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Éléments inédits sur la biologie de deux champignons associés, P. aleophilum et D. seriata Vigne, de nouvelles connaissances sur les maladies du bois

Philippe Larignon* - Phytoma - n°646 - août 2011 - page 41

 ph. P. Larignon

ph. P. Larignon

Nécrose brune liée à Diplodia seriata, forme anamorphe (= asexuée) de B. obtusa.

Nécrose brune liée à Diplodia seriata, forme anamorphe (= asexuée) de B. obtusa.

À gauche, Phaeoacremonium aleophilum et à droite, Diplodia seriata.

À gauche, Phaeoacremonium aleophilum et à droite, Diplodia seriata.

La recherche de moyens de protection contre les maladies du bois de la vigne est active. Mais il y a peu de chance de trouver des outils qui restent efficaces en toutes conditions. Le seul à le faire, l'arsenite de soude, a été interdit en 2001 vu sa toxicité. Il faut donc combattre ces maladies « en finesse », en s'adaptant à la biologie des champignons associés. Voici de nouveaux éléments sur la biologie de deux d'entre eux, Phaeoacremonium aleophilum et Diplodia seriata. Mieux connaître leurs modes de contamination et les facteurs qui la favorisent est utile pour la protection préventive indirecte. Cela peut servir aussi pour adapter les méthodes d'étude de moyens directs de lutte, qu'elle soit conventionnelle ou biologique.

La lutte contre les maladies du bois de la vigne telles que l'esca ou le black dead arm (BDA) nécessite une bonne connaissance du cycle biologique des champignons qui y sont associés.

Pourquoi cette étude

À la fin des années 80, des études réalisées en France ont montré le rôle de pionnier de l'esca joué par Phaeomoniella chlamydospora. Ce champignon à dissémination aérienne pénètre par les plaies de taille lors de périodes pluvieuses durant la période hivernale (Larignon et al., 2000).

Pour l'autre agent pionnier de l'esca, Phaeoacremonium aleophilum, il avait été montré qu'il était capable de pénétrer par les plaies de taille lors des tests de réceptivité, mais que sa dissémination a lieu plus tard, principalement en période végétative de la vigne (Larignon et al., 2000). On n'avait pas noté de contamination naturelle des plaies en période hivernale.

Pour identifier la voie de pénétration de ce champignon dans la plante, une nouvelle étude a été mise en place dans le sud-est de la France pendant quatre années consécutives. Parallèlement, elle a été également menée sur le champignon Diplodia seriata (= forme anamorphe de 'Botryosphaeria' obtusa), agent associé au BDA.

Quatre ans de travail

Une parcelle en Sauvignon

Ces travaux entrepris en 2005 ont été poursuivis jusqu'en 2008 inclus.

Ils ont été réalisés sur une parcelle au taux de maladie caractérisé : 15 % de plantes présentaient des symptômes au niveau de la partie herbacée en 2005, 12 % en 2006, 26 % en 2007 et 20 % en 2008. Située sur la commune de Caissargues, dans les Costières de Nîmes, et plantée avec le cépage Sauvignon greffé sur porte-greffe SO4, elle est conduite en cordon bilatéral et âgée de 16 ans en 2005.

Les données climatiques relatives à la période sont mesurées par la station météorologique située au Lycée de Rodilhan, à 6 km de la parcelle, et fournies par Monsieur Bernard Molot (IFV Pôle Rhône-Méditerranée).

Des sarments aux rondelles

Concernant la recherche des deux champignons au niveau des plaies de taille et dans les sarments, la même méthodologie a été utilisée durant les quatre années. Pour chaque période de taille, les sarments sont coupés à environ 15 cm de leur base. Chaque semaine, 40 sections de 10 à 15 cm de long sont prélevées au hasard. Ceci jusqu'au 23 juin en 2005, au 7 juin en 2006, au 16 mai en 2007 et au 30 avril en 2008.

Les sarments sont analysés selon la méthode de Paillassa (1992) qui consiste à les écorcer sur 1 cm à partir de la plaie et à les découper en 10 rondelles qui sont ensuite mises sur un milieu de culture (malt-agar). La recherche de P. aleophilum et de D. seriata à l'intérieur des tissus ligneux est effectuée aussi sur des sarments non taillés (témoins), la zone prélevée ayant la même localisation que celle des sarments taillés.

