La protection des cultures contre les limaces utilise des outils d'aide à la décision : modèles de prévision (voir p. 34 à 37) et pièges de détection précoce. Mais ensuite il faut parfois appliquer des produits anti-limaces. Depuis huit ans, le choix s'est restreint en nombre de matières actives. Mais pas de modes d'action, on le verra. Et puis les formulations et les techniques d'application ont évolué.
Parlons de produits, d'abord. Selon e-phy, la base de données du ministère de l'Agriculture(1), pas moins de 174 spécialités commerciales sont autorisées en France comme molluscicides c'est-à-dire contre les limaces et/ou les escargots. Mais en fait l'agriculteur n'a pas tant de choix que cela.
D'abord, tous les produits autorisés ne sont pas commercialisés. Ensuite et surtout, 168 d'entre eux, dont une soixantaine destinés aux jardins d'amateurs, déclinent une seule et unique substance active : le métaldéhyde ! Et les six derniers ? Trois contiennent du mercaptodiméthur alias méthiocarbe, et trois autres (dont un réservé aux jardins d'amateurs) du phosphate ferrique.
L'agriculteur a donc le choix entre trois substances. C'est tout.
De son côté l'Index phytosanitaire 2011 de l'Acta cite 36 produits (voir tableau p. 40) à la fois autorisés et commercialisés fin 2010. Avec, bien entendu, les trois mêmes substances actives.
Modes d'action, trois partout
Fin 2002, cinq substances différentes étaient autorisées contre les mollusques : métaldéhyde et méthiocarbe, mais aussi bensultap, thiodicarbe et méthomyl, ce dernier visant les escargots (Tableau). Les trois dernières substances ont disparu pour cause de « non-inscription européenne(2) » – en fait le méthomyl a été réinscrit en 2009 mais la France ne l'a pas pour autant ré-autorisé. Et seul le phosphate ferrique, autorisé en juin 2003(3) mais lancé sur le marché français seulement en 2005, est venu compenser ces trois départs.
Cependant, ce nouveau venu a un mode d'action original alors que le thiodicarbe et le méthomyl étaient des carbamates comme le méthiocarbe et partageaient donc le même mode d'action.
Ainsi, la diversité qui compte pour la prévention des résistances, à savoir le nombre de modes d'action disponibles, est restée la même : il y en a toujours trois.
Elle est garantie pour le proche avenir. En effet, les trois substances autorisées en France sont toutes inscrites au plan européen :
– le phosphate ferrique jusqu'à fin 2015,
– le méthiocarbe jusqu'au 30 septembre 2017,
– le métaldéhyde probablement jusqu'en 2021, son inscription votée en mars 2011 (voir p. 4 de ce n°643) n'étant pas encore publiée(4).
Nouvelle substance
Revenons au phosphate ferrique. Il a un mode d'action original. Son action molluscicide, plus lente que celle des deux autres substances, laisse aux limaces le temps de se réenfoncer dans le sol. On ne voit donc pas d'individus morts en surface. En revanche, les limaces cessent de s'alimenter après l'ingestion – il stoppe donc les dégâts aussi vite que les autres.
Atout de poids de la substance : elle n'est pas classée au plan toxicologique. Elle est d'ailleurs « indiquée dans le Food Chemical Codex comme un additif alimentaire », affirme sur internet son fabricant, la société allemande Neudorff.
En outre, elle se trouve à l'état naturel dans le sol. Ainsi les deux produits à base de phosphate ferrique cités dans l'Index phytosanitaire 2011, à savoir Ferramol et Sluxx vendus respectivement par Compo et Certis, sont utilisables en agriculture biologique selon les réglementations européennes et française. Le second, lancé en 2010, a été reconnu par Ecocert en mars 2011. Dernier point : le phosphate ferrique partage avec le métaldéhyde une bonne sélectivité vis-à-vis des vers de terre, et probablement des auxiliaires de type carabe, ménagés eux aussi par le métaldéhyde. On sait que, a priori, son mode d'action spécifique des mollusques ne concerne pas les insectes.
Formulation, les quatre qualités
Reste que l'efficacité des produits tient beaucoup à leur formulation.
En effet, les molluscicides agissant tous par ingestion, il faut que les limaces viennent les manger de préférence aux jeunes plantes à protéger. Les produits doivent donc être présentés sous forme d'appâts à la fois :
– résistants aux conditions d'épandage (risque de dérive, cassure et abrasion par les outils) puis de conservation (délitement et/ou moisissures en conditions humides notamment), afin d'être disponibles pour les limaces en quantité maximale sur une durée maximale quand et où ils sont utiles ;
– attractifs, c'est-à-dire attirant les limaces depuis la plus grande distance possible ;
– appétents, afin que toute limace ayant commencé à ingérer l'appât continue à le faire ;
– actifs contre les limaces, bien sûr.
