1. Pensez à la flore naturelle
Les techniciens viticoles sont unanimes : le choix du type d'enherbement se raisonne à la parcelle, selon le type de sol, la vigueur de la vigne, les objectifs de rendement et de qualité que souhaite le viticulteur…
Deux options s'offrent à lui : l'enherbement semé ou le naturel. Le premier « est plus rapide à mettre en place et assure un couvert plus homogène », affirme Florent Bidaut, de la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. Selon Xavier Delpuech, de l'IFV, il permet aussi de mieux maîtriser la concurrence induite, à condition bien choisir l'espèce que l'on sème.
Jusqu'à présent, techniciens et viticulteurs ont privilégié ce type d'enherbement. Mais force est de constater que certains gazons semés sont trop concurrentiels. En réaction à ces difficultés, on s'intéresse davantage à l'enherbement naturel qui est aussi plus simple à mettre en œuvre et moins coûteux.
Pour ce qui est de la concurrence, tout dépend des espèces qui s'implantent. Dans les régions méditerranéennes, sur sols argilo-calcaire dont la fertilité va de moyenne à faible, un groupe de travail piloté par les chambres d'agriculture observe que l'enherbement spontané est le plus souvent composé d'espèces à faible développement, avec un cycle très court (crépis, ray-grass, géranium, pâturin, médics, trèfles…). Ce type de couvert n'a pas d'incidence sur le rendement. Parfois, il se développe une flore encore verte et active en juin. La concurrence avec la vigne peut alors être plus marquée. « Si des adventices très demandeuses en eau et en azote, et qui deviennent hautes en saison, se développent, mieux vaut semer un gazon pour les étouffer », conseille Florent Bidaut.
Pour Maxime Christen, de la chambre d'agriculture de Gironde, l'enherbement naturel est également une bonne option. « On le détruit, au besoin, plus ou moins tôt dans la saison. C'est lui qui offre le plus de latitude aux viticulteurs face aux variations climatiques inter et intramillésimes. » « Comme il ne coûte rien, on l'élimine sans regret en cas de nécessité », ajoute Xavier Delpuech.
2. Raisonnez la surface enherbée
Outre le choix du type d'enherbement, il faut raisonner la surface à enherber. « Lorsque les viticulteurs veulent démarrer un enherbement, je leur conseille de commencer par l'implanter un rang sur deux. Cela leur permettra de voir si l'herbe n'induit pas trop de concurrence et si elle répond bien à leurs objectifs », préconise Xavier Delpuech.
Même chose pour la largeur de bande. En Champagne, où les vignes sont étroites, « elle ne doit pas dépasser 50 cm pendant la période végétative », prévient Cédric Georget, des services techniques de l'interprofession (CIVC).
3. Semez des espèces adaptées
Pour François Dal, de la Sicavac, à Sancerre (Cher), le choix des espèces n'est pas fondamental dès lors que l'herbe est bien maîtrisée (voir encadré). Dans sa région, les enherbements semés se font avec du ray-grass ou du pâturin, ou à base d'un mélange associant des graminées avec moins de 5 % de légumineuses. Il recommande aux viticulteurs qui ne binent pas le rang d'éviter la fétuque rouge demie traçante. « Lorsqu'elle vieillit, elle a tendance à créer des touffes et à devenir très concurrentielle pour la vigne. Or, elle est difficile à détruire par les herbicides, à cause de sa cuticule cireuse. »
En Gironde, Maxime Christen estime qu'aucune espèce ne passe partout. « Il y a quelques N° 224 - octobre 2010 années, beaucoup de viticulteurs ont enherbé avec de la fétuque élevée. Or, cette espèce est très concurrentielle. Dans certains cas, elle a un effet favorable sur la qualité, car elle a bien réduit la vigueur et les rendements. Mais dans d'autres cas, elle a causé des stress hydriques et azotés », rapporte-il.
Aujourd'hui, il recommande de partir sur des mélanges moins concurrentiels à base de fétuque rouge gazonnante et de ray-grass anglais, ou de pâturin des prés et de ray-grass anglais.
En Champagne, le CIVC recommande plutôt de semer un pâturin (des prés, commun ou annuel), car « c'est une espèce peu sensible à l'arrachage, pas très haute et peu concurrentielle », précise Cédric Georget.
4. Surveillez l'alimentation azotée de la vigne
Les carences en azote nuisent fortement aux cépages blancs. Elles induisent des difficultés fermentaires et une moindre richesse en arômes. Même pour les rouges, de forts déficits peuvent provoquer des fermentations languissantes. Il est donc important de bien surveiller la nutrition azotée dans les vignes enherbées.
