Nos lecteurs fidèles le savent, la réglementation phyto des zones non agricoles évolue avec, tous les ans, un chapitre bonnes pratiques. Cette édition confirme la règle avec la sortie en décembre 2010-janvier 2011 du paquet « Utilisateurs non pros », le 28 juillet dernier de l'arrêté « Lieux publics » et le 18 octobre du paquet « Agrément des entreprises et certificat individuel ». Tous appliquant le « paquet pesticides » européen. Décorticage en complément d'informations données précédemment(1) et p. 4, 14 et 17.
Le 28 juillet, paraissait l'arrêté du 27 juin « relatif à l'interdiction de certains produits mentionnés à l'article L 253-1 du code rural et de la pêche maritime (N.B. = produits phytos) dans les lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables ». Après avoir rappelé dans son article 1 qu'il s'applique aux produits phytos (ceux mentionnés à l'« article L 253-1 ») bénéficiant d'une AMM (autorisation de mise sur le marché), il encadre :
– dans les articles 2, 3 et 4, le choix parmi ces produits : interdiction de certains, différente selon le type de lieux ; plus, en article 7, un cas où ces interdictions ne s'appliquent pas ;
– dans les articles 5 et 6, les pratiques de sécurisation des lieux concernés.
Lieux « à personnes vulnérables », seuls les « non classés tox »
Article 2 : personnes et lieux concernés
Ainsi, l'article 2 interdit la plupart des produits phytos dans deux catégories de lieux accueillant des personnes particulièrement fragiles.
Il y a d'abord des lieux destinés à un accueil spécifique des enfants ; selon le point I de l'annexe de l'arrêté, ce sont les :
– « cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l'enceinte des établissements scolaires ;
– espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l'enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ;
– aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public. »
Il y a ensuite les surfaces entourant les bâtiments accueillant ou hébergeant des « personnes vulnérables » dans des établissements cités en annexe. En gros, ceux de soin (hôpital, clinique), de convalescence et d'accueil de personnes âgées, handicapées et/ou malades(2). Les surfaces concernées sont celles entourant ces bâtiments jusqu'à 50 m de distance à l'intérieur des limites foncières des établissements, mais pas au delà de ces limites.
Produits interdits, presque tous : la lettre
Les deux premiers paragraphes de l'article 2 stipulent que les produits phytos (ceux « mentionnés à l'article 1er ») sont interdits dans ces deux catégories de lieux. Mais le troisième paragraphe tempère aussitôt.
Citons le texte : « Les dispositions ci-dessus ne s'appliquent pas aux produits mentionnés à l'article 1er exempts de classement ou dont la classification comporte exclusivement. » (Suit une liste de mentions signalant un risque éco-toxicologique mais pas toxicologique, voir tableau). Autrement dit, les produits non classés au plan toxicologique sont utilisables… Là, deux interprétations sont apparues !
Certains (dont Phytoma n° 646, p. 6) ont compris que ce droit d'utiliser des produits « non classés tox » s'appliquait dans les deux catégories de lieux (« Les dispositions » désignant toutes les dispositions précédentes). D'autres ont compris que ce droit s'appliquait autour des bâtiments abritant les « personnes vulnérables » visées par le deuxième paragraphe, mais pas dans lieux destinés aux enfants (disposition du premier paragraphe).
Renseignements pris auprès du MAAPRAT, c'est la première interprétation qui est correcte (v. le tableau). C'est ce que dit la lettre de l'arrêté, et c'est aussi une question de fond.
L'esprit : sanctuariser pour la tox
L'esprit de l'arrêté, c'est qu'il faut surprotéger les personnes concernées qui sont particulièrement vulnérables, les enfants du fait de leur âge (petite taille, physiologie, comportement là où on ne peut guère les empêcher de toucher le sol, les végétaux, etc.) et les autres « personnes vulnérables » du fait de leur âge (pour les plus âgées), de leur handicap et/ou de leur état de santé physique ou mentale.
