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DOSSIER - VITICULTURE, NÉGOCEDES RELATIONS APAISÉES

PROVENCE Les stars déboulent

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°304 - janvier 2018 - page 28

Des domaines de prestige ont créé une activité de négoce pour répondre à la croissance de leurs ventes. Ils offrent de bons prix mais sont exigeants. Les producteurs se mettent à la page.
LA CAVE DES VIGNERONSDE POURRIÈRESa investi 2,8 millions d'eurosdans son chai. Ici, Jean-François Armario (de face), le président, et Thierry Canavese, le directeur oenologue, en dégustation. A. LOUBET

LA CAVE DES VIGNERONSDE POURRIÈRESa investi 2,8 millions d'eurosdans son chai. Ici, Jean-François Armario (de face), le président, et Thierry Canavese, le directeur oenologue, en dégustation. A. LOUBET

La cave des Vignerons de Pourrières n'a pas regardé à la dépense. Elle a investi 2,8 millions d'euros entre 2015 et 2017 dans un nouveau chai équipé d'un matériel de vinification au top. La mise en route a eu lieu lors des vendanges 2017. La coopérative, qui produit 49 000 hl en moyenne par an, dont 80 % en côtes-de-provence rosé entièrement vendus en vrac, a consenti cet effort dans un objectif bien précis : intéresser les nouveaux acheteurs que sont les négociants « haut de gamme » comme on les désigne ici. « Ils cherchent des qualités premium qu'ils rémunèrent nettement au-dessus du prix du marché », résume Jean-FrançoisArmario, le président de la coop.

Pour la première fois en 2017, la cave a vendu 7 000 hl environ de côtes-de-provence rosé à ces opérateurs à un tarif valorisé sur lequel elle reste discrète.

Ces acheteurs sont pour la plupart des domaines de renom (châteaux Minuty, de Berne, d'Esclans, Sainte Roseline, Miraval...) qui ont lancé une activité de négoce pour répondre à l'engouement pour les rosés, en France comme à l'exportation où les ventes de côtes-de-provence ont bondi de 30 % en volume en 2017.

« Quand l'export a commencé à s'intéresser aux rosés-de-provence, il y a cinq ou six ans, les importateurs se sont tournés vers des domaines comme le nôtre en raison de leur notoriété, explique François Maton, propriétaire du château Minuty qui réalise 40 % de ses ventes dans 90 pays dans le monde. Le moyen le plus rapide et le plus pérenne d'accompagner la croissance a été d'acheter du vin à l'extérieur. »

Sur les 4 millions de cols qu'il commercialise, 60 % proviennent de son activité de négoce. « Nous travaillons avec des fournisseurs réguliers qui nous réservent peu ou prou les mêmes quantités d'une année sur l'autre, précise François Maton. Toutefois, nous ne nous engageons pas avant d'avoir dégusté les lots en cave. » Car il recherche des qualités bien définies : une couleur pâle, un faible degré d'alcool, de la fraîcheur et du fruit.

Selon nos informations, les achats de ces négociants représentent entre 120 000 et 130 000 hl, soit 20 % du volume du côtes-de-provence rosé commercialisé sur le marché du vrac.

« Ils paient les vins 20 % au-dessus du cours moyen de l'appellation, voire plus selon les lots, confie un courtier varois. Ils ne sont donc pas étrangers à l'inflation que nous connaissons depuis plusieurs années. D'autant qu'ils achètent très tôt pour sécuriser leurs débouchés à l'export où les premières commandes partent dès décembre. »

L'arrivée de ces domaines a d'autres conséquences : « Ils bousculent les habitudes dans le bon sens, constate Laurent Rougon, président du Comptoir des vins de Flassans, une coopérative qui produit 50 000 hl en moyenne. Nous les rencontrons avant les vendanges pour discuter du profil des produits à venir. Puis, au moment des vinifications pour ajuster le tir. Et à la fin de chaque campagne pour faire le bilan de l'année écoulée. » Autre avantage : ces clients sont fidèles. Ils reviennent d'une année à l'autre.