A l'heure actuelle, le premier critère est visuel. « Un feuillage pâle, jaunissant peut être le signe d'une carence azotée », indique Jean-Henri Soumireu, de la chambre d'agriculture du Rhône. « De même, lorsque les bois de taille ont un faible diamètre », précise Florent Bidaut. Pour confirmer un soupçon de carence azotée, le viticulteur peut réaliser une analyse foliaire.
Autre critère : le rendement. S'il est inférieur aux objectifs de production, il faut intervenir et réajuster la fertilisation azotée sous le rang.
Dernier indicateur de la nutrition azotée : la teneur en azote assimilable des moûts. En cas de déficit, des corrections au chai sont nécessaires. Si les moûts sont régulièrement carencés, une correction à la vigne s'impose. « Dans ce cas, nous conseillons des apports localisés sous le rang de 30 ou 40 unités d'azote », rapporte Jean-Henri Soumireu.
Même conseil en Saône-et-Loire. « Et si ce n'est pas suffisant, il faut envisager une réduction de la largeur de la bande enherbée, voire une destruction de l'enherbement un rang sur deux », indique Florent Bidaut.
En Alsace, si la vigueur est trop faible : « Nous conseillons de travailler mécaniquement un rang sur deux pour favoriser une minéralisation de l'azote qui sera favorable à la croissance de la vigne, puis d'apporter une trentaine d'unités d'azote réduites de 30 % en cas de localisation sous le rang », conseille Frédéric Schwaerzler, de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin.
5. Réduisez la bande enherbée si l'hiver a été sec
« L'enherbement commence à consommer de l'eau et de l'azote bien avant la vigne », rappelle Xavier Delpuech. Une bonne recharge en eau hivernale est donc nécessaire pour éviter toute concurrence. En cas d'hiver trop sec, il peut être nécessaire de réduire la largeur de la bande enherbée, voire de détruire l'herbe un rang sur deux si tous les rangs sont enherbés.
En Champagne, le CIVC se sert d'un indicateur : le cumul des pluies en sortie d'hiver. Il récupère les données de son réseau de stations météo et les compare à la moyenne décennale.
« Si le cumul des pluies entre le 1er octobre et le 31 mars est inférieur à 300 mm, la recharge hivernale est insuffisante. Nous conseillons alors aux viticulteurs soit de réduire la bande enherbée chimiquement ou mécaniquement, soit de pratiquer un estivage par l'application de glufosinate d'ammonium à 1,5 l/ha ou de diquat à 2 à 4 l/ha, idéalement du stade 5-6 feuilles au stade 10 feuilles étalées », explique Cédric Georget.
6. Défanez l'herbe en cas de stress hydrique avéré
En saison, dès que le risque de sécheresse augmente, il ne faut pas hésiter à tondre plus fréquemment. Et lorsque la vigne commence à souffrir au point qu'elle pourrait perdre des feuilles, il ne faut pas hésiter à détruire l'herbe.
Dans les régions méditerranéennes, très souvent l'enherbement sèche de lui-même à partir de la mi-juin. Il forme alors un paillage très peu concurrentiel auquel il ne faut pas toucher. L'enherbement doit être détruit uniquement s'il reste vert et actif l'été.
Pour ça, « le plus simple est d'appliquer un produit de contact comme le glufosinate d'ammonium. Le glyphosate peut aussi être utilisé », conseille Bernard Genevet, de la chambre d'agriculture du Gard. Attention à la période d'application. « Les viticulteurs ont tendance à retarder la destruction de l'enherbement au moment de la fermeture de la grappe. Or, à ce stade, les conditions sont souvent sèches, ce qui peut réduire l'efficacité des défanants », prévient Frédéric Schwaerzler.
« Les viticulteurs doivent aussi faire attention s'ils détruisent l'enherbement lors de la floraison, car dans les sols filtrants, il y a un risque de coulure causé par l'azote libéré par l'herbe en décomposition », avertit Maxime Christen.
