DÉLUGE CATASTROPHIQUE. Les 15 et 16 juin jusqu'à 400 mm se sont abattus dans le Var sur deux secteurs géographiques : la région de Draguignan et la vallée de l'Argens. Deux jours après ces pluies diluviennes, cette vigne située au bord de l'Argens était encore inondée des eaux boueuses qui y ont déposé des caravanes arrachées à leurs campings. Au total, une quarantaine de communes viticoles ont subi ces intempéries exceptionnelles. © P. PARROT
JEAN-CLAUDE HENRY, président de la cave coopérative de Taradeau a perdu 3 hectares en AOC Côtes-de-Provence. Une vague de 9 mètres a tout arraché. © PHOTOS C. SARRAZIN
FLORIAN URMELLI, jeune coopérateur à La Motte. A l'endroit où il se trouve, il y avait un chemin. La furie des eaux a tout emporté.
Terrains ravinés, arbres au sol, routes barrées, habitations désertées, bulldozers en action… Trois semaines après les pluies torrentielles survenues dans le Var, des 15 et 16 juin, la vallée de l'Argens et la Dracénie (région de Draguignan), les secteurs les plus meurtris, portent encore les stigmates de ces intempéries dramatiques.
« La montée des eaux a été d'une violence inouïe, rappelle, Jean-Claude Henry, vigneron et président de la cave coopérative de Taradeau. Toutes les rivières ont débordé. Dans notre village, la Floriège est sortie de son lit. Une vague de boue de 9 m de haut a tout emporté sur son passage et ce, sur 1,5 km. » Elle a effacé trois hectares, la moitié de son vignoble en AOC Côtes-de-Provence. « Tout a été arraché. La roche mère est à nue. J'ai même retrouvé des tentes dans mes vignes. » Ses trois autres hectares ont été couchés par la vague déchaînée. Depuis, les pompiers ont fait le ménage. Avec l'aide de bénévoles et de saisonniers, Jean-Claude Henry a remis 2,5 hectares sur palissage.
Sous la furie des eaux, le pont qui relie le village aux principales routes d'accès a cédé. Il ne sera pas reconstruit avant la fin du mois d'août. Un isolement qui « survient au plus fort de la saison touristique, déplore Jean-Claude Henry. A l'heure actuelle, notre caveau de vente perd chaque jour 60 % de chiffre d'affaires. Or, nous réalisons près des deux tiers de notre activité de juin à septembre, avec la clientèle de passage. » Une perte dramatique. « La coopérative, c'est le poumon du village, renchérit le président. Elle fait vivre une centaine de personnes. »
Caveaux fermés, bouteilles volées
A 15 km de là, la coopérative de La Motte a dû fermer son caveau de vente le 5 juillet. « Nous avons découvert des infiltrations d'eau. Un assureur doit passer », indique Florian Urmelli, jeune coopérateur. Amère découverte, car la coopérative pensait avoir échappé au pire, ce caveau n'ayant pas été inondé. De plus, elle venait de rouvrir son autre magasin. Situé au Muy, il avait été ravagé par les flots. « Avec une vingtaine de collègues, aidés par les pompiers, nous avions fini de tout débarrasser », explique Florian Urmelli, ajoutant que des pilleurs avaient profité du fait que la porte avait été fracturée pour voler des bouteilles et des caisses.
Ce vigneron a aussi subi des dégâts dans son vignoble. « La Nartubie a tout balayé », indique-t-il. Des maisons situées en bordure de la rivière ont été englouties sous les flots. Sur l'autre rive, elle a coupé en deux le chemin d'accès à une partie de ses vignes. « J'ai dû arracher des ceps pour créer une tournière à l'intérieur de la parcelle, poursuit-il. Sans quoi, je ne pouvais plus y intervenir. »
Désormais, il craint pour le hangar où il entrepose son matériel viticole. « Il se trouve sur ce même terrain qui risque de s'affaisser. » Il attend le passage de son assureur pour savoir s'il accepte d'assurer ce bâtiment.
