A travers les vingt ans de leur interprofession, le négoce et la production de Bourgogne fêtent leurs noces de porcelaine. C'est le signe d'un mariage réussi, mais aussi le rappel de la fragilité des liens entre les deux familles. Et ce lien risque d'être rapidement mis à l'épreuve car il va falloir « négocier » un brusque revirement de tendance…
Jugez plutôt : en 2007, la Bourgogne réalise des records de ventes en France et à l'exportation. Deux ans plus tard, c'est le coup d'arrêt avec 23 % de baisse des exportations en volume sur les neuf premiers mois de l'année, 12 % de recul des ventes à la propriété en 2008-2009, des stocks en hausse et une campagne du vrac qui n'avait toujours pas démarré mi-décembre. De quoi jeter un froid entre les deux familles…
« Notre négoce a toujours été producteur »
Pour l'instant, les apparences sont maintenues, comme l'a montré l'ambiance plutôt détendue de l'assemblée générale de l'interprofession, le 18 décembre dernier.
Dans les faits, les deux clans ne sont pas parfaitement scindés. « Notre négoce a toujours été producteur, explique André Ségala, délégué général du BIVB. Il sait de quoi il parle quand il négocie. »
Une analyse illustrée par cette pique lancée par Louis-Fabrice Latour à l'issue de la vente des Hospices de Beaune en novembre 2009. Le président de la fédération des négociants éleveurs de Bourgogne a ainsi commenté les résultats des enchères : « Les prix atteints sont déconnectés du marché. Il faut une vraie baisse pour redémarrer les affaires. Nos clients veulent un effort sur les prix, nous demandons la même chose aux producteurs. Ces derniers peuvent le faire. Ils sont largement au-dessus des prix de revient. »
« Aujourd'hui, le négoce commercialise environ 55 % d'une récolte moyenne, poursuit André Ségala. De son côté, la production a gagné entre 10 et 15 points en trente ans. Cela signifie que les viticulteurs s'investissent de plus en plus dans la vente. » Malgré cela, les négociants assurent qu'ils sont en première ligne face à la crise. « La baisse brutale des exportations nous touche au premier chef, commente l'un d'eux. La viticulture subit aussi le retournement de tendance. Mais elle est plus investie sur le marché français qui est moins touché. »
« Ce qui m'agace, c'est le revirement total dans le discours de mon négociant », se plaint une viticultrice. Elle raconte : « J'avais un contrat annuel verbal. Comme c'est souvent le cas dans la région, le prix convenu était la moyenne publiée par l'interprofession à la fin mars. Quand mon négociant a vu les cours flamber, il m'a proposé un accord écrit sur cinq ans avec un prix lissé sur la moyenne quinquennale. Je lui ai demandé ce qu'il se passerait si le cours chutait. Il m'a répondu que le contrat était irrévocable. J'ai donc signé. »
Le contrat démarre avec le millésime 2008. A peine quelques mois plus tard, le négociant le dénonce. « Il a souhaité revenir au prix du marché pour le 2009, car le cours était redescendu, poursuit la productrice. Je n'ai pas été au tribunal… En affaires, on perd moins d'argent avec un mauvais accord amiable qu'avec un bon procès. »
Malgré sa déconvenue, notre vigneronne reste mesurée. « Je peux comprendre mon négociant. En revanche, je trouve inacceptable qu'il me fasse des offres en dessous de mon prix de revient. C'est contre toute logique économique ! »
D'une façon générale, producteurs et négociants appliquent encore souvent la tradition de l'accord oral. « Il y a des habitudes, plus que de véritables contrats », explique un producteur. Toutefois, les usages évoluent. Depuis le début des années 2000, les négociants tendent à sécuriser leur approvisionnement via l'achat de raisins. « Ils veulent maîtriser l'amont pour des raisons d'image et de qualité », complète Benoît de Charrette, président de la chambre de commerce régionale.
Inquiétude face au « dossier beaujolais »
« Aujourd'hui, près de 25 % d'une récolte s'échange en raisin. Ce type d'affaires est souvent contractualisé », constate André Ségala. Preuve que la confiance règne : le prix n'est pas arrêté au moment de la transaction. Les parties se réfèrent à la moyenne du cours interprofessionnel, fin mars. Mais l'inquiétude face à l‘avenir perce au travers du « dossier beaujolais ». Compte tenu du retournement de tendance, une partie de la production bourguignonne craint de faire les frais du différentiel de prix entre les deux vignobles.
Le Beaujolais s'est mis à planter du chardonnay. Et les crus de la région peuvent se replier en bourgogne rouge. Une étude réalisée en 2000 par le BIVB montre que ces replis, essentiellement pratiqués par le négoce, peuvent représenter le tiers de la production de bourgogne rouge. Le syndicat des bourgognes a voulu y mettre le holà. Il a obtenu des règles d'étiquetage rendant le repli plus transparent.
Pour cela, il a dû protester bien fort, allant jusqu'à faire annuler la fête prévue pour les vingt ans du BIVB. De plus, pour la première fois, la viticulture a dû organiser des primaires pour choisir son représentant à la tête du BIVB, l'un d'eux défendant une position dure vis-à-vis du Beaujolais. Faut-il y voir la preuve d'une saine démocratie dans les instances syndicales ou les prémices d'une future fracture interprofessionnelle ? L'avenir le dira…
Le Point de vue de
Frédéric Marey, viticulteur à Meuilley (Côte-d'Or) en partenariat avec la maison Boisset
« Ma rémunération est calculée à partir d'une moyenne sur dix ans pour éviter les à-coups »
« Cela fait six ans que je suis en partenariat avec la maison Boisset. Il s'agit d'un engagement sur trois ans, reconductible. Sur les 18 ha que j'exploite, je me suis engagé sur 6 ha. Il s'agit de parcelles plantées en pinot noir ou en chardonnay qui sont réservées à ce négociant pour l'élaboration de crémant. Elles sont bien définies au niveau du cadastre. Ainsi, le chef de cave de mon partenaire sait exactement où se trouvent les vignes à visiter. A partir du mois d'août, il vient vérifier la maturité mais, le reste de l'année, il me laisse travailler ces parcelles exactement comme je fais pour toutes mes autres vignes. La date de vendange est déterminée avec lui en fonction de la quantité de sucre. Nous récoltons entre 9,5 et 11°. La rémunération est déterminée en référence à la moyenne décennale du cours du fermage de l'appellation en Côte-d'Or pour une pièce de 228 litres. C'est cette idée d'un lissage sur dix ans qui m'a plu. Avec un tel système, on évite les à-coups. Aujourd'hui, je peux calculer à l'avance mes rentrées d'argent alors que, par le passé, il pouvait y avoir de grandes différences suivant les cours du marché. C'était parfois très compliqué à gérer. Grâce au partenariat, le prévisionnel de mon exploitation est bien plus facile à réaliser. C'est important quand on veut investir ! Le prix de référence en fonction de la moyenne décennale du fermage représente environ 90 % de ma rémunération. A cela s'ajoute une prime dite « au degré » qui récompense le fait d'avoir bien récolté entre 9,5 et 11° et une prime dite « cadastrale » qui rémunère l'engagement cadastral. »