Biologie de Phaeoacremonium aleophilum

La plaie de taille, voie de pénétration

L'analyse de la microflore des plaies de taille montre que P. aleophilum contamine les blessures de taille (Tableau 1).

En effet, le pourcentage de son isolement dans les sarments taillés est beaucoup plus élevé que celui dans les sarments non taillés (lequel est nul trois ans sur quatre). La blessure de taille est donc bien une voie de pénétration de ce champignon dans la plante.

Délai entre taille et contamination

Le délai entre la taille et les premières contaminations des blessures de taille varie selon la date de taille (Figure 1 et tableau 2).

Pour la taille réalisée le 9 février 2005 ou celle du 15 février 2006, les premières contaminations sont observées six semaines après, alors que pour celles faites le 22 février 2007, elles prennent place aussitôt après.

En 2008, les contaminations semblent avoir lieu huit semaines après la taille. Certes on note une présence dans les sarments juste après la taille (Figure 1). Mais elle nous semble plutôt due à une présence datant d'avant la taille. En effet, on trouve le champignon aussi dans des sarments non taillés, avec peu de différence de taux d'isolement entre les deux types de sarments. En revanche, à partir du 2 avril, le taux diffère considérablement.

Quant à la différence de délai taille/contamination entre 2007 et les autres années (sauf 2008), notons que c'est en 2007, année de forte expression de la maladie, que la taille a été la plus tardive et que la période des pleurs a débuté le plus tôt (tableau 2). Les contaminations ont eu lieu peu de temps avant le début de la période des pleurs (5 jours avant). Les autres années, elles ont eu lieu pendant ou après cette période.

Rôle des conditions climatiques

Ces résultats corroborent ceux obtenus auparavant dans le vignoble bordelais (Larignon et al., 2000). Ils montraient une absence de contaminations durant les périodes hivernales. Elle était liée, non pas à un manque de réceptivité de la plante, mais à l'absence de dissémination du champignon lors de cette période.

La confrontation de ces résultats aux données climatiques (tableau 3) montre que les conditions favorables à la contamination des plaies de taille seraient une période de température moyenne supérieure à 10 °C avec une température maximale d'au moins 16 °C, accompagnée d'une période pluvieuse.

En 2008 (tableau 4), les conditions climatiques étaient défavorables pour les contaminations observées en février (absence de pluie ou températures trop faibles). Cela vient à l'appui de l'hypothèse selon laquelle la mise en évidence du champignon sur les blessures était bien due à sa présence dans les sarments.

Indice sur la contamination en pépinières

Son isolement dans certains sarments non taillés, déjà constaté lors des premières études sur la contamination des plaies de taille (Larignon et al., 2000) suggère qu'il peut se propager en pépinières par les bois infectés. Sa présence dans le matériel végétal destiné à la pépinière, rapportée par Larignon et al. (2006) corrobore cette observation.

Cette présence peut avoir plusieurs origines : les champignons peuvent infecter les rameaux herbacés par des blessures occasionnées lors de différentes pratiques culturales pendant la période végétative de la plante jusqu'à la chute des feuilles ; le champignon présent dans le plus vieux bois pourrait se développer dans les tissus ligneux pour atteindre les rameaux herbacés ou sarments.

Biologie de Diplodia seriata

Là aussi le champignon « passe par la plaie de taille »

L'analyse de la microflore des plaies de taille montre que D. seriata contamine lui aussi les blessures de taille (Tableau 1 p. 42).

Le pourcentage de son isolement dans les sarments taillés est plus élevé que celui dans les sarments non taillés, même si ce dernier n'est pas négligeable. Là encore, la blessure de taille est une voie de pénétration de ce champignon dans la plante.

Là encore, la question des délais entre taille et contamination

Le délai entre la taille et les premières contaminations des blessures de taille varie selon la date de taille (Figure 2 et tableau 2, p. 42 et 43). Pour la taille réalisée le 9 février 2005 ou celle du 15 février 2006, les premières contaminations sont observées dix ou six semaines après. Mais pour celles faites le 22 février 2007, elles prennent place aussitôt après.