De son côté, Cédric Elia, de l'Adar de Cadillac, en Gironde, estime que dans les sols argileux une destruction mécanique est plus judicieuse. « En passant un outil léger de décompactage, on casse les réseaux de capillarité en surface. En cas de pluie, l'eau pénétrera plus facilement dans la terre. »
A l'opposé, en Alsace, Frédéric Schwaerzler déconseille cette pratique : « Nous avons des précipitations orageuses l'été. Nous risquons d'avoir des problèmes pour rentrer dans les parcelles. En plus, nous provoquons une importante minéralisation de l'azote, ce qui favorise le botrytis. » L'année suivante, le viticulteur devra revoir sa stratégie, en réduisant la surface enherbée, par exemple
7. Renouvelez l'herbe en cas d'asphyxie
Avec le passage répété des tracteurs, le sol se tasse et l'enherbement s'asphyxie. « Nous le voyons lorsqu'il y a beaucoup de mousse, de pissenlit et de potentille qui se développent dans l'enherbement », précise Frédéric Schwaerzler. Dans une telle situation, il conseille de détruire l'enherbement et de le ressemer, tout en prenant des précautions. En effet, la destruction de l'enherbement provoque un relargage d'azote qui peut être préjudiciable à la qualité.
Dans les parcelles enherbées un rang sur deux, on peut y remédier en implantant d'abord un gazon dans le rang travaillé : cette herbe va absorber l'excès d'azote.
De son côté, François Dal conseille un binage et un décompactage superficiel pour faire revivre l'herbe et donner l'occasion à des graines de germer.
Le bilan hydrique à l'étude
L'Inra de Montpellier travaille à la mise au point d'un bilan hydrique adapté aux vignes enherbées en collaboration avec Xavier Delpuech, de l'IFV Rhône-Méditerranée. Le modèle calcule d'abord la recharge hivernale en eau des sols, afin de savoir si la saison démarre avec de bonnes réserves ou pas. Ensuite, il simule l'évolution de ces réserves selon la pluviométrie et les facteurs météorologiques (température, vent, etc.) qui déterminent la consommation de la vigne et celle du couvert végétal. « En cas de déficit pluviométrique, nous pourrions envisager de détruire l'herbe un rang sur deux, par exemple. Mais il nous reste à vérifier que les indicateurs du modèle sont bien pertinents pour piloter les enherbements. Il reste aussi à y intégrer un volet pour suivre la dynamique de la minéralisation de l'azote et anticiper les stress azotés », explique Xavier Delpuech.
DANS LE CENTRE… Une intervention mécanique secoue l'herbe
François Dal, de la Sicavac, à Sancerre, est catégorique : « On peut enherber presque tous les terroirs, à condition de bien gérer l'herbe en début de végétation. Dans notre région, la concurrence azotée est néfaste du débourrement jusqu'à la floraison.
Après la floraison, l'enherbement n'a que des effets positifs. Il faut donc le détruire plus ou moins partiellement au printemps ou à l'automne. Cela engendre une libération d'azote lors du débourrement. L'herbe repart ensuite naturellement. » Le traitement infligé au couvert dépend du type de sol, de la vigueur de la vigne et du couvert lui-même. Si le sol est profond et l'enherbement diversifié à base de pâturin et de dicotylédones, on le secoue légèrement. Si le sol est maigre, qu'il subit un stress hydrique rapide et qu'il est couvert d'un ray-grass bien installé, il faut employer les grands moyens. Pour secouer leurs enherbements, les viticulteurs sancerrois se sont équipés soit de bineuses lourdes à dents, soit de disques, soit de land roller. Ils ajoutent des dents sur leurs bineuses et les munissent de socs à patte d'oie lorsqu'ils veulent obtenir un effet puissant. Lorsqu'ils veulent seulement freiner leur enherbement, ils réduisent le nombre de dents et emploient des socs simples. Selon François Dal, avec cette stratégie, les fertilisations azotées complémentaires sont souvent inutiles. Sans compter que l'on améliore la biodiversité, car la flore spontanée se développe après le passage des outils. Et on réduit le nombre de tontes nécessaires.
EN TOURAINE… La nutrition azotée doit être revue
Ces dernières années, les carences azotées des moûts de sauvignon sont devenues fréquentes en Touraine. Elles sont également apparues sur le cabernet franc, le gamay et le cot, mais dans une moindre mesure.
