PAS DE PIC NI DE SOMMET, rien ne laisse penser qu'Utiel-Requena est un vignoble d'altitude. Pourtant, il s'épanouit entre 750 et 900 mètres au-dessus de la mer. Sous ce climat sec, seuls poussent la vigne et l'olivier. 40 % des vignes ont été restructurées.
PABLO OSSORIO, œnologue célèbre en Espagne pour son sens de la communication, dirige la cave Murviedro du groupe suisse Schenk. Avec deux compères, il s'est lancé dans Hispano-Suizas, dont on aperçoit au loin la cave en cours de construction. PHOTOS M. HULOT
VICENTE GARCIA MARTINEZ (en haut), propriétaire de Pago de Tharsys sert son Tharsys Unico, un blanc de noir 100 % bobal, vendu 24 euros au caveau. Il estime que ce cépage traditionnel est aussi intéressant que le pinot noir pour les effervescents.
Un mat in d'avril 2009, une trentaine d'importateurs d'Allemagne, des Etats-Unis, des Pays-Bas et de Chine prend place dans un bus devant un hôtel chic de Valence, sur la côte est de l'Espagne. Ils sont invités à découvrir la dénomination d'origine (DO) Utiel-Requena, une des appellations du Levant, région côtière qui démarre en Catalogne pour finir en Andalousie.
Ces voyages de professionnels sont tout récents. Utiel-Requena cherche à se faire connaître comme une région dynamique. Le vignoble veut faire oublier sa réputation de fournisseur de vrac et de moûts sulfités qu'il traîne depuis toujours.
Utiel et Requena sont deux petites villes très fières de leur passé viticole qui remonte à plus de deux mille ans. Mais la dénomination d'origine est bien plus récente. Elle apparaît pour la première fois dans la « Gaceta de Madrid » (bulletin officiel de l'Etat espagnol) le 26 mai 1933. Puis, elle est reconnue DO en 1970. Aujourd'hui, c'est, avec 41 000 ha, le vignoble de Valence le plus homogène et le plus étendu.
Sécheresses et hivers rigoureux
Le vignoble se trouve à 80 km à l'ouest de la ville portuaire de Valence, entre 750 et 900 mètres au-dessus de la mer. A cette altitude, le climat est continental et très sec, avec une influence méditerranéenne. Seuls poussent les oliviers et la vigne.
Le paysage ondule. Les collines de terre rouge et argileuse piquées de gobelets se succèdent. Ces pieds de vignes recroquevillés par l'âge sont du bobal, cépage autochtone daté du XVIe siècle ! C'est le troisième cépage planté en Espagne avec 90 000 ha (soit 8 % du vignoble ibérique), derrière l'airén (305 000 ha, soit 27 %) et le tempranillo (190 000 ha, 17 %). Le bobal domine ici. Les vignerons l'ont choisi pour sa résistance au froid. Car les hivers sont rigoureux et les étés chauds, avec des nuits froides, gage de maturation lente. Le bobal donne des vins rouges structurés de garde, avec une belle acidité. On le vinifie aussi en rosé.
Beaucoup de petits vignerons ne possèdent que quelques ares, résultat de la division des propriétés de génération en génération. Pour vinifier, ils se sont regroupés en coopératives. Comme ils sont nombreux, elles détiennent 80 % du vignoble. La mise en bouteille est récente. Une poignée de caves dynamiques montrent le chemin. Le groupe suisse Schenk, par exemple, est venu s'installer dès les années trente. Son concept est clair : être à la pointe de la technologie tout en s'appuyant sur des cépages traditionnels. En 1997, Schenk a construit à Utiel-Requena une cave expérimentale qui produit 17 millions de bouteilles par an (pour un chiffre d'affaires de 18 M€), moitié blancs, moitié rouges.
Pablo Ossorio, œnologue de 37 ans, dirige les vinifications. Formé à l'école de viticulture de Requena, il utilise les techniques les plus récentes : filtre tangentiel, microbullage, etc. Mais Schenk peut aussi compter sur lui pour vendre. L'homme a été élu « Winemaker de l'année » par l'association des œnologues de Valence. Et il s'avère un communicateur hors pair. Il a réussi à présenter ses vins à la Semaine de la mode à Valence et lors de la sortie d'un DVD avec Lorenzo Lamas, acteur américain célébrissime en Espagne. Toutes les occasions sont bonnes pour faire de ses vins des vedettes.
Sa passion débordante l'a aussi amené à créer Hispano-Suizas avec deux associés. C'est une bodega de 55 hectares destinée à élaborer des vins hauts de gamme comme Impromptu, un sauvignon blanc fermenté en barrique, Bassus, un pinot noir au beau boisé, ou encore Bassus premium, un assemblage de bobal, cabernet-franc, cabernet-sauvignon, merlot et petit verdot qu'on retrouve autour de 22 euros chez le caviste parisien Lavinia.
La bataille du cava a été gagnée
Autre originalité d'Utiel-Requena, le cava. Beaucoup pensent que cet effervescent est l'apanage de la Catalogne. Il n'en est rien. Vicente Garcia, propriétaire de Pago de Tharsys, a été le premier à en produire. Il a réhabilité la maison familiale en 2001, après avoir quitté son poste de professeur en œnologie et en microbiologie en Catalogne, dans le Penedès. « Les Catalans voulaient nous interdire de faire du cava, mais la municipalité de Requena a gagné au tribunal constitutionnel ! » raconte-t-il, très fier.
Le cava est un peu l'équivalent de nos crémants, élaboré selon la méthode traditionnelle. Ces vins sont issus de cent soixante communes réparties dans sept régions autonomes dont la Catalogne (pour 95 %) et la communauté de Valence (sur l'appellation Requena).
Vicente Garcia produit 300 000 bouteilles de cava, dont 15 000 de rosé. Il produit aussi 10 000 à 15 000 bouteilles de Tharsys Unico, un 100 % bobal, vin mousseux d'appellation qui n'a pas droit à la dénomination cava. A ses yeux, ce cépage offre les mêmes possibilités que le pinot noir pour l'élaboration d'effervescents. C'est dire s'il le porte en haute estime !
« 2005 a été une année extraordinaire pour nous, poursuit Vicente Garcia. D'abord, la météo a été très favorable pour ce millésime. Mais nous avons surtout été aidés par des événements sociopolitiques. Les Catalans ayant eu la dent dure vis-à-vis de l'Espagne, les consommateurs du reste du pays ont boycotté leurs cavas et se sont rués sur les nôtres ! Nous sommes passés de 50 000 à 300 000 bouteilles d'un coup. Nous avons dû puiser dans nos réserves. Mais tout cela s'est calmé, car les consommateurs cherchent désormais du prix. Et le prix, Freixenet sait en faire. »
Pago de Tharsys ne peut pas rivaliser face à Freixenet, numéro un mondial des effervescents et neuvième groupe viticole de la planète, dont l'état d'esprit se rapproche de la Champagne, en terme de qualité. « Mais nous n'avons pas leur nom magique ! » Le domaine doit compter sur ses propres forces pour vendre.