Pour savoir ce dont l'agriculture française dispose aujourd'hui en matière de modèles épidémiologiques opérationnels dans le domaine de la santé végétale, et surtout voir ce qu'on peut en faire, la DGAL du MAAPRAT(3) a lancé une mission d'information sur le sujet. Elle l'a confiée à Patrice Blanchet et Georges Bédès, du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Ces derniers ont rencontré près de 150 personnes en entretiens individuels ou collectifs. Leur rapport de mission est maintenant disponible : les indications pour le trouver sont dans l'encadré 1. Ce rapport, inscrit dans la logique du Grenelle de l'environnement (voir encadré 2), inventorie l'existant et répond à des interrogations sur le futur des modèles en protection des cultures. Il évoque notamment le devenir de ceux développés auparavant par les services de la protection des végétaux et dits « modèles PV ».
Les investigations et les propositions sont dans la perspective du maintien et du développement de la meilleure expertise collective en santé des végétaux au service de l'agriculture française et de ses responsabilités dans la société.
L'enjeu de la surveillance biologique du territoire
Cette approche privilégie les intérêts globaux de la « ferme France » plutôt que les périmètres existants des acteurs de la santé végétale :
– sans amoindrir le haut niveau de performance et de sécurité collective de la production végétale française,
– sans dupliquer ou bien refaire inutilement l'existant,
– sans conduire à une dépendance envers des approches développées dans des contextes étrangers.
Au moment de la rédaction du rapport, la mise en place récente de la SBT (surveillance biologique du territoire) à l'échelon national et en régions a, une fois de plus, révélé l'hétérogénéité des situations locales.
C'est une réforme lourde pour les Chambres régionales d'agriculture, les Fédérations régionales de lutte contre les organismes nuisibles (FREDON), les Services régionaux de l'alimentation (SRAL) et tous les acteurs de la chaîne de décision phytosanitaire jusqu'à l'agriculteur décideur final.
Une formalisation de l'expertise accumulée
Parmi les avancées techniques des dernières décennies, les modèles apportent une représentation simplifiée du réel. Ils ont considérablement renouvelé l'aide à la décision. Ils combinent des années de connaissances scientifiques sur les bio-agresseurs avec l'expérience de terrain. Divers modèles épidémiologiques ont été élaborés et utilisés notamment pour la rédaction des bulletins d'Avertissements agricoles.
Un modèle est en permanence en cours de validation (voire d'invalidation, disent certains malicieusement !) Compte tenu de la part d'empirisme dans cette mise au point constante, les modèles « nationaux » ont, sur des modèles « importés », l'avantage d'être initiés et validés dans notre contexte agricole par notre communauté d'utilisateurs. Leur place et leur devenir dans la nouvelle épidémiosurveillance qui accompagne le plan Ecophyto 2018 méritaient une réflexion.
Toute leur place et rien qu'elle
Il est aujourd'hui difficile de se passer des outils « modèles », et les bio-agresseurs non couverts appellent la création de réponses adaptées. Ceci est d'autant plus important dans les situations où l'observation de terrain ou de laboratoire ne permet pas de conforter une évaluation de la situation ni de prévoir son évolution.
Comme dans les autres secteurs où la modélisation s'est imposée (finances, médecine, météorologie...), le formidable apport de cette technologie ne doit pas se muer en dépendance envers un modèle ni en fétichisme ! Le modèle n'est qu'un outil parmi d'autres. C'est in fine le producteur qui prend la décision avec les informations de terrain, ou virtuelles, entouré de conseils et sans oublier l'observation de ses cultures.
Ceci est d'autant plus important avec les attentes nouvelles de la société et l'engagement dans Ecophyto 2018. Les automatismes et les précautions systématiques n'ont plus leur place dans l'appréciation des risques. Les modèles sont et demeureront des représentations virtuelles !
« Modèles PV » : bon niveau...
Après avoir expliqué l'origine des modèles en général, leurs limites et la modélisation à l'international, la mission aborde les modèles dits « historiques » conçus et mis au point par les Services de la protection des végétaux avec l'appui de divers partenaires (instituts techniques, Fredon, chambres d'agriculture, etc.) Nous les appellerons ici « modèles PV ».
Le rapport recense les 26 principaux « modèles PV » (Tableaux 1 et 2), concernant 22 bioagresseurs, parmi les 127 modèles pour 72 bioagresseurs listés dans l'inventaire des modèles piloté par la FNLON(4) en collaboration avec l'ACTA(5). Leurs caractéristiques et leurs points forts ou faibles sont listés dans le rapport. Ils sont, en général, aussi performants que les modèles concurrents et couvrent une large gamme de cultures. Manifestement, cette expertise collective produite par les acteurs de la « ferme France » ne doit pas être gaspillée.
... À « recarrosser »
Leur ergonomie, parfois rustique, correspondait à un usage pionnier par les spécialistes des Avertissements Agricoles. Depuis quelques années, elle ne bénéficiait plus des avancées récentes de l'informatique et conservait une architecture « pré-internet ». Les approches pour un emploi par l'utilisateur individuel n'ont pas été développées. Une plus large communauté d'utilisateurs aurait pu l'apporter depuis plusieurs années et mieux valoriser l'expertise. L'exemple (excellent) de collaboration entre Arvalis-Institut du végétal et le ministère chargé de l'agriculture pour fusionner et optimiser leurs modèles sur le mildiou de la pomme de terre aurait pu être multiplié. Il a permis les évolutions nécessaires en associant le plus largement possible tous les partenaires dans l'intérêt des producteurs français.