À noter également que, là encore, les contaminations ont lieu après la période des pleurs à l'exception de l'année 2007 (tableau 2).

Là toujours des conditions climatiques douces et humides

La confrontation de ces résultats aux données climatiques (tableau 3 p. 43) montre que les conditions favorables à la contamination des plaies de taille par D. seriata seraient, tout comme pour P. aleophilum, une période de température moyenne supérieure à 10 °C avec une température maximale d'au moins 16 °C, accompagnée d'une période pluvieuse.

Ceci dit, en 2005, ces conditions étaient remplies pour plusieurs périodes bien avant la mise en évidence de la contamination des plaies le 27 avril. Actuellement, nous ne pouvons pas expliquer pourquoi le champignon n'a pas été trouvé sur les plaies malgré des conditions climatiques propices aux contaminations.

L'isolement de D. seriata des sarments non taillés peut être expliqué par les mêmes hypothèses que celles décrites pour P. aleophilum.

Des informations utiles

Pour les viticulteurs

Ce travail a permis de montrer une des voies de pénétration des champignons dans la plante et d'en savoir plus sur les périodes de contamination. D'une manière générale, P. aleophilum et D. seriata contaminent les plaies de taille après la période des pleurs suite à des pluies. Ainsi, les contaminations printanières par P. aleophilum (et aussi D. seriata) succèdent aux contaminations hivernales par P. chlamydospora.

Il n'y aurait donc guère de période de taille « sans risque » !

Pour les expérimentateurs

Ces résultats ont également des conséquences importantes sur les méthodes portant sur la protection des voies de pénétration.

Pour être représentatifs, les tests de terrain devraient tenir compte des périodes de contamination des plaies de taille et de la pluie, et ceci pour les trois espèces P. chlamydospora, P. aleophilum et D. seriata.

<p>* Institut français de la vigne et du vin, Pôle Rhône-Méditerranée, Domaine de Donadille, 30230 Rodilhan.</p>

Figure 1 - Périodes de contamination des plaies de taille par P. aleophilum pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008 (rouge : taillé ; bleu : non taillé).

Figure 2 - Périodes de contamination des plaies de taille par D. seriata pour les années 2005, 2006, 2007 et 2008 (rouge : taillé ; bleu : non taillé).

Remerciements

Ce travail a été réalisé grâce à la participation financière de FranceAgriMer et du CASDAR.

Bibliographie

Larignon P., Dupont J. & Dubos B., 2000 - L'esca de la vigne : quelques éléments sur la biologie de deux agents associés : Phaeoacremonium aleophilum et Phaeomoniella chlamydospora. Phytoma. 527, 30-35.

Larignon P., Berud F., Girardon K. & Dubos B., 2006 - Maladies du bois de la vigne. Et les pépinières ? Quelques éléments sur la présence des champignons associés, leur localisation dans le bois et les moments de contamination. Phytoma. 592, 14-17.

Résumé

Sachant que l'un des champignons pionniers de l'esca, Phaeomoniella chlamydospora, contamine les plaies de taille en période hivernale, mais que l'autre, Phaeoacremonium aleophilum, ne le fait pas, une étude a été menée sur quatre années, de 2005 à 2008 inclus, pour étudier la contamination au printemps d'une vigne de Sauvignon par P. aleophilum. On a recherché également Diplodia seriata (anamorphe de Botryosphaeria obtusa, impliqué dans le BDA).

Les résultats montrent :

– la réalité d'une contamination au printemps par P. aleophilum et D. seriat a dans les sarments taillés ;

– un délai entre taille et contamination si la première a lieu précocement bien avant la période des pleurs ;

– que des conditions douces et humides (pluvieuses sur le terrain) sont favorables à la contamination par ces deux champignons ;

– l'existence probable d'autres voies de contamination, probablement en pépinières.

Ces nouvelles informations sur la biologie de P. aleophilum et D. seriata sont à prendre en compte pour la protection de la vigne aujourd'hui, mais aussi pour la méthodologie d'étude de futurs moyens de protection.

Mots-clés : vigne, maladies du bois, esca, black dead arm, Phaeoacremonium aleophilum, Diplodia seriata, biologie, contamination, plaies de taille, conditions climatiques.

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