Qu'une seule qualité manque à l'appel, et les trois autres ne serviront pas à grand chose. L'activité anti-limace grise, espèce la plus fréquente en culture, est une qualité partagée par les trois substances présentes sur le marché. (Bayer CSF, fabricant du méthiocarbe, souligne que celui-ci a un plus vis-à-vis de la limace noire). Mais la résistance, l'attractivité et l'appétence viennent de la formulation.
Le règne de la voie humide
Concernant l'attractivité et l'appétence, les appâts sont à base de farine de céréales, en général du blé, et ceux fabriqués par voie humide sont supérieurs à ceux issus de voie sèche. Aujourd'hui, même s'il reste sur le marché des produits « voie sèche » bas de gamme, les appâts haut de gamme et récemment lancés sont des « voies humides ».
C'est vrai pour ceux à base de phosphate ferrique déjà cités, pour ceux à base de méthiocarbe (Mesurol Pro et Bilbo, proposés par Bayer CSF, qui souligne la régularité de leur résistance face aux risques de délitement et de moisissure) et pour les produits récents à base de métaldéhyde : Métarex RG TDS et Magisem, vendus par De Sangosse ainsi que Delicia Lentilles Antilimaces (et Metapads) dont la distribution vient d'être reprise par le fabricant Frunol Delicia. Qui précise que ses appâts à base de blé tendre à fort taux de protéines (pour l'appétence) sont « extrudés », variante de la voie humide visant à améliorer la tenue à l'humidité.
Granulés, taille et densité
Autre point : la forme physique des granulés. Pour un épandage localisé au semis, en particulier en mélange avec des semences, il faut des tailles et densités compatibles. C'est le cas du Magisem avec les semences de blé, colza et espèces fourragères, et des Délicia Lentilles Antilimaces avec la semence de colza.
Certains déconseillent le mélange de granulés anti-limaces avec des semences traitées, afin de ne pas risquer d'endommager le pelliculage de ces semences donc de générer des poussières de produit perdu pour la plante et filant dans l'environnement. La solution peut alors être le micro-granulateur associé au semoir. Par ailleurs certains granulés sont annoncés comme plutôt destinés à l'épandage en plein (ex. Métarex RG TDS), et les autres utilisables en plein comme en localisé. A chacun de juger.
Application, épandeur primé au SIMA
Reste la technique d'application. En particulier pour l'épandage en plein, une répartition hétérogène conduit à des zones surdosées (c'est mauvais pour l'environnement et le portefeuille) et d'autres sous-dosées (c'est dommage pour l'efficacité). Par ailleurs, l'abrasion des granulés entraîne l'émission de poussière et écailles d'où produit gaspillé et risque de dérive aérienne. On voit l'intérêt de matériels améliorant la répartition et diminuant l'abrasion.
C'est le cas du Spando TDS , reconnu pour cela par une citation du « Sima Innovations Award » au SIMA 2011. Cet épandeur centrifuge doté d'un DPA (débit proportionnel à l'avancement) concocté avec le Cemagref est vendu sous licence Cemagref et destiné aux applications en plein. Testé avec le Métarex RG TDS, de De Sangosse, il en garantit la bonne application.
La société agennaise le promeut activement et a ajouté à son nom le « TDS » de sa marque « technique développement service » concernant ses appâts, ses outils d'aide à la décision (kit de piégeage, modèle de prévision, réseau de surveillance) et désormais ce matériel.
Elle ne vend pas l'épandeur directement mais par l'intermédiaire de ses distributeurs d'antilimaces, sachant que l'appareil est testé avec et adapté à ses propres granulés.
A noter : la machine est fabriquée par une société indépendante. Et, cocorico, française ! Après les locavores, le locamatériel ?
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Actuellement le MAAPRAT, ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du territoire.</p> <p>(2) Autrement dit, les autorités européennes ne les ont pas inscrites sur l'annexe 1 de la directive 91/414/CE. Cette « annexe 1 » est la liste des substances pouvant être incluses dans des produits phytopharmaceutiques autorisés dans quelque pays de l'Union européenne que ce soit. Une <i>« non-inscription »</i> européenne implique l'interdiction dans tous les pays de l'Union.</p> <p>(3) Voir <i>Phytoma</i> n° 563 de septembre 2003, p. 47. Le produit, Ferramol de Neudorff, a été lancé en France en 2005.</p> <p>(4) La règle de la directive 91/414 est celle de l'inscription pour 10 ans mais il est arrivé que des substances soient inscrites pour des durées inférieures ; de plus, la durée commencera à compter de la date d'inscription, qui ellemême sera fixée par la directive d'inscription, pas encore parue lors du « bouclage » de cet article (11 avril).</p>