L'arrêt du glyphosate pour une majorité des usages est prévu pour le 1er janvier 2021. Les restrictions à venir soulèvent de nombreuses interrogations dans les différentes filières agricoles et non agricoles, d'autant plus que certaines situations n'ont pas d'alternatives pour le moment.
Pour mieux connaître l'utilisation actuelle en grandes cultures (usages, fréquences, doses, contexte, etc.) et les alternatives identifiées, les instituts techniques (Acta, Arvalis, Fnams, ITB et Terres Inovia) ont proposé une enquête aux agriculteurs, aussi bien utilisateurs que non utilisateurs de glyphosate, de mi-juillet à mi-septembre 2019. L'enquête a recueilli près de 10 200 réponses. Les répondants possèdent une exploitation d'une surface moyenne de 176 ha, principalement cultivée en grandes cultures céréalières et conduites avec un travail du sol majoritairement de type labour (68 %).
æ94,8 % (sur 6 923 répondants) utilisent du glyphosate, ponctuellement ou régulièrement, sur tout ou partie de l'exploitation. « Nous sommes donc loin de l'hypothèse généralement avancée d'une utilisation de glyphosate exclusivement en non-labour », commentent les instituts. 5,2 % n'en utilisent plus ou n'en ont jamais utilisé. Six usages ressortent comme prépondérants (au-delà de 30 % d'utilisateurs). Ainsi, à la destruction des plantes invasives ou toxiques pendant l'interculture, et la destruction du couvert végétal temporaire durant l'interculture ou avant semis, s'ajoutent quatre usages majeurs (> 50 % d'utilisateurs) :
- la lutte contre les espèces vivaces ;
- la destruction de repousses ou annuelles en interculture courte d'été ;
- la destruction de repousses ou annuelles en interculture longue ;
- l'entretien des abords des bâtiments d'exploitation.
« Ces usages, surtout d'interculture, sont pleinement justifiés car efficaces et peu chers. »
Les répondants en système labouré sont plutôt des utilisateurs ponctuels de glyphosate (une année sur trois), sur des surfaces limitées (moins de la moitié de l'exploitation), à des doses d'environ 3 l/ha, variables selon les usages : jusqu'à 5 l/ha sur vivaces. À l'inverse, les répondants en non-labour sont des utilisateurs plus fréquents de glyphosate (tous les ans), sur des surfaces importantes (toute la SAU traitée) mais à doses plus faibles : environ 1 l/ha, voire moins en interculture d'été.
En production de semences, les agriculteurs multiplicateurs utilisent le glyphosate dans des conditions similaires, avec toutefois des situations d'usages plus larges (contraintes de pureté des lots).
æLes trois quarts des répondants ne savent pas encore comment ils vont gérer le contrôle des adventices sans glyphosate. Les méthodes de gestion des adventices des agriculteurs non-utilisateurs de glyphosate passent notamment par un allongement des rotations et un changement de travail du sol (labour, scalpage, faux-semis, couvert d'interculture, etc.). Pour les utilisateurs de glyphosate, les leviers alternatifs identifiés sont les mêmes. 76 % (sur 1 428 répondants) déclarent qu'ils devront modifier leurs programmes herbicides.
Le recours accru au travail du sol aura des conséquences sur les besoins matériels, et donc sur les charges liées aux investissements : les deux tiers des répondants (sur 6 150 réponses) estiment qu'ils devront se rééquiper y compris ceux qui pratiquent le labour. Les besoins s'expriment en termes de largeur et de puissance de travail, ou de type de matériel (charrue, déchaumeur scalpeur, rouleau Faca, etc.). Ce travail du sol modifiera également l'organisation des exploitations et les charges de fonctionnement et de main-d'oeuvre associées.