En temps normal, Florian Urmelli exploite 27 hectares de vignes. Pas cette année : 6 000 m2 ont totalement disparu et un hectare est par terre. Il les a sacrifiés pour se concentrer sur 2,5 hectares recouverts de limon et de détritus en tous genres. Après la catastrophe, il a nettoyé les grappes à la main, en les secouant, avec l'aide de la sécurité civile. « J'ai sauvé ce qui pouvait l'être », dit-il.
Une autre ombre plane sur ses épaules, le développement du mildiou. « Tout le vignoble varois est concerné, expose Mathieu Combier, conseiller à la chambre d'agriculture. Toutes les parcelles sont touchées, cela va d'une à dix taches par pied de vigne. »
Il aurait fallu traiter les vignes une dizaine de jours, au plus tard, après le déluge. Or, à cause des eaux stagnantes, il était impossible d'entrer dans les parcelles. « Actuellement, nous resserrons les traitements, dit Florian Urmelli. La chaleur étant de retour, il espère que cela va stopper la prolifération de la maladie. »
Des vinifications s'annoncent compliquées
Dans la commune voisine du Muy, Jean Laponche a fait réaliser un traitement par hélicoptère dès le 17 juin sur ses 11 hectares de vin de table inondés par l'Argens. « A ce jour, je n'ai pas trop d'attaque, confie-t-il. Toutefois, des foyers de pourriture apparaissent à l'intérieur de certaines grappes souillées par le limon et les détritus de végétaux. »
Surtout, il s'attend à une vinification compliquée. Le conseiller de la chambre d'agriculture confirme : « Nous n'avons aucune référence technique de vinification d'une vendange de ce type. »
Jean Laponche prévoit un débourbage et un traitement des jus drastiques. « Je vais utiliser du froid pour éviter tout départ en fermentation. Je vais clarifier les jus au maximum. » Il espère que les douanes accorderont la possibilité, aux vignerons varois, d'acheter des vins ou des raisins pour améliorer la qualité. Il estime à 30 % sa perte de récolte. « Cela aurait pu être pire si je n'avais pas bénéficié de l'entraide de vignerons des communes voisines », souligne-t-il. Ils ont redressé les piquets, refait les palissages… Les scouts d'Avignon sont aussi venus à sa rescousse. « J'étais épuisé, poursuit-il. Ils m'ont tous redonné le moral. Sans eux, j'aurais peut-être baissé les bras. »
Partout, la solidarité a été importante. A Roquebrune, une trentaine de vignerons varois ont prêté main-forte à Frédéric Michel dans les semaines qui ont suivi le déluge. « Demain, j'attends encore une équipe d'une quinzaine de personnes, indique le vigneron dont 4,5 hectares de vignes en vins de pays du Var ont ployé sous les eaux. J'exploite une dizaine d'hectares, seul, je suis installé depuis 2009. Leur aide est précieuse, car ce sont des viticulteurs, ils savent comment procéder. »
Si les incertitudes demeurent quant à la quantité et la qualité de la récolte 2010, la viticulture reprend son souffle dans le département, fleuron du rosé. « Nous ne baissons pas les bras », résume Jean-Claude Henry.
123 viticulteurs sinistrés
Selon un bilan de la chambre d'agriculture du Var daté du 29 juin, les inondations ont très durement touché 750 hectares de vignes et 123 viticulteurs se sont déclarés sinistrés. De son côté, la préfecture déplore 25 victimes parmi lesquelles on ne compte aucun viticulteur ni salarié de la viticulture. Le ministère de l'Intérieur a publié l'état de catastrophe naturelle dans neuf cantons au JO du 22 juin.
La procédure de calamité agricole est enclenchée. La profession agricole demande une série de mesures, comme l'exonération des cotisations sociales des exploitants à la MSA et des cotisations volontaires obligatoires ou la prise en charge par les banques des intérêts des emprunts en 2010. Les autres secteurs, horticulture, maraîchage, élevage également sinistrés, sont concernés par ces demandes.