Parmi ces négociants, le château d'Esclans, racheté par le vigneron bordelais Sacha Lichine en 2006, va même plus loin. Il a mis en place des contrats pluriannuels de trois à cinq ans avec la majorité de ses fournisseurs. Ces accords concernent l'achat de moûts et de raisins qui représentent l'essentiel de l'approvisionnement de l'entreprise, contrairement à ses concurrents surtout acheteurs de vins finis. Esclans commercialise six millions de cols, à 95 % à l'export, dont 60 % sont produits à partir de son activité de négoce sous la marque Whispering Angel.

« Les contrats avec nos vignerons portent sur un volume et un prix fixe au kilo de raisin, ajusté sur l'évolution du prix du vin à la production en fin de campagne », explique Bertrand Léon, directeur technique. Le négociant détermine également la date de vendange et organise le planning de la récolte qu'il réalise avec ses propres machines à vendanger. « Nous récoltons à des niveaux de maturité supérieurs à la moyenne afin d'obtenir des vins qui ont du corps et du gras. »

Mais le côtes-de-provence ne lui suffit plus pour servir ses marchés. Cette année, le château d'Esclans a acheté des coteaux-d'aix-en-provence avec lesquels il lance la marque The Palm by Whispering Angel qu'il vendra 20 % moins cher que son côtes-de-provence vendu 22 dollars aux États-Unis.

De son côté, le château de Berne a choisi l'IGP Méditerranée pour accompagner le boom de ses ventes, qui sont passées de 700 000 cols en 2007 à 5 millions en 2017 et dont 60 % sont produits à partir d'achats de vin à l'extérieur de la propriété. « Nous développons l'IGP méditerranée depuis trois ans en France et à l'étranger, indique Alexis Cornu, responsable technique. Elle nous offre un complément de gamme à un prix plus accessible que le côtes-de-provence. »

À la cave des Vignerons du Roy René, qui produit 40 000 hl par an dont les deux tiers en Coteaux d'Aix-en-Provence et le solde en IGP Méditerranée, on ressent déjà cet appel d'air. « Nous voyons de nouveaux clients arriver depuis trois ans et ce phénomène s'est renforcé cette année », observe Didier Pauriol, son président. Conjuguée à la petite récolte en Provence, cette demande entraîne une hausse de l'appellation aixoise. À 190 €/hl en début de campagne, elle a démarré 20 à 30 €/hl au-dessus de l'an passé.

Le Point de vue de

Claude Martel, présidentde la cavecoopérativede Collobrières.300 ha, 10 000 hl/an.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. Les relations sont plus transparentes. Nous échangeons davantage sur les profils des produits attendus et les méthodes de vinification. Nous travaillons avec trois clients historiques pour lesquels nous élaborons des qualités bien précises. Elles entrent dans leurs marques. Cette année, en raison de la petite récolte, nous avons été sollicités par des acheteurs que nous n'avions jamais vus. Nous préférons maintenir les liens avec nos partenaires réguliers. »

Le Point de vue de

SylvainAudemard,35 ha, à Besse-sur-Issole. Production annuelle : 2 000 hl.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Non. Car nous vendons depuis quinze ans la quasi-totalité de notre production à un négociant régional avec lequel nous avons signé un contrat pluriannuel renouvelable tous les cinq ans. Il achète notre récolte sur la base du cours moyen du côtes-de-provence rosé en décembre et en janvier, auquel il ajoute une plus-value de 10 %. Il a l'exclusivité de notre nom, Domaine Buganay, sous lequel il vend notre production. J'ai été contacté par d'autres acheteurs, mais je n'ai pas donné suite. »

Le Point de vue de

Jean-Jacques Bréban, PDG de la Maison Bréban,à Vidauban. Achat annuel : 50 000 hl.

SELON VOUS, LES RAPPORTS ENTRE PRODUCTION ET NÉGOCE ONT-ILS CHANGÉ ?

«Oui. La création de structures de négoce par des domaines accroît la concurrence entre acheteurs dans un contexte de petites récoltes. Heureusement, nous avons tissé des relations pérennes de longue date avec des vignerons de la région. Nous achetons la totalité de cinq domaines. Nous vendons aussi des vins effervescents à l'étranger. Nous les achetons à des caves partenaires et nous réalisons la prise de mousse dans nos installations. »

L'essentiel de l'offre

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