æLes réponses libres de l'enquête mettent en évidence des contraintes/incertitudes sur la viabilité d'exploitation ou de certains systèmes de culture comme l'agriculture de conservation : vertueux sur de nombreux sujets (sols, érosion, etc.), ces systèmes dépendent étroitement de l'utilisation du glyphosate. « Ces systèmes sans glyphosate devront réintensifier leur travail du sol, avec des conséquences importantes d'ordre économique (investissements), agronomique (érosion, matière organique, etc.), environnemental (consommation de carburant, bilan carbone, etc.) et organisationnel (capacité à travailler toute la surface, main-d'oeuvre, jours disponibles). » D'autres conséquences techniques de l'arrêt du glyphosate sont mentionnées : probables recrudescences d'adventices vivaces et d'annuelles, voire des risques sanitaires accrus (ergot, adventices allergisantes ou toxiques...). De même, de nombreux répondants expriment une inquiétude vis-à-vis des distorsions de concurrence, face à leurs voisins européens encore utilisateurs.
æRappelons que le glyphosate, en application de la loi Labbé, est interdit dans les espaces verts ouverts au public depuis 2017, et pour les particuliers depuis 2019. En décembre 2017, la Commission européenne a renouvelé son approbation pour cinq ans. Les travaux de réévaluation du glyphosate (pour fin 2022) ont démarré. Conformément au règlement d'approbation, l'Anses a restreint, dans toutes les autorisations de mise sur le marché (AMM), les usages en prérécolte au traitement en taches, et a retiré l'ensemble des usages herbicides généraux sur culture installée, avant récolte. Dans le cadre des demandes de renouvellement d'AMM déposées avant le 31 mars 2019, l'Anses a procédé au retrait de 36 AMM fin2019 en raison de l'insuffisance ou de l'absence de données scientifiques permettant d'écarter le risque génotoxique des produits. Les demandes de renouvellement restantes (33 dont 25 pour des usages autorisés en France), auxquelles s'ajoutent six nouvelles demandes d'autorisation, seront évaluées d'ici la fin de l'année 2020, en tenant compte de l'existence de méthodes non chimiques de prévention et de lutte, et d'alternatives chimiques plus sûres pour la santé et l'environnement ; ces méthodes ne doivent pas présenter d'inconvénient technique ou économique majeur. Leur recensement est achevé pour la viticulture, l'arboriculture et pour les grandes cultures. Les rapports (celui sur les grandes cultures paraîtra prochainement) précisent les situations problématiques et d'impasse, ainsi que les surcoûts associés au remplacement du glyphosate. Une mission du conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) apportera un appui similaire sur les usages non agricoles et non forestiers.
æEn août 2019, l'Anses a lancé un appel d'offres pour la réalisation d'études complémentaires de toxicologie sur la cancérogénicité potentielle du glyphosate. Les équipes sélectionnées sont un consortium coordonné par l'Institut Pasteur de Lille et le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Les résultats viendront compléter le dossier de réexamen de l'autorisation du glyphosate en 2022.
POUR EN SAVOIR PLUS
Résultats complets de l'enquête : https://tinyurl.com/yd9x52t6
Centre de ressources : https://ecophytopic.fr/centre-de-ressources-glyphosate
Alternatives au glyphosate, rapport Inrae novembre 2017 : https://www.inrae.fr/actualites/usages-alternatives-au-glyphosate-lagriculture-francaise
Alternatives en viticulture, rapport Inrae juillet 2019 : https://www.inrae.fr/actualites/alternatives-au-glyphosate-viticulture-evaluation-economique
Alternatives en arboriculture, rapport Inrae décembre 2019 : https://www.inrae.fr/actualites/alternatives-au-glyphosate-arboriculture-evaluation-economique-pratiques-desherbage
Phytoma n° 729, Dossier Adventices : « Glyphosate : chronique d'une molécule herbicide », p. 18-19 et « Efficacité des alternatives au glyphosate en cultures assolées », p. 20-25.
Livre sur la controverse : http://www.glyphosate-impossible-debat.com/
GLOSSAIRE
AMM = autorisation de mise sur le marché
De biocontrôle L. 253-5 = figurant sur la liste des produits de biocontrôle « établie au titre des articles L. 253-5 et L. 253-7, IV du code rural (...) »
JORF = Journal officiel de la République française
JOUE = Journal officiel de l'Union européenne
MAA = ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation
Phyto = phytopharmaceutique (qualifie un produit, une substance, un pesticide, un marché...)