Réussir le transfert des modèles PV aux acteurs professionnels
La logique veut que les « modèles PV » anciennement utilisés pour l'élaboration des Avertissements agricoles soient transférés aux acteurs de la profession agricole désormais en charge de l'élaboration des « Bulletins de santé du végétal » (BSV), afin de consolider ces BSV. Comme écrit en p. 46 du rapport, « ceci est clairement une priorité par rapport à la diversification des modèles ».
Pour être réussi, ce transfert doit s'accompagner d'un certain nombre de mesures.
Il y a d'abord une forme d'urgence à transmettre ces modèles rapidement, afin d'éviter qu'une période d'inutilisation ne provoque une perte de compétences locales.
La principale mesure d'accompagnement concerne les personnels des ex-services de la protection des végétaux. Leur engagement et leur savoir-faire personnels sont indispensables pour l'adaptation dans un nouveau contexte des modèles qu'ils ont créés et fait tourner avec un engagement individuel et collectif.
Dans ce contexte, une bonne gestion du personnel et de son expertise représente un gage de réussite du transfert et de sérénité au sein des SRAL et de l'épidémiosurveillance.
Mesures techniques
Des mesures techniques sont tout aussi indispensables (compatibilités informatiques et qualité des données météorologiques), de même que des mesures administratives (conventions, accords, délégations...)
La répartition des « modèles PV » selon les situations et structures existantes est proposée principalement vers les instituts techniques. Ces derniers sont souvent eux-mêmes créateurs et/ou utilisateurs de modèles. Cette solution est à privilégier chaque fois que possible. Autrement dit, là où le développement depuis des années par les instituts de leurs propres systèmes n'a pas rendu trop difficile et problématique l'adoption d'une autre architecture.
Avance française réelle mais fragile
Au fil du temps, la création des modèles a constitué un très gros effort collectif de la recherche et de son application. Tant avec les modèles PV que ceux développés par l'INRA, les instituts techniques, les firmes privées, etc., la France dispose d'une belle position dans l'économie de la connaissance. Mais :
– elle n'a pratiquement pas su les exporter commercialement ou politiquement,
– les « modèles PV » pionniers sont demeurés dans un environnement informatique obsolète (hors internet),
– les concepteurs et les concepts ne sont pas d'une pérennité garantie par le partage dans une communauté structurée,
– des modèles étrangers commencent leur carrière commerciale en France.
Pour continuer à bénéficier des fruits de ces efforts, le développement et la valorisation maîtrisée des modèles ont leur place dans le renouveau des approches de protection des cultures.
Désherbage et organismes réglementés
Sur certains domaines, la modélisation est balbutiante. C'est le cas notamment pour la gestion du désherbage dont l'impact sur la qualité de l'eau est majeur. De même, les bioagresseurs réglementés ou susceptibles d'être introduits peuvent être un autre domaine où installer d'emblée des pratiques partenariales larges entre tous les acteurs concernés.
Vers une agro-météorologie plus partenariale
L'importance des données météorologiques pour le bon fonctionnement des modèles est évidemment déterminante. Les réseaux et moyens utilisés par les différents acteurs sont présentés dans le rapport. Ce sujet complexe déborde le cadre de la santé des végétaux. Il mériterait à lui seul une mission spécifique et une concertation politique préalable au sein des organisations agricoles pour discuter avec les autres intervenants, tel Météo France.
Le succès de discussions serait grandi par la volonté préalable d'une forme de mutualisation et d'inter-opérabilité nécessaires pour survivre face à l'évolution technologique rapide.
Les suites à venir
Les recommandations du rapport sont multiples et la situation se modifie en permanence. Les propositions sont à la disposition du ministère qui appréciera les suites à y donner dans l'évolution rapide de l'épidémiosurveillance, notamment dans le contexte d'écophyto 2018. Les diverses instances qui l'accompagnent, en particulier le Comité national d'épidémiosurveillance, y contribueront. À n'en pas douter, la modélisation a de beaux jours devant elle.
<p>* Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts, CGAAER (Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux). patrice.blanchet@agriculture.gouv.fr</p> <p>** Inspecteur général de la santé publique et vétérinaire, CGAAER.</p> <p>(1) Outils d'aide à la décision.</p> <p>(2) Surveillance biologique du territoire.</p> <p>(3) Direction générale de l'Alimentation du ministère de l'Alimentation, de l'Agriculture, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du territoire.</p> <p>(4) Fédération nationale de lutte contre les organismes nuisibles.</p> <p>(5) Association de coordination technique agricole.</p>
1 - Où trouver le rapport ?
Ce rapport de 62 pages titré « Les modèles épidémiologiques pour la santé des végétaux » est sur le site du ministère chargé de l'agriculture, http://agriculture.gouv.fr Aller à « publications », puis « rapports ».
2 - À quoi sert un modèle ? Pourquoi « modèle » rime avec « Grenelle » (de l'environnement)
Les modèles épidémiologiques sont des outils de la protection intégrée des cultures. En effet, à partir de données météorologiques, agronomiques (type de sol, précédent cultural, pratiques agricoles) ou d'observations biologiques (piégeage, stade phénologique des cultures...), ils simulent le développement des bioagresseurs des plantes (maladies, populations de ravageurs voire d'adventices). Ils permettent de prévoir ce développement donc d'évaluer les risques avant que des symptômes, pullulations ou dégâts ne soient visibles au champ. Ils sont à la base d'OAD aidant les agriculteurs à traiter au bon moment, à la bonne dose et seulement si nécessaire. Ils leur permettent donc d'éviter les traitements d'assurance et de moduler les doses à la baisse sans augmenter le risque de dégâts aux cultures. Cela contribue à la réduction d'emploi des produits phytopharmaceutiques, objectif du plan Ecophyto 2018 issu du Grenelle de l'Environnement.