Aux confins de la Marne et de l'Aube, Joseph est propriétaire de parcelles reconnues aptes à produire de l'appellation Champagne. Du moins, il les a acquises et payées comme telles… Après la visite des agents de l'Inao sur son vignoble, notre viticulteur apprend que l'une de ses parcelles - située au creux d'un vallon - est déclassée. On imagine sans peine sa consternation ! La nouaison est achevée… La récolte s'annonce abondante… Que faire ? Certes, Joseph pourrait contester le dictat de l'Inao en saisissant le Conseil d'Etat… Mais d'ici que l'affaire soit jugée, combien de récoltes aura-t-il perdu ? Sur les conseils de son avocat, il tente une procédure rapide devant le juge des référés du tribunal de grande instance. L'argument est simple : l'appellation est attachée à la parcelle, or par sa décision, l'Inao a amputé le droit de propriété de Joseph par une mesure illégale. Il y a donc « voie de fait », ce qui donne compétence au tribunal de l'ordre judiciaire.
Pas d'atteinte au droit de propriété
Comme le rappelle le lexique des termes juridiques, « la voie de fait est une théorie d'origine jurisprudentielle qui se veut protectrice des intérêts des administrés. Elle est destinée à sanctionner des irrégularités particulièrement flagrantes de l'Administration. Elle est constituée dès lors que l'administration procède à une opération matérielle dans des conditions manifestement insusceptibles de se rattacher à l'exercice de ses pouvoirs et elle porte atteinte soit à une liberté publique, soit à la propriété mobilière ou immobilière ».
C'est, par exemple, l'hypothèse où en vue d'améliorer l'empâtement d'une route, la Direction départementale des territoires prend possession des terrains bordant la voie sans autre forme de procédure.
Attention ! La voie de fait se distingue de l'emprise irrégulière. Celle-ci se définit comme un « simple » dépassement de pouvoir ressortant de la compétence administrative. C'est, à titre d'exemple, le cas lorsque l'administration procéde à une expropriation pour installer dans le sous-sol d'une propriété une servitude d'écoulement des eaux, mais qu'au lieu de cela, elle installe un aqueduc en surface sur le terrain de l'exproprié.
La distinction entre les deux notions est essentielle puisque la voie de fait est de la compétence du juge judiciaire tandis que l'emprise irrégulière rélève de la juridiction administrative.
Dans notre affaire champenoise, l'Inao consteste la notion même de la voie de fait et soulève l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative. Pour l'Institut, il n'y a - tout simplement - pas atteinte au droit de propriété. La cour d'appel va recevoir l'argument. Et la Cour de cassation va confirmer son point de vue. Pour les juges suprêmes, le droit à l'appellation n'est pas un accessoire du droit de propriété. L'Inao a pris sa décision de déclassement en application de textes légaux, en l'occurrence la loi du 6 mai 1919 modifiée. Il en résulte que son acte est bien fondé légalement.
Cette affaire se rapproche d'autres décisions qui sont allées dans le même sens. Ainsi le Conseil d'Etat a jugé, le 19 novembre 2008, que la reconnaissance ou l'exclusion d'une parcelle d'une aire d'appellation n'est pas une atteinte au droit de propriété tel qu'envisagé par la Convention européenne des droits de l'homme. Il se déduit de cette jurisprudence que toute contestation de la reconnaissance ou du déclassement d'une parcelle en AOC est de la compétence du Conseil d'Etat.