Tous les produits affectés d'un classement toxicologique sont donc interdits dans ces lieux. Un simple « Xi R36 » (irritant pour les yeux) sur l'étiquette d'un produit phyto le fait bannir des cours de récré et alentours d'hôpital. Mais tout n'est pas interdit, parce que cela :
– n'aurait pas d'intérêt particulier pour la santé, les produits utilisables étant non classés donc fort peu dangereux(3) ;
– reviendrait à interdire les PNPP, préparations naturelles peu préoccupantes – aujourd'hui le purin d'orties, demain peut-être d'autres – que leur fabricant aurait déclarées en publiant leur composition ; contradiction à leur autorisation et avantage au produit « opaque » ; plutôt fâcheux ;
– reviendrait à interdire les produits non classés comme ceux irritants, nocifs voire toxiques.
Encourager l'innovation douce
Au contraire, cet arrêté permet d'utiliser des produits « doux », par exemple des fongicides non classés à base de soufre ou des molluscicides non classés à base de phosphate ferrique. Cela encourage leur usage.
Pour ceux qui veulent privilégier les produits naturels, il existe aujourd'hui, soit dans les gammes jardins soit dans les gammes agricoles, des insecticides « bios » non classés à base de pyréthrines naturelles, d'huile de colza ou de Bacillus thuringiensis, ainsi que des phéromones pour la confusion sexuelle et des stimulateurs de défenses naturelles à base d'algues ou de fenugrec (tous non classés). Et encore des herbicides non classés à base d'acide pélargonique ou d'acide acétique. Reste à les introduire en espaces verts. L'arrêté encourage cela. Et, de façon générale, l'innovation vers les produits doux.
Lieux « ouverts au public », deux classes de produits
Articles 3 et 4 : lieux concernés
Les articles 3 et 4 interdisent certains produits dans les « parcs, jardins, espaces verts et terrains de sports et de loisir ouverts au public » (précisions dans le tableau).
C'est clair, ces interdictions s'appliquent dans tous ces lieux, qu'ils soient publics au sens strict (ex. jardins publics et terrains de sport municipaux) ou qu'ils appartiennent à des propriétaires privés en étant ouverts au public : parcs et jardins privés ouverts aux visites, ou terrains de sport (golf, tennis, polo, etc.) privés dès lors qu'ils peuvent être arpentés par des personnes non membres du club.
Quant aux cimetières, forcément ouverts au public, ils sont concernés dans la mesure où ce sont des espaces verts gérés par un service espaces verts et/ou fréquentés aussi comme tels (ex. : Le Père Lachaise à Paris).
La logique veut aussi que les aires de repos et de pique-nique végétalisées d'autoroute soient considérées comme des espaces verts ouverts au public donc entrent dans le champ des articles 3 et 4 de l'arrêté.
En revanche la voirie n'y entre pas. Autrement dit, ne sont pas concernées les autoroutes, routes et rues pour leurs chaussées, bas-côtés, accotements, trottoirs et arbres d'alignement, ni les terres pleins, bandes et ronds-points végétalisés non accessibles au public.
De même le site d'une entreprise n'est pas concerné même sur sa partie jardinée, s'il n'est pas « ouvert au public » mais à ses seuls salariés, fournisseurs et visiteurs invités.
Article 3, des produits interdits partout
Dans tous les lieux ouverts au public, l'article 3 interdit totalement certains produits : ceux, quel que soit leur classement, contenant les substances actives les plus dangereuses.
En fait, selon l'UPJ(4), aucun de ses adhérents ne vendait de tels produits lors de la publication de l'arrêté. En p. 17, le président de cette union qualifie l'article 3 de « garde-fou » pour éviter à l'avenir toute autorisation de tels produits.
Article 4, d'autres produits interdits dans les lieux non « fermables »
L'article 4 de l'arrêté interdit des produits supplémentaires sauf dans les lieux dont l'accès peut être « interdit au public » jusqu'à au moins « 12 heures après la fin du traitement ».
Il s'agit de tous les produits classés très toxiques (T+) ou toxiques (T) et/ou explosif (E) – en fait, il semble qu'il n'y en ait pas dans les gammes espaces verts disponibles – et, parmi les autres produits, ceux dont la classification comporte certaines phrases de risque (liste dans le tableau). Certains produits vendus aujourd'hui entrent dans cette dernière catégorie. L'arrêté restreint donc leur usage.
On reviendra plus loin sur la question des délais d'interdiction au public, dits dans l'arrêté « délais d'éviction du public ».
Les produits restants
Et les produits restants ? Ceux affectés de classements toxicologiques bénins (ex. Xi 36) sont utilisables dans les lieux ouverts au public sauf les aires de jeux pour enfants. Ceux « non classés tox » sont utilisables sans restriction.