« Après dix à quinze ans d'enherbement de tous les interrangs, il est nécessaire de revoir la nutrition azotée de la vigne, indique Sandrine Puche, de la chambre d'agriculture. Dans certains cas, il faut casser les enherbements un rang sur deux ou un rang sur trois, réimplanter des espèces moins concurrentielles, comme un mélange de graminées et de légumineuses, par exemple. On peut également effectuer des apports d'azote localisés sous les rangs, même si cela n'aura pas d'effet sur la vigne durant l'année en cours. Pour obtenir un effet immédiat, nous conseillons des apports d'azote foliaire, à raison de 10 à 20 unités par hectare sous forme d'urée. L'idéal est de réaliser ces apports en deux à trois applications autour de la véraison pour que l'azote aille bien dans les raisins. » Des essais de l'IFV du Val de Loire montrent que ces traitements doublent les teneurs en azote assimilable des moûts de sauvignon, tout en favorisant les précurseurs d'arôme. Pour raisonner les apports, la chambre teste la pince Dualex de Force A. Cette dernière mesure l'indice NBI, un indicateur de l'état de stress azoté au moment de la floraison. « Nous allons voir s'il est corrélé à la teneur en azote des moûts. Si c'est le cas, nous aurons un outil pour juger, chaque année, de l'opportunité d'un apport d'azote foliaire », explique Michel Badier, de la chambre d'agriculture.
EN BEAUJOLAIS… Une tonte chimique réduit l'impact des étés secs
Dans la région, les sols sont plutôt pauvres, peu profonds, granitiques. Jean-Henri Soumireu, de la chambre d'agriculture du Rhône et du comité de développement du Beaujolais, conseille l'enherbement des interrangs uniquement dans les parcelles où l'écartement des rangs est supérieur à 1,20 m. Dans ce cas, il recommande des espèces peu concurrentielles comme le pâturin des prés, la fétuque ovine, la fétuque rouge demie traçante, le trèfle souterrain ou le trèfle blanc nain. Lors de millésimes secs, il conseille une tonte chimique.
Cette opération a pour but de stopper la croissance du gazon au début de la véraison, pour ne pas mettre en péril la maturation. Ensuite, le couvert repart avec les pluies hivernales. Pour le contrer, il recommande d'utiliser Basta (glufosinate d'ammonium) à dose réduite. « Nous conseillons une application à 3 l/ha dans 150 litres de bouillie fin juin, une semaine après une tonte mécanique », explique-t-il. Une dose 1,7 fois moins élevée que celle homologuée. Le plus difficile est de raisonner l'opportunité de cette tonte chimique.
« En général, nous la conseillons lorsque le régime hydrique est déficitaire en juin. En plus, si l'on voit que la croissance de la vigne est lente, que le feuillage commence à se décolorer et que la météo annonce encore une sécheresse, il faut intervenir au début de l'été. Même si la météo se trompe et qu'il pleut en juillet, ce ne sera pas gênant. Le couvert repartira rapidement et rejouera son rôle de pompage de l'eau et de régulation du régime hydrique », rapporte Jean-Henri Soumireu.
Le Point de vue de
André Faugère, viticulteur à Escoussans (Gironde), sur 35 hectares
« Dès les premiers signes de sécheresse, je détruis l'enherbement dans les blancs »
« J'ai enherbé mes vignes il y a quatre à cinq ans, un rang sur deux. Je travaille mécaniquement les autres interrangs et je désherbe chimiquement la ligne des souches. J'ai opté pour de l'enherbement naturel par soucis d'économie, mais aussi pour mieux piloter l'herbe en fonction du millésime. Et les espèces locales qui s'implantent sont bien adaptées au type de sol. J'ai ajusté la largeur de la bande enherbée à celle de mon broyeur. Généralement, je laisse pousser l'herbe au printemps et je réalise une première tonte juste avant la montée en graine des plantes. Ensuite, toutes les deux semaines, je tonds en même temps que j'écime.
Dès que je vois les premiers signes de sécheresse dans mes parcelles témoins situées dans des sols peu profonds, séchant, je détruis l'enherbement dans toutes mes parcelles de blancs. Je produis des vins blancs secs. Les vignes ne doivent pas subir de stress hydrique afin de préserver le potentiel aromatique. Cette année où il a fait très sec, je suis intervenu la seconde quinzaine de juillet en appliquant un glyphosate 360 g/l à la dose de 2 l/ha. Au niveau de la nutrition azotée, je broie et j'enfouis les sarments dans les rangs travaillés. En plus, tous les ans, dans les parcelles de blancs et dans les parcelles de rouges très peu vigoureuses, j'apporte vingt unités d'azote au milieu des rangs travaillés, juste après la chute des capuchons floraux. Pour l'instant, je n'effectue pas d'apports foliaires, mais j'y réfléchis. Et je suis de très près tous les essais. Du fait de cette gestion, je n'ai aucun problème de carence azoté. Pour preuve en 2009, tous mes moûts avaient des teneurs en azote assimilable comprises entre 180 et 200 mg/l. »