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Michel Desilets, avocat à Villefranche-sur-Saône (Rhône) « Un bail ne s'interrompt pas »

Propos recueillis par Aude Lutun - La vigne - n°220 - mai 2010 - page 74

LA VIGNE : Un exploitant peut-il arrêter son bail avant terme ?

Michel Desilets : théoriquement non. Le statut du fermage, qui est très protecteur pour le fermier à bien des égards, prévoit que le bail dure neuf ans, renouvelables ou non. Le code rural ne prévoit rien pour arrêter une location avant son terme et n'offre aucune solution. Au terme des neuf ans, l'exploitant bénéficie du renouvellement automatique sauf en cas de mauvais entretien de la vigne, de changement de destination de la parcelle ou de reprise par le propriétaire pour que lui-même, son conjoint ou l'un de ses enfants l'exploite.

Comment sortir de l'impasse ?

M.D. : Je conseille aux exploitants ayant trop de difficultés pour poursuivre le fermage de rencontrer leur propriétaire. Il faut l'avertir de ses problèmes, même si ce n'est pas simple humainement. L'objectif est d'aboutir à un accord entre les deux parties, ce qu'autorise le code rural. Le propriétaire peut accepter d'arrêter le bail après les vendanges, par exemple.

Ces accords de gré à gré sont-ils fréquents ?

M.D. : Quand l'exploitant vient voir son propriétaire assez tôt, les deux parties trouvent généralement un accord. Souvent, le propriétaire demande au vigneron de laisser la parcelle propre et de l'entretenir jusqu'à ce qu'un nouveau fermier soit trouvé. Le propriétaire peut parfois obtenir des contreparties pour un fermage qui ne va pas à son terme.

Sur quoi l'accord peut-il porter ?

M.D. : Par exemple, sur le partage de la prime d'arrachage. En principe, elle revient à l'exploitant. Mais le propriétaire peut en demander une part et accepter, en échange, la fin anticipée du bail. L'arrachage n'est pas la situation idéale, mais il permet au propriétaire d'avoir une parcelle transformée en pâture propre et de la louer pour un autre usage. Et c'est préférable à l'abandon de la parcelle. En cas d'arrachage des vignes sans demande de prime, si le propriétaire n'est pas lui-même exploitant et s'il n'a pas de casier viticole, les droits reviennent au locataire. Ce dernier peut alors proposer de céder une part des droits au propriétaire afin d'obtenir son accord pour arrêter le bail.

Que redoutent le plus les propriétaires ?

M.D. : Très clairement, c'est l'abandon de leur parcelle. Il faut absolument éviter de laisser une vigne non taillée, car dans ce cas, il y a un préjudice important pour le propriétaire, en plus du fermage éventuellement non payé. Il ne faut pas oublier que l'abandon d'une parcelle peut mener à son déclassement. C'est le cas d'une parcelle dans le Beaujolais, déclassée par l'Inao. L'exploitant qui l'a abandonnée a été condamné à payer 12 000 euros d'indemnités au propriétaire. L'affaire est en appel.

Pourquoi les locataires anticipent-ils rarement ?

M.D. : Les personnes en difficulté pensent toujours qu'elles vont s'en sortir et agissent trop tard, quand elles sont face au mur. Les viticulteurs aussi. Ce courage est une qualité qui peut devenir un handicap et entraîner l'exploitant dans une spirale infernale. Quand on laisse une parcelle louée à l'abandon, le propriétaire est dans de moins bonnes dispositions pour parvenir à un accord, d'autant qu'il n'a souvent pas perçu les derniers fermages.

Un exploitant peut-il saisir le tribunal des baux paritaires pour solliciter une résiliation anticipée de son bail ?

M.D. : Non. Je n'ai jamais vu ce cas de figure et je présume que le tribunal paritaire des baux ruraux répondrait que ce n'est pas dans ses attributions. Seuls deux défauts de paiements du fermage ou le mauvais entretien des parcelles peuvent mener à l'arrêt avant son terme d'un bail, mais uniquement à la demande du propriétaire. Le preneur peut évoquer des excuses pour tenter d'échapper à la résiliation de son bail, mais il ne peut pas invoquer des motifs économiques.

Que doit faire un propriétaire pour obtenir la résiliation d'un bailleur qui ne lui paie plus de loyer ?

M.D. : Il doit d'abord envoyer une mise en demeure de payer à l'exploitant. Si cette lettre n'est pas suivie d'effet dans les trois mois à la date de réception, le bailleur peut alors envoyer une seconde mise en demeure. Si, après trois nouveaux mois, le locataire n'a toujours pas payé, le bailleur peut alors saisir le tribunal des baux ruraux pour demander la résiliation du bail. Il faut respecter ce formalisme.

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PARCOURS

Depuis 1995 avocat associé au cabinet Axiojuris à Villefranche-sur- Saône et Lyon (Rhône).

Président de l'Association internationale du droit de la vigne et du vin, section européenne.

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