Attention, « sans restriction » ne veut pas dire qu'on peut laisser le public réinvestir les lieux tout de suite après le traitement ! Car l'arrêté impose des règles sur ces pratiques, qui se combinent avec celles en vigueur depuis cinq ans.
Pratiques encadrées
Délais de rentrée, délais d'éviction, l'articulation
En effet depuis 5 ans, un arrêté du 12 septembre 2006 (publié le 21 septembre) interdit l'accès de toute zone dont la végétation a été traitée par pulvérisation ou poudrage avec un produit phyto professionnel (agricole ou non) pendant un « délai de rentrée » dont la durée :
– dépend du produit et est marquée sur son étiquette ; ce peut être 6, 8, 24 ou 48 heures ;
– en l'absence de mention sur l'étiquette, est de 6 heures en plein air et 8 heures en espace clos (serre par exemple).
L'article 5 de l'arrêté du 27 juin 2011 rappelle cette règle. Elle doit toujours être respectée.
Et l'articulation avec la règle des 12 heures de l'article 4 ? Comme l'a expliqué G. Chauvel du ministère de l'Agriculture lors du colloque évoqué p. 14, « il faut respecter le délai le plus long, sans suivre obligatoirement le texte le plus récent ». Par exemple :
• pour un produit classé Xn R63 ou Xn R40 et à « délai de rentrée » de 6 heures (le cas existe) ou qui n'en avait pas (produit ni pulvérisé ni poudré type granulé), il faut respecter le nouveau « délai d'éviction » en lieu public de 12 heures ; l'arrêté de 2011 change donc la règle ;
• pour un produit classé Xn R63 ou R40 et à « délai de rentrée » de 48 heures (le cas existe), il faut respecter ce délai de 48 heures ; l'arrêté de 2011 ne change rien en pratique.
Information avant traitement : le temps, le lieu, le contenu
Par ailleurs, c'est nouveau, l'article 6 impose un devoir d'information pour tous les produits phytos dans tous les lieux visés par l'arrêté, des hippodromes aux hôpitaux, etc.
Avant le traitement, il faut baliser les lieux à traiter et poser un affichage « signalant au public l'interdiction d'accès à ces zones ».
Concernant le temps, l'affichage doit être posé « au moins 24 heures avant l'application du produit ». Il faut donc que quelqu'un passe spécialement pour le faire ; pour le balisage ce n'est pas précisé donc on peut attendre le jour du traitement.
L'affichage doit être placé « à l'entrée des lieux où se situent les zones à traiter », par exemple à la grille d'entrée du jardin, ou bien « à proximité de ces zones ». Voilà pour les lieux.
Le contenu enfin : il faut préciser la date prévue du traitement, le nom du produit utilisé et la durée d'éviction du public. Rien n'empêche d'ajouter d'autres informations sur le but du traitement et les caractéristiques du produit, mais rien n'y oblige : l'arrêté n'en parle pas.
Pendant et après le traitement
Ensuite, durant le traitement, il faut interdire au public l'accès des zones traitées ; il sera réservé aux personnes réalisant le traitement.
Puis il faut laisser l'affichage et le balisage jusqu'à « l'expiration du délai d'éviction du public », qui varie selon les produits, on l'a vu.
Retour sur les limites
Lutte obligatoire, exigences levées pour les produits
Pour être complètes, ces pages se doivent d'évoquer deux limites de l'arrêté.
D'abord, c'est dans l'article 7, les restrictions sur le choix des produits ne s'appliquent pas aux traitements de lutte obligatoire « prévus en application de l'arrêté du 31 juillet 2000 ».
Ils visent des organismes nuisibles contre lesquels la lutte est obligatoire en permanence sur tout le territoire ou bien peut être déclarée obligatoire sur un secteur et pour une période précisés (arrêté préfectoral, etc.). Les listes des organismes concernés (annexe de l'arrêté de 2000) sont régulièrement remises à jour.
Dans ces cas-là, on peut par exemple traiter dans les lieux « à personnes vulnérables » même avec des produits classés au plan toxicologique. Il s'agit de pouvoir combattre l'organisme si aucun produit de traitement professionnel en zones non agricoles non classé n'est efficace contre lui.
