cuvon » sur rails distribue le raisin égrappé dans les cuves, l'eau de nettoyage irrigue la vigne. Walch fait cultiver ses propres levures par un prestataire « pour donner une touche plus personnelle à nos vins ».

Le Südtirol produit seulement 0,7 % des vins italiens mais gagne de nombreux prix, en particulier pour ses blancs. Au fil des ans, ses vignerons n'ont cessé d'améliorer la qualité, pour tirer le meilleur profit du flot de touristes autrichiens, suisses et allemands amoureux de la région.

Œnotourisme haut de gamme

« Il y a 5 400 ha de vigne pour 5 000 exploitations dans le Südtirol, précise Michael Laimer, viticulteur à Neustift. Ainsi, la plupart des vignerons vendent leurs raisins et exercent un autre métier. D'autres vinifient leur récolte et louent des chambres à des touristes, qui achètent leurs vins sans commission ni frais d'expédition. » Son Pacherhof (photo) est un « hotel-weingut » de 23 chambres en demi-pension. « Certains de nos clients viennent depuis cinquante ans. Hôtel et vignoble, les deux activités s'associent bien. Mon objectif : réaliser 30 % des ventes en direct. » Fritz Dellago, lui, produit dix vins sur 4 ha, à Missian, autour de son château-hôtel Korb d'inspiration médiévale avec ses bunkers creusés par Mussolini qui servent de cave. « Je vends 90 % de mes vins dans mon hôtel », se réjouit-il. D'autres chais innovent. Klosterhof propose un soin à base d'huile de pépins de raisin à 140 €. Manincor vend une crème de beauté à base de fleurs de vigne. Et chez Walch, les vins sont dégustés dans des verres de la marque Zalto vendus 30 €.

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