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DOSSIER - PRODUCTEURS-NÉGOCIANTS : La tension monte - Enquête dans les régions

CHAMPAGNE Le dialogue reste de mise

Aude Lutun - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 28

Les deux familles se concertent régulièrement au sein de l'interprofession. Mais la crise révèle que les financiers ont plus de pouvoir que les responsables des achats de vendange chez les négociants.

Pour une f range de vignerons, il y aura un avant et un après juillet 2009 dans les relations avec le négoce.

Rappel des faits : début juillet 2009, le groupe LVMH décide de geler toutes les signatures de contrats (pour quatre ans) qui n'étaient pas encore finalisées. Il veut peser de tout son poids sur les négociations interprofessionnelles visant à fixer le rendement 2009. Le groupe leader en Champagne annonce qu'il signera les accords uniquement si le rendement est de 8 000 kg/ha (contre 13 600 kg/ha en 2008). Douche froide pour le vignoble.

Même si les vignerons ne sont pas trop inquiets de trouver d'autres acheteurs pour leurs raisins, cette forme de chantage officiel, inédite, sème le trouble. Ou ouvre les yeux sur la validité du mot « partenaire ». La communication du groupe à ce sujet irrite le vignoble qui s'entend dire : « Bernard Arnault (PDG de LVMH) veut passer un message à la Champagne. »

Réponse d'un vigneron : « Nous, nous sommes entrés dans une période de crise et les rendements vont devoir baisser. Nous le savions même visiblement avant LVMH, qui a réclamé à cor et à cri 1 200 kg/ha supplémentaires en août 2008, alors que nous, les producteurs, n'y étions pas favorables. Depuis l'été 2008, j'ai perdu confiance dans le négoce, qui s'éloigne de l'esprit interprofessionnel et ne voit que ses bilans. »

Comme prévu, la négociation pour le rendement 2009 a été âpre. Résultat : 9 700 kg/ha, dont 1 700 kg/ha tirables en octobre-novembre 2010, et payables à cette échéance pour les vendeurs de raisins.

Un accord, deux points divergents

La lecture de cet accord diffère selon les vignerons. Certains trouvent qu'il traduit un effort partagé entre les deux familles. Pour d'autres, le rendement réel de la vendange 2009 est de 8 000 kg/ha. Ils pressentent que les 1 700 kg/ha supplémentaires impacteront le rendement de la vendange 2010. Pour eux, LVMH a gagné en obtenant ses 8 000 kg/ha, qui plus est avec un premier paiement des raisins le 5 janvier 2010 – pour soigner le bilan de ce groupe qui clôture au 31 décembre – et non au 5 décembre comme c'est le cas habituellement.

Les négociants admettent que ces 1 700 kg/ha influenceront probablement la négociation pour 2010. Dans une interview publiée fin octobre chez nos confrères de Matot Braine (une revue économique régionale), Fabrice Rosset, PDG de Deutz, reconnaît que « les 1 700 kg/ha, libérés pour le négoce en novembre 2010, vont nécessairement impacter la vendange à venir. Tenir compte de tous les éléments de la situation actuelle, c'est donc ne pas écarter un rendement plus bas en 2010. » Pourtant, officiellement, les deux familles se seraient mises d'accord sur un tunnel de trois années autour de 10 000 kg/ha.

Qui croire ? C'est certainement cela aussi, la nouvelle donne champenoise : la difficulté d'accéder aux informations réelles. « Nous sommes passés d'un mode de fonctionnement rural, avec le sens de la parole donnée, à un monde financier où les dirigeants des grandes maisons ont l'œil rivé sur le cours de la Bourse, commente un coopérateur. Avoir de grandes marques qui communiquent dans le monde, c'était intéressant pour toute la Champagne. Maintenant, on a le revers de la médaille avec une financiarisation à outrance, où tous les coups semblent permis ».

Même si les relations se tendent, les vignerons ont conscience d'avoir une interprofession qui fonctionne globalement bien. Des comités exécutifs, réunissant représentants du vignoble et du négoce, se déroulent au minimum quatre fois par an. A ces réunions s'ajoutent celles où l'on fixe le rendement annuel.

« Nous parvenons toujours à un consensus, même imparfait »

« Ici, les gens se parlent, résume Henry Beaufort, président des Vignerons indépendants de la Champagne. Nous parvenons toujours à un consensus, même imparfait. Le vignoble et la coopération ne représentant que 30 % des ventes en bouteilles, le négoce a plus de pouvoir. Mais on partage la valeur ajoutée, contrairement à la majorité des régions viticoles de France. »

Régis Camus, directeur vignes et vins chez Piper-Heidsieck et Charles Heidscieck (groupe Remy Cointreau), confirme que « vigneron et négoce sont faits pour s'entendre. Les vignerons ont les vignes, et nous exportons. Il est vrai qu'en période de crise, les équilibres bougent… J'ai, avec les vignerons, des relations saines, transparentes, voire amicales dans certains cas. On peut me contacter en direct très facilement. Je vois tous mes livreurs plusieurs fois par an ».

L'un des meilleurs symboles de l'existence d'une communication entre les deux familles est la coprésidence du comité interprofessionnel par les présidents du négoce et du vignoble, à la différence des autres régions où l'alternance prévaut. Le vignoble reste très attaché à ce fonctionnement. Il espère secrètement qu'il en sera toujours de même si la rumeur d'une vente d'une grande partie de l'activité Champagne de LVMH au groupe anglais Diageo se confirme.

« Déjà que les Anglais plantent à tout va pour produire leur effervescent… », soupire un vigneron.

Le Point de vue de

Christian Jojot, président de la coopérative des Riceys et de l'Union Auboise, 1500 ha dont 600 sous contrat

« Les vignerons vont être plus méfiants »

 © H. ROGER

© H. ROGER

« Au total, l'Union Auboise couvre 1500 ha exploités par 900 adhérents. Les douze coopératives qui adhèrent à l'Union regroupent leurs contrats avec le négoce au sein de l'Union, qui signe ainsi 600 ha avec différentes maisons. Les coopératives ou l'Union Auboise commercialisent directement le reste de notre production. Le regroupement des contrats nous permet de travailler avec les plus grandes marques. Nous souhaitons vendre nos raisins à des groupes solides financièrement, qui tirent le marché vers le haut et qui sont porteurs d'image. Nous ne signons pas de contrats avec les marques qui bradent le champagne. Nous respectons toujours la durée des accords interprofessionnels et nous n'allons jamais au-delà. Pour diviser les risques, nous travaillons avec de nombreuses maisons, LVMH étant, comme pour beaucoup en Champagne, notre premier acheteur.

Ce qui s'est passé cet été avec le groupe LVMH va laisser des traces. Les vignerons vont être plus méfiants. Le différé du premier paiement de raisin du 5 décembre au 5 janvier, pour satisfaire la demande du négoce, montre que nous avons changé d'ère. Cela va nous motiver à mettre un coup d'accélérateur pour développer nos marques et être plus indépendants. Les relations avec le négoce sont plus tendues, mais nous continuons à avoir des contacts réguliers dans un esprit constructif.

Chaque famille a besoin de l'autre. Il faut que cela s'apaise… »

70 %

Le poids du négoce 70 %

Des vins de champagne sont commercialisés par le négoce

Les trois premiers acheteurs

1. Groupe LVMH (Moët & Chandon, Veuve Clicquot, Mercier, Ruinart, Krug)

2. Groupe Remy Cointreau (Piper-Heidsieck et Charles Heidsieck)

3. Groupe Pernod Ricard (Mumm, Perrier Jouët)

(évalution « La Vigne » d'après des sources professionnelles)

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :