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Bordeaux se prépare à une semaine cruciale

La vigne - n°218 - mars 2010 - page 14

A la fin du mois, le Bordelais va recevoir tous les acheteurs et critiques qui comptent, pour leur présenter le nouveau millésime. Zoom sur l'organisation d'une semaine décisive.
DÉGUSTATION DU MILLÉSIME 2008 EN PRIMEUR L'ANNÉE DERNIÈRE, au château Larrivet Haut-Brion (Pessac-Léognan). © Philippe ROY

DÉGUSTATION DU MILLÉSIME 2008 EN PRIMEUR L'ANNÉE DERNIÈRE, au château Larrivet Haut-Brion (Pessac-Léognan). © Philippe ROY

Du 29 mars au 1er avril, tout le Bordelais sera en effervescence pour la traditionnelle semaine des primeurs. Cet événement permet aux professionnels du monde entier de goûter le millésime dernier-né de la région. En moins d'une quinzaine d'années, il est devenu incontournable. Désormais, c'est là que les critiques et les acheteurs qui comptent dans le milieu du vin doivent être.

Et pour les producteurs, « sur le plan du business pur, la semaine des primeurs est beaucoup plus importante que Vinexpo », confie Alain Raynaud, du Cercle rive droite, une association qui regroupe cent trente-trois châteaux du Libournais.

Un millésime très médiatisé

Cette année, l'enjeu est de taille. La crise sévit durement dans le Bordelais. Les exportations sont en chute et l'atmosphère morose. De nombreux professionnels attendent un rebond : « Les crus (les grands châteaux, NDLR) sont la locomotive de la région, indique un président de syndicat. Nous espérons que les primeurs vont faire redémarrer l'économie de la région. »

Et ce d'autant plus que le 2009 est annoncé par la presse comme « exceptionnel ». « C'est un millésime très médiatisé, confirme Jean-Marc Guiraud, de l'Union des grands crus, qui compte cent trente-deux crus, classés ou non. Il y a un véritable buzz autour. » « Les professionnels sont intrigués, note également un producteur. Ils veulent savoir si ce qu'on leur a décrit correspond à la réalité. »

A cela s'ajoute le fait que Vinexpo n'a pas lieu cette année. Importateurs et autres acheteurs devraient donc d'autant plus faire le déplacement. « Nous nous attendons à un vrai déferlement, corrobore Bruno de Lambert, du syndicat de Pomerol. Nous espérons juste que cela ne va pas occasionner un dérapage de certaines propriétés au niveau des prix. »

« Il faut retrouver un capital confiance »

Inquiétude partagée par Alain Raynaud. « L'intérêt pour le millésime est certain, mais la crise ne permet pas de faire n'importe quoi. Pour les cinquante plus grandes étiquettes, il n'y a pas de problème. Mais pour les autres, il y a un vrai souci au niveau de la fixation du prix. Il faut qu'il colle à la réalité. Ce sera particulièrement difficile cette année. Le Yo-Yo indispose les étrangers. Il faut retrouver un capital confiance. Il y a donc beaucoup d'enjeux cette année. »

Entre cinq et six mille professionnels du monde entier sont attendus sur la semaine : des importateurs, des journalistes de la presse professionnelle, des acheteurs de grande distribution ou encore des cavistes. L'année dernière, les organisateurs avaient noté la présence de nouveaux acheteurs : les Asiatiques. Ils devraient revenir cette année, tout comme les Américains.

Châteaux, syndicats et union de crus s'affairent depuis plusieurs mois pour les accueillir comme il se doit et rendre cette semaine mémorable. Choix du lieu de réception, du thème et du déroulement des dégustations, montage du dossier « sécurité », réactualisation du fichier des invités, envoi des invitations, location de caves à vin, de verres et de crachoirs, climatisation et éclairage du site, décoration, restauration, gardiennage, badges, élaboration des livrets de dégustation, réception des échantillons : la liste n'en finit pas.

« Nous commençons par réserver le lieu de réception, juste après les vendanges », explique Didier Gontier, directeur du syndicat des côtes-debourg. Ensuite, « on s'occupe de la coordination interne de nos membres et de la sélection des journalistes, indique Jean-Marc Guiraud. Cela prend de plus en plus de temps, car il faut gérer la confusion due à internet. Tout le monde se dit journaliste. Il est très difficile d'évaluer l'influence des bloggeurs. Or, nous ne pouvons pas inviter tout le monde. »

D'un point de vue pratique, « il faut également veiller à ce que la température du lieu soit constante, que l'éclairage soit naturel, mais musclé dans les angles, que la décoration soit belle mais inodore, et que les nappes soient blanches », souligne Alain Raynaud. Puis il faut fignoler la logistique, qui, pour Frédérique Dutheillet de Lamothe, de l'Alliance des crus bourgeois du Médoc, est particulièrement importante lors des primeurs. « Tout doit être fonctionnel, facile d'accès et bien fléché, surtout pour les étrangers. Il faut aussi que les vins soient ouverts très tôt le matin et à bonne température », explique-t-elle.

Un budget de 150 000 euros pour le Cercle rive droite

A tout cela s'ajoute la gestion des journalistes. Ils sont de plus en plus nombreux à faire le déplacement avant la semaine des primeurs. Les syndicats doivent leur organiser des dégustations privées. Or, pour l'Alliance des crus bourgeois du Médoc, par exemple, une seule dégustation équivaut à un appel à échantillons sur… cent quatre-vingts à deux cents châteaux !

Au bout du compte, la semaine des primeurs représente un investissement financier important pour la filière. Aucun chiffre ne circule sur le coût à l'échelle du vignoble et certains organismes refusent de communiquer le montant de leur budget. Mais à titre d'exemples, les côtes-debourg, où peu de châteaux vendent en primeur, investissent 4 000 euros par an, et le Conseil des vins de Graves, entre 20 000 et 25 000 euros. En revanche, le Cercle rive droite débourse dans les 150 000 euros. L'Union des grands crus y consacre entre 40 000 et 50 000 euros, mais il faut ajouter à ce chiffre tout ce qui est directement pris en charge par les châteaux accueillant l'événement, ce qui est loin d'être négligeable.

Beaucoup d'argent, en somme, pour lancer le dernier-né. D'ici à la fin du mois, les participants sauront si les primeurs 2010 sont à la hauteur des espérances.

Comme un chien dans un jeu de quilles

Le producteur négociant gersois, Alain Brumont, s'invite chez ses grands voisins bordelais. Le 29 mars, il va régaler plus de cent professionnels au restaurant étoilé Le Gabriel, à Bordeaux, avec la ferme volonté de « créer l'événement » à la veille du lancement de la campagne officielle des primeurs. Son but ? Rappeler que ses vins, vendus en primeur depuis 1985, s'imposent comme une vraie alternative. Les invités vont déguster le 2009 de ses châteaux Montus et Bouscassé. « C'est un millésime d'exception », promet Alain Brumont. Ils dégusteront aussi des vins de 1985, 2006 et 2007 : « des millésimes mythiques ».

Le Point de vue de

Didier Cuvelier, directeur général du château Léoville Poyferré, grand cru classé à Saint-Julien (Gironde)

« En trois jours, six mille personnes vont goûter notre vin »

Didier Cuvelier, directeur général du château Léoville Poyferré, grand cru classé à Saint-Julien (Gironde)

Didier Cuvelier, directeur général du château Léoville Poyferré, grand cru classé à Saint-Julien (Gironde)

« Les primeurs sont toujours incontournables pour nous, car tous les acheteurs internationaux sont présents. C'est une semaine beaucoup plus importante que Vinexpo, puisqu'elle détermine nos prix de sortie. Cette année, elle sera encore plus cruciale, car le millésime 2009 excite beaucoup de gens. C'est le millésime de sortie de crise. Il y aura beaucoup plus de monde que l'année dernière. On va assister à un retour des Américains et, pour la première année, les Chinois devraient commencer à acheter en primeur. Cela devrait être bénéfique pour toute la région. Les grands crus donnent l'image du millésime. Les petits crus en bénéficient ensuite.

Durant la semaine, je reçois les acheteurs à la propriété. J'ai un rendez-vous tous les quarts d'heure. En trois jours, je pense qu'environ six mille personnes vont goûter notre vin. »

Le Point de vue de

Jean-Denis Salvert, propriétaire du château La Fleur d'Arthus, à Vignonet (Gironde), AOC Saint-Emilion Grand Cru

« L'occasion de nous étalonner par rapport à la qualité des vins de nos confrères »

« Les primeurs sont une vitrine très importante pour nos vins. Nous y participons depuis 2000, par le biais du Cercle rive droite. Cela nous permet d'être en contact avec de nombreux acheteurs, importateurs et journalistes. Et c'est primordial pour nous, qui vendons 70 % de la production en primeurs. Cette semaine est aussi l'occasion pour nous de nous étalonner par rapport à la qualité des vins de nos confrères. Je pense qu'il y aura beaucoup plus de monde cette année qu'en 2008 et 2009, car il y a un attrait majeur pour le millésime 2009. On ressent quelques balbutiements au niveau de la reprise. Les Chinois et les Américains seront sûrement présents. Je pense que les prix vont rester abordables. Il y aura de bonnes affaires à faire. C'est une belle page de communication pour toute la région, qui permet de montrer que malgré la crise, Bordeaux continue à faire des efforts qualitatifs. Notre vin est entièrement élevé en bois neuf. Il n'y a aucune préparation particulière pour les primeurs. Il faut juste que l'échantillon soit représentatif de ce que nous allons livrer. »

Le Point de vue de

Hervé Romat, copropriétaire du château Grand-Maison, à Bourg (Gironde), en AOC Côtes-de-Bourg

« Donner de la visibilité à notre produit haut de gamme »

Hervé Romat, copropriétaire du château Grand-Maison, à Bourg (Gironde), en AOC Côtes-de-Bourg

Hervé Romat, copropriétaire du château Grand-Maison, à Bourg (Gironde), en AOC Côtes-de-Bourg

« Nous participons aux primeurs depuis 2005. C'est une manière pour nous de donner de la visibilité à un produit haut de gamme que nous élaborons. Cette campagne devrait nous offrir une photographie intéressante du marché. Je pense qu'il va y avoir beaucoup de monde, car les gens veulent goûter ce millésime dont on leur a tant parlé. Et nous verrons bien s'ils sont prêts à acheter. Pour nous, c'est une opération de communication importante, un test. On voit le nombre de gens qui passent et le nombre de retours. Cela nous permet de nous jauger. Il y a des retombées presse et éventuellement de certains cavistes.

Nous ne réalisons aucun travail particulier sur le vin. Nous essayons juste de faire en sorte que l'échantillon soit vraiment représentatif de ce qui sera ensuite en bouteilles. »

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REPÈRE

Une semaine pour goûter le dernier-né

Lancée par l'Union des grands crus de Bordeaux entre 1994 et 1996, la semaine des primeurs est à présent étendue à l'ensemble des appellations du Bordelais. Elle consiste à faire goûter le dernier millésime par les professionnels, qui pourront ensuite l'acheter en avant-première, à moindre coût. Cette année, l'appellation Moulis ouvre le bal des dégustations le 19 mars. Mais le gros des primeurs aura lieu du 29 mars au 1er avril inclus.

L'essentiel de l'offre

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