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Champagne : le chaos au sein du syndicat

Aude Lutun et Bertrand Collard - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 8

Le Syndicat général des vignerons de Champagne vit la période la plus agitée de son histoire. Il a révoqué son président le 30 novembre pour en élire un nouveau qui a démissionné quelques jours plus tard.
CLIMAT TENDU. Le 22 décembre, plus de 1 000 vignerons ont assisté à l'assemblée générale extraordinaire du Syndicat général des vignerons (SGV) de Champagne. Objectif : faire la lumière sur la révocation du président Patrick Le Brun le 30 novembre. La salle, énervée par la situation, a obtenu la démission de tout le conseil d'administration. © MATOT BRAINE

CLIMAT TENDU. Le 22 décembre, plus de 1 000 vignerons ont assisté à l'assemblée générale extraordinaire du Syndicat général des vignerons (SGV) de Champagne. Objectif : faire la lumière sur la révocation du président Patrick Le Brun le 30 novembre. La salle, énervée par la situation, a obtenu la démission de tout le conseil d'administration. © MATOT BRAINE

Elu président le 8 décembre, Jean-Mary Tarlant a démissionné le 22 décembre. Il ne se représentera pas au poste d'administrateur. © L'EST ECLAIR

Elu président le 8 décembre, Jean-Mary Tarlant a démissionné le 22 décembre. Il ne se représentera pas au poste d'administrateur. © L'EST ECLAIR

Souvent présenté comme un modèle, le Syndicat général des vignerons de Champagne vit une période d'agitation sans précédent. Querelles, intimidations, campagne de presse et règlements de compte : tous les ingrédients d'une crise sulfureuse et obscure sont là.

Cette crise a abouti à la révocation du président, Patrick Le Brun, le 30 novembre, par 33 voix sur 41 votants. Comment le Syndicat général des vignerons (SGV) en est-il arrivé là ? Le 21 juillet 2009, Patrick Le Brun est réélu avec une voix d'avance seulement. « Après la campagne de dénigrement que j'ai subie en mai-juin, gagner d'une voix sans passer un coup de téléphone, c'était plutôt bien », estime Patrick Le Brun. Mais ses opposants y voient le début d'un profond désaveu.

Le 2 septembre a lieu le comité exécutif du Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC) au cours duquel se décide le rendement autorisé pour 2009. Les négociations à ce sujet sont tendues entre les deux familles depuis quelques mois, le négoce souhaitant une baisse drastique du rendement que la production refuse.

Ce comité décisif a été précédé de plusieurs rencontres au mois d'août. « Excepté un administrateur, les membres du bureau ont appris le résultat des négociations du mois d'août au dernier moment », relate Jean-Mary Tarlant, président par intérim du SGV. Souci de confidentialité de Patrick Le Brun d'un côté, sentiment d'un manque de confiance ressenti par les administrateurs de l'autre, la rupture s'était installée.

Rôle de la presse locale

C'est à ce moment qu'une vieille affaire resurgit. Le 20 septembre, le quotidien « L'Union » annonce que Rolland Chaillon, l'ancien directeur du SGV, licencié sous la présidence de Patrick Le Brun en 2005, vient d'être mis en examen. Le syndicat avait en effet déposé plainte contre lui pour le vol d'une statue. Mais depuis le temps, tout le monde avait un peu oublié l'affaire. Sauf la justice.

Un mois plus tard, le même quotidien annonce que « plusieurs administrateurs tentent d'amener le SGV à retirer sa plainte contre Rolland Chaillon ». Les détracteurs de Patrick Le Brun y voient l'une de ses manœuvres. « Il a senti qu'il était en minorité, confie un administrateur. Alors, il a utilisé la presse pour faire croire que nous voulions retirer la plainte. Mais il n'en a pas été question. »

Au fil des semaines, la crise prend de l'ampleur et les articles de « L'Union » se multiplient. Le 20 novembre, trois membres du bureau rencontrent Patrick Le Brun et lui demandent de démissionner. Refus de l'intéressé. Dix jours plus tard, avec une majorité écrasante (75 % des votes), le conseil d'administration le révoque « parce qu'il veut tout faire tout seul, justifie un administrateur. Pourquoi a-t-il attendu le 6 novembre pour mandater le recrutement d'un nouveau directeur alors que l'ancien a donné sa démission fin juin ? Pour avoir les coudées encore plus franches ! »

Pierre Larmandier, viticulteur à Vertus et administrateur proche de Patrick Le Brun, avoue « ne pas avoir dormi de la nuit après le vote de révocation. Avec cette affaire, les gens en arrivent à ne plus se parler et à se traiter de tous les noms. C'est très grave. Patrick Le Brun a certes un caractère autoritaire, mais quand on est président, il faut bien prendre des décisions. Il y a autre chose derrière… » Pierre Larmandier estime que Patrick Le Brun paye pour le licenciement de l'ancien directeur du syndicat.

Agacement des vignerons

Le 8 décembre, les administrateurs élisent un nouveau président, Jean-Mary Tarlant, vigneron à Œuilly, dans la Marne. Pas pour longtemps. Une semaine plus tard, une centaine de vignerons envahit le conseil d'administration et demande la démission du conseil. Seuls huit d'entre eux s'exécutent, principalement des proches de Patrick Le Brun. Ils obtiennent aussi la tenue d'une assemblée générale extraordinaire pour expliquer le vote de révocation. Plus de mille vignerons y assistent le 22 décembre dans une ambiance électrique. La salle est plutôt acquise à Patrick Le Brun. Mais deux thèses s'affrontent. Certains voient en lui un bon président victime d'un complot visant à l'empêcher de « faire le ménage ». Pour les autres, l'ex-président est un manipulateur usant de la menace.

« On lui reproche un manque de participation à ses délégations et un manque de transparence sur ses indemnités, explique Henri Quénardel, un membre du bureau, à l'assistance. Mais il a bien du mal à se faire entendre. « Patrick, es-tu l'informateur de “L'Union”? interroge publiquement Gilles Blin, administrateur. La plainte au pénal est toujours en cours et on ne veut pas la retirer ! »

La confusion règne. La salle demande la démission de tous les administrateurs. Ces derniers s'inclinent et fixent la date de l'élection des nouveaux administrateurs au 15 janvier. Jean-Mary Tarlant remet lui aussi sa démission ajoutant qu'il ne sera plus candidat à des responsabilités.

Début janvier, 91 candidats s'étaient présentés pour les 46 postes d'administrateurs du syndicat. Reste à savoir quel président ils choisiront. « La page Le Brun est tournée, celle de Jean-Mary Tarlant également », espère l'administrateur François Pierson. Réponse fin janvier.

Elections, mode d'emploi

Les 19 000 adhérents au Syndicat général des vignerons (SGV) de Champagne sont regroupés au sein de 243 sections locales. Chaque section élit son président et un bureau, et désigne ses délégués pour l'élection des 46 administrateurs du syndicat. Au total, il y a 697 délégués, un pour 50 ha. N'importe quel vigneron peut se présenter au poste d'administrateur, même s'il n'a pas de responsabilité au sein de sa section locale. Une fois élu, le conseil d'administration vote pour nommer un président, puis un bureau composé de dix administrateurs. Ces derniers sont élus pour un mandat de quatre ans, le bureau et le président pour deux ans. A l'heure où nous mettions sous presse, nous ne connaissions pas le résultat du vote prévu pour le 15 janvier.

Le Point de vue de

RÉÉLU LE 21 JUILLET 2009, IL A ÉTÉ RÉVOQUÉ LE 30 NOVEMBRE

« J'ai été élu pour appliquer une transparence »

Patrick Le Brun, ex-président du SGV

Patrick Le Brun, ex-président du SGV

Comment en est-on arrivé là ?

Le fond de l'affaire, c'est mon élection en 2004, où j'ai été élu président pour appliquer une transparence. J'étais le seul à pouvoir le faire, n'ayant pas de « casseroles », pas de plan de carrière et pas de renvoi d'ascenseur à faire. J'étais le seul à pouvoir tenir tête au directeur de l'époque, Rolland Chaillon. Le licenciement de celui-ci et la plainte déposée au pénal contre lui en 2005 sont à l'origine de la mise en place d'une opposition discrète et perverse qui a conduit à la déstabilisation d'une partie du conseil. Certains administrateurs souhaitent retirer la plainte que le syndicat a déposée contre l'ancien directeur.

Vos opposants affirment que c'est votre mode de gouvernance très solitaire qui les a poussés à voter votre révocation…

On me reproche d'avoir préparé le comité exécutif du 2 septembre, qui décidait du niveau de rendement 2009, avec seulement un vice-président. Mais comment peut-on réussir une telle négociation s'il y a plus de deux personnes autour de la table ? Je pense surtout que les décisions de la vendange 2009 n'ont pas servi les intérêts personnels de certains administrateurs. Mais je rappelle que toutes les décisions ont été validées par le bureau et le conseil.

Vous considérez que votre révocation n'est pas démocratique. Mais un conseil d'administration a le droit de démettre son président…

Non. Dans le cas présent, ce n'est pas valable. Il aurait fallu que le conseil d'administration convoque une assemblée générale extraordinaire qui vote et destitue le président. Si 1 500 vignerons présents en AG me destituent, alors je m'inclinerai.

Certains disent que les négociants seraient heureux que vous reveniez au pouvoir…

Cela me surprend, car je suis indépendant et les négociants n'ont aucune prise sur moi. Je pense, en revanche, que les milieux financiers seraient rassurés, car ils savent que je tiens à l'interprofession, garante de notre réussite à tous.

On vous prête l'intention de vous représenter…

Si je suis élu administrateur, j'envisagerai de me présenter à la présidence si au minimum 60 % du conseil est renouvelé. Sinon, je considère que le SGV est impossible à diriger.

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REPÈRE

Le premier syndicat de France

Le syndicat des vignerons (SGV) de Champagne est le plus important de France avec 19 000 adhérents, dont plus de la moitié est double actifs. Le vignoble champenois ne couvre en effet que 32 000 ha, situés principalement dans la Marne, puis dans l'Aube et l'Aisne. Créé en 1904, le SGV bénéficie d'un taux d'adhésion très important, supérieur à 95 %.

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