Mais gardées pour les pratiques
Attention, l'article 7 lève les restrictions sur le choix des produits mais pas les règles d'exigence de bonnes pratiques autour du traitement ! Ainsi, il faut toujours réaliser l'affichage informatif au moins 24 heures avant le traitement, baliser la zone, l'interdire au public pendant le traitement et toute la durée du délai d'éviction (délai de rentrée du produit selon l'arrêté de 2006 ou les 12 heures de l'arrêté de 2011 selon le cas), et n'enlever le balisage et l'affichage qu'une fois ce délai d'éviction expiré.
Les phytos, rien que les phytos…
Autre limite de l'arrêté du 27 juin 2011, il ne s'applique qu'aux traitements à l'aide de produits phytos. D'une part il ne touche pas la lutte biologique : lâchers d'insectes auxiliaires, préparations à base de nématodes entomopathogènes, etc. Cela favorise ces techniques, ce qui est cohérent avec les objectifs d'écophyto. Mais d'autre part, et là c'est moins cohérent, il ne réglemente pas non plus les traitements à l'aide d'autres pesticides que les phytos.
Certes, il ne pouvait guère faire autrement. D'abord, c'est un arrêté du ministre chargé de l'Agriculture qui ne peut réglementer que les produits phytos et vétérinaires. Ensuite il est inclus dans le plan écophyto 2018 qui, son nom l'indique, vise spécifiquement les produits phytos donc pas les biocides réglementés via le ministère chargé de l'Environnement (outils d'hygiène publique pour la désinfection, la dératisation et la désinsectisation) ni les autres pesticides. Il s'inscrit dans l'application du « paquet pesticides » européen(5) qui concerne en fait… les produits phytos.
Au moins cet arrêté, avec sa gestion différenciée des produits en fonction de leur toxicité et le « sauvetage » de ceux non classés au plan toxicologique, aura évité un effet pervers qui guette Ecophyto. Celui de décourager également tous les produits phytos quels qu'ils soient (toxiques ou doux, chimiques ou naturels, pesticides ou non pesticides), et de risquer de favoriser des produits sans AMM à composition opaque, toxicité mal connue et sécurisation douteuse.
Effet pervers si l'on pense que l'objectif d'écophyto de diminuer l'usage des produits phytos vient d'une volonté de diminuer les risques découlant de la toxicité de certains pesticides chimiques.
<p>* Phytoma.</p> <p>(1) Décret et arrêtés produits phytos amateurs, une suite logique, <i>Phytoma</i> n° 641, février 2011, p. 5. Arrêté lieux publics, Phytoma n° 646, août-sept. 2011, p. 6.</p> <p>(2) Les lieux listés au point II de l'annexe de l'arrêté et qualifiés ici de « à personnes vulnérables » sont les :</p> <p>– « centres hospitaliers et hôpitaux mentionnés aux articles R. 6141-14 à R. 6141-36 du code de la santé publique ;</p> <p>– établissements de santé privés mentionnés aux articles R. 6161-1 à R. 6161-37 du même code ;</p> <p>– maisons de santé mentionnées aux articles D. 6124-401 à D. 6124-477 de ce code ;</p> <p>– maisons de réadaptation fonctionnelle ;</p> <p>– établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées ;</p> <p>– établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave. »</p> <p>(3) En septembre 2002, nous n'aurions pas pu écrire cela : les produits autorisés avant 1980 avaient été évalués moins strictement que les nouveaux. Leur exemption de classement toxicologique garantissait l'absence de toxicité aiguë mais pas de toute toxicité chronique. L'évaluation des anciennes substances actives (<i>« anciennes »</i> = déjà présentes dans l'Union européenne en juillet 1993) exigée par la directive européenne 91/414 était en cours… Mais seules 35 substances avaient fini d'être évaluées sur plus de 900 identifiées ! (v. <i>« La saga des substances… »</i> dans <i>Phytoma</i> n°616, juin 2008, p. 4). Fin octobre 2011, toutes les anciennes substances présentes sur le marché français (sauf l'acétochlore, pas utilisée en ZNA) ont été évaluées selon les critères de la directive 91/414 – de même les substances apparues depuis 1993. Les produits les contenant sont évalués selon ces critères. L'exemption de classement vaut à court et à long termes.</p> <p>(4) Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics.</p> <p>(5) Précisément la directive 2009/128/CE dite « Utilisation durable », un des compartiments